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Alestan

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À propos de Alestan

  • Date de naissance 28/05/1990

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Réputation sur la communauté

  1. Je pense que vous essayer d'analyser une situation toute simple avec des explications trop longues. Même erreur que le gouvernement et les médias. On est en situation d'insurrection en France. Regardez les cartes des délocalisations en France ces 20 dernières années, associées-les au % de chômage des régions concernées, puis un coup d’œil au taux d'abstention/vote RN des dernières élections. Y'a 500 personnes en live facebook chaque soir à Calais qui affrontent les CRS vers l'A16, la ville est tellement gazée qu'on a plusieurs animaux morts asphyxiés dans un jardiland et un bébé en état critique à l'hospital car les CRS ont tiré des lacrymos près des habitations. Après à Calais c'est chaud depuis la jungle, mais là ça devient alarmant... Vinci a déploré des millions d'euros de pertes à cause des opérations massives de "péage gratuit" sur les autoroutes du Sud. La page facebook de samedi prochain a déjà un taux de participation égale au précédent en 2 jours seulement... Les gens parlent de venir "préparés" en cas de "violences", aussi bien les jeunes que les mamies de 70ans. Pour ne pas se rendre compte de ce qui va arriver, il faut soit avoir seulement BFM et Cnews comme source, soit vivre à Paris, soit vivre confortablement chez ses parents. Si demain Macron nous ressort la même purée insipide, la France va entrer dans un climat de révolte. Les "fumeurs de clopes", "provinciaux", "France d'en bas" ne sont pas fragile comme nous. Et ils représentent mine de rien 70% de la France. Si le gouvernement continue de mépriser son peuple, ou parler pour rien dire, la prochaine fois que Didier et Kevin vont venir à Paris ce sera pas pour "défiler pacifiquement". Pour ma part, soutiens total aux GJ. Quand le peuple est obligé de se déplacer à Paris pour se faire entendre, et qu'on l'accueil à coup de gazeuse et de jet d'eau tandis que l'Elysée est défendu avec des famas, je me demande comment certaines personnes peuvent encore croire qu'on vit en démocratie...
  2. Je suis le mouvement de loin car c'est tout de même intéressant de voir la génération précédente avoir un sursaut. L'instinct de survie du peuple qui lui fait arborer un symbole d'urgence dans un pays qui n'a plus de chef réel depuis + de 20 ans. Les Gilles et John c'est majoritairement des + 40 ans de la classe moyenne vivant en dehors des 3 + grosses villes de France. C'est le peuple quoi. Les gens qui ont l'impression de soutenir le pays sur leurs épaules et qui râlaient dans leur coin depuis des années. C'est les 3/4 du peuple Français en fait. L'âge médian en France métropolitaine c'est 40 ans, du coup le mouvement ne s'embrase pas contrairement à la Réunion qui a une population démographiquement plus jeune. Néanmoins, le gouvernement et les médias donnent l'impression d'assister à une invasion de zombies, comme s'ils découvraient l'existence de cette France qui est en réalité la racine même de notre nation. C'est par cette population que le pays tourne encore à peu près. Les mépriser ou se limiter à traduire leurs actions par la simple explication de la taxe éco est non seulement une grave erreur, mais une simplification dangereuse de la crise réelle qui étouffe la France. Le mouvement va peut-être s'éteindre, mais je crois que quelque chose s'est brisé. D'ailleurs, nous le ressentons tous inconsciemment. Il se passe un truc. Faut rappeler qu'on a actuellement plus de droite ni de gauche. Juste 2 extrêmes et un parti qui représente tout ce qu'il y a de plus abjecte dans la "France de l'Europe". Nous n'avons plus de syndicats qui fonctionnent uniquement grâce aux dons, c-a-d qu'ils ne sont pas indépendants. Le Français a compris qu'il est seul face à la machine infernale. Soit il tient bon et aura peut-être une chance de survie, soit il se fait bouffer et je vous conseil sincèrement d'envisager de quitter le pays dans les 3 ans si vous craignez le sang et les larmes.
  3. Alestan

    SnK chapitre 109

    Sur la théorie comme quoi Eren serait le père du futur enfant d'Historia : je suis partisan. On peut même supposer que l'enfant sera une fille, et qu'Historia l’appellera Ymir en hommage à son amie... ça ne vous rappel rien ? Une fille Eldian, de sang royal, née d'une reine et d'un père possédant le Titan Assaillant, et dont le nom est Ymir. La boucle est bouclée dans ce cas là : " à toi, qui vit 2000 ans plus tard..." Le problème est que le scénario risque de se répéter. Car si la faction pro-restauration de l'Empire remporte le game politique, alors l'histoire va retomber dans la même boucle infernale. Serait-ce le message de Snk ? L'histoire se répète encore et toujours. On ne peut pas briser le cycle de la haine. Cette conclusion me satisfait, mais je serais curieux de voir la solution qu'apporte l'auteur. L'amour joue un rôle clef dans Snk, et Eren Kruger, comme dit plus haut, à insister sur le fait que Grisha devait fonder une famille pour que "l'histoire ne se répète pas". Je suis un peu frustré de ne pas saisir les intentions d'Eren sur ces derniers chapitres. Est-ce qu'il a conscience du futur "reset" ? La fille d'Historia (et la sienne si la théorie s'avère exact) qui devient la Titan originelle, restaure l'Empire d'Eldian et envahie le continent ? D'une, ça se tient, car plus de persécution d'Eldian. De plus, Paradis est réellement la Terre-Mère des Titans (ce qui est génial quand on voit la manière dont le manga commence). Mais l'idée de la boucle comme fin de l'oeuvre me paraît trop simple tout de même. Après tout, au premier chapitre Eren se réveille après un long rêve. Comme dit plus haut, avec justesse, il semble qu'Eren arrive à communiquer avec son "moi" du passé. En fait, actuellement, Eren est l'être le plus puissant du monde. Il est un demi-dieu. Essaye-t-il de faire ce qu'il a toujours voulu faire, à savoir se débarrasser des titans ? Ainsi, au "reset", l'enfant d'Historia sera juste "reine". Ah, tant de mystères... Un Grand manga tout de même.
  4. Alestan

    Le Vagabond du Désert

    II - LE STRATEGE  La lune brillait encore dans la clarté de l'aube lorsqu'Alestan se réveilla. La bouche pâteuse et ses cheveux noirs emmêlés, il profita de la solitude matinale pour se laver dans le bassin du camp. L'eau était tiède et trouble, mais il fut ravi de se débarrasser de la crasse qu'il supportait depuis plusieurs jours. De plus, le fait d'être seul lui évita d'être questionné sur les nombreuses cicatrices qui sillonnaient son corps. Son dos gardait les traces du fouet, et certaines lacérations avaient si profondément altéré sa chair qu'il était difficile de croire qu'un homme puisse survivre à de telles blessures. En vérité, seul un miracle pouvait permettre à un mortel de se tenir debout après tant de mutilations.  Mais ce qui dérangeait le plus Alestan sur sa physionomie, c'était le glyphe tatoué sur sa poitrine. Un cercle entouré par sept clefs, dans lequel figuraient cinq runes et un croissant de lune. Les symboles formaient le mot « urkaëb », qui se traduisait par « ténèbres » en langage commun. Un homme comme Galan, s'il venait à contempler la chose, l'accuserait à juste titre d'être maudit. Le prêtre-guerrier aurait également raison d'affirmer que tous ceux liés de près ou de loin à Alestan se verraient frapper par une malédiction. L'Art des runes n'était pas à prendre à la légère et, bien que méconnu, la plupart des gens le craignait, faute de le respecter.  Une fois son bain terminé, il se rhabilla pour regagner sa tente. Les premiers rayons du soleil illuminaient le bivouac, et plusieurs soldats s'étiraient avec hardiesse dans le plus simple appareil. Certains lui jetaient un regard curieux, d'autres le surveillaient avec méfiance. Alestan trouva étrange d'être ainsi jugé par des hommes qui affichaient sans gêne leur attirail. L'un d'eux, remarquant son étonnement, l'interpella en saisissant vulgairement son entrejambe.  — T'en vois pas de cette taille dans ton pays radia !  — C'est vrai... Il faut dire qu'il n'y a pas de gorilles par chez moi.  L'autre rit sans comprendre, et Alestan retrouva son petit pavillon avec une expression navrée. Devant l'entrée, il aperçut une petite silhouette qui se tenait au garde-à-vous. Sa tunique était ample et brune, comme la plupart des Jelakim, bien que celle-ci dévoilait ses bras et son ventre. Les cheveux courts et bouclés, ce ne fut qu'en s'approchant qu'Alestan remarqua qu'il s'agissait d'une jeune femme. Ses traits délicats et ses grands yeux noirs n'y trompaient pas. Lorsqu'elle s'aperçut de sa présence, elle sursauta et se pencha précipitamment en guise de salutation.  — Second siège Oriana, se présenta-t-elle d'un ton tremblant. Je serai désormais à votre service, selon les ordres du prince Eliad.  — Ah... Non, protesta Alestan avec un rire nerveux. Non, non et non...   Il pâlit et se frotta les joues comme s'il venait de se réveiller après un mauvais rêve. Face à cette réaction, les oreilles d'Oriana virèrent au rouge et elle fixa ses pieds. Mais contrairement à ce qu'il espérait, elle ne bougea pas d'un pouce et s'exprima même d'une voix plus forte.  — Je ferai selon les désirs de mon seigneur. Je vous guiderai et je répondrai à vos questions sur notre histoire et notre culture.  — Bon, écoutez Orina...  — Oriana, le corrigea-t-elle.  — Oriana, reprit Alestan en dissimulant mal son irritation. Je sais que vous obéissez au prince mais je n'ai pas besoin de guide ou de quoi que ce soit. Je préfère vous le dire tout de suite pour ne pas vous faire perdre votre temps. Vous pouvez disposer.  Il fit un geste pour entrer dans sa tente, mais la jeune femme resta immobile, lui bloquant le passage. Il s'excusa en la poussant d'abord avec douceur, puis plus fermement en voyant qu'elle s'entêtait à ne pas le laisser passer. Alestan recula, un sourire crispé aux lèvres.  — J'aimerais entrer, signala-t-il.  Oriana resta figée, l'air embarrassée et ses grands yeux toujours baissés vers le sol. Exaspéré, il se pencha pour la forcer à le regarder.  — J'ai-me-rais en-trer, répéta-t-il en insistant sur chaque syllabe.  — J'ai reçu l'ordre de vous servir, dit-elle sans sourciller. Je ne bougerais pas tant que vous n'aurez pas accepté mes services.  — C'est ridicule !  La scène avait attiré quelques soldats qui les écoutaient avec attention. Alestan souhaitait simplement récupérer son manteau et son sabre ; il ne s'attendait pas à cette tournure des événements. Après avoir effectué quelques pas devant Oriana, il tenta soudainement de passer en force. Elle s'écarta et lui saisit le bras d'un mouvement vif. Sentant qu'elle s'apprêtait à l'attaquer, Alestan se dégagea pour revenir à son point de départ, troublé.  — Je peux savoir à quoi tu joues ? s'énerva-t-il en abandonnant toute politesse.  — Mon prince m'a ordonné d'utiliser la force si nécessaire.  Elle le regardait droit dans les yeux. L'intensité de son regard le frappa au cœur. Il y avait tant de pureté et de fierté dans ce regard, comme si elle le suppliait de l'accepter tout en le mettant au défi de l'affronter. Des murmures s'élevèrent parmi les hommes qui les observaient, et certains ricanaient en les pointant du doigt.  — Je vois... comprit Alestan. Il veut me « tester », c'est ça ? Il peut se fourrer le doigt où je pense s'il compte...  — Comment osez-vous ! s'indigna Oriana, le visage écarlate. Retirez immédiatement vos paroles sinon...  — Sinon quoi ?  — Sinon... reprit-elle, haletante. Sinon je vous forcerai à faire des excuses ici-même !  — Très bien, allons-y.  Alestan se mit en garde, la main droite dans le dos et la gauche tendue devant lui, paume vers le ciel. Oriana croisa les poings sous son menton, prête à en découdre avec lui. Elle faisait preuve de courage en acceptant un duel aussi déséquilibré, et il hésita à se donner un handicap. Mais réflexion faite, cela aurait été une atteinte à l'honneur de la jeune femme.  — Le premier à terre a perdu, énonça-t-il.  À peine eût-il terminé sa phrase qu'Oriana plongea vers le sol pour lui faucher les jambes. Alestan sauta, mais elle répliqua aussitôt par un coup de pied vertical qui manqua de peu son entrejambe. Sa souplesse l'impressionna, et son agilité témoignait d'un long entraînement acharné. Après s'être relevée d'un bond, elle enchaîna son offensive par une série de crochets rapides, qu'il dévia sans difficulté. Un autre que lui aurait certainement encaissé un ou deux poings bien placés dans la mâchoire. Pour Alestan, les attaques défilaient avec une telle lenteur qu'il pouvait pleinement profiter du joli visage concentré de son adversaire. Après deux minutes d'échanges ininterrompus, de la sueur perlait sur le petit nez retroussé d'Oriana, qui recula d'un pas pour reprendre son souffle.  — Pourquoi vous n'attaquez pas ? lui reprocha-t-elle.  — Je n'en ai pas le temps. Et je te prie de me tutoyer, on se connaît mieux maintenant. Un combat vaut plus que mille mots.  — Allez-vous accepter mes services ? demanda-t-elle, le regard brûlant.  — Tu n'as pas encore gagné.  Il lui adressa un clin d’œil, la faisant rougir d'indignation. Lorsqu'elle revînt à la charge, ses coups redoublèrent d'intensité. Alestan l'étudia tout en esquivant, de plus en plus intrigué par son adversaire. Il ne s'en rendait pas compte, mais les spectateurs étaient plus nombreux et ne riaient plus du tout. Oriana exécutait des mouvements d'une vitesse et d'une complexité prodigieuse. Quand au vagabond, il parait et évitait absolument tout au dernier instant, toujours au bord de la catastrophe. On jurait dans la foule que le pied avait touché le visage de l'étranger, qu'il perdait l'équilibre, que cette fois-ci était la bonne, mais rien n'y faisait.  — C'est Oriana... murmurait-on. Elle n'arrive pas à le toucher.  — Le second siège ? Celle de la garde du prince ?  — C'est un sorcier.  Plusieurs hommes se tournèrent vers le grand soldat qui avait prononcé ces mots, celui qui rencontra en premier Alestan, à l'entrée du village. Il regardait le combat en fronçant les sourcils, l'air inquiet.  — Il n'est pas humain, ajouta-t-il sombrement.  Oriana transpirait abondamment. Elle n'y comprenait rien. Elle se donnait corps et âme dans le duel, déterminée à faire respecter la volonté de son seigneur à cet étranger. Mais malgré tout ses efforts elle ne parvenait pas à percer la défense de son adversaire. Pire encore, elle pressentait que le moindre relâchement dans ses attaques pouvaient lui coûter la vie. Une crainte infondée qu'elle n'arrivait pas à ignorer. L'expression du vagabond n'était pas menaçante, mais elle avait l'impression d'avoir constamment un poignard sous la gorge. La moindre erreur, la moindre variation de rythme et les ténèbres l'engloutiraient.  Alors que toutes ses pensées se bousculaient dans la tête d'Oriana, Alestan profita de l'élan provoqué par un coup direct pour contre-attaquer. Toute l'assemblée des soldats retînt son souffle au même instant. En un battement de cil, d'un mouvement si rapide qu'il sembla instantané, le vagabond se retrouva derrière Oriana tout en lui maintenant les deux bras dans le dos. Il se contenta alors de lui faucher les jambes pour la faire basculer à plat ventre sur la terre battue, la retenant sciemment à un pouce du sol afin d'amortir la chute. Le duel était terminé.  Alestan, dont les réflexes dépassaient de loin ceux de ses semblables, s'avoua pourtant vaincu. Les yeux d'Oriana étaient rouges, et deux de ses larmes avaient mouillé le sol aride et impur du camp des soldats. Il se sentit si honteux qu'il cria à la foule admirative de se disperser, et après avoir aidé la jeune femme à se relever, il s'agenouilla devant elle.  — J'accepte ton service, et je m'excuse d'avoir manqué de respect à ton seigneur.  — Relevez-vous, je vous en prie, bredouilla-t-elle avec embarras.  — Pas de « vous » avec moi, je m'appelle Alestan. Al pour les intimes. Oriana essuya d'une main les larmes sur ses joues et serra celle que lui tendit le vagabond. Elle paraissait un peu plus joyeuse, même si sa défaite continuait de l'affecter. Son visage était très expressif, et malgré sa timidité elle ne cherchait pas à cacher ses émotions. Alestan récupéra son manteau et son sabre, puis il interrogea sa guide sur le programme de la journée.  — Nous avons encore une petite heure avant de retrouver le prince Eliad, l'informa-t-elle. Je peux vous... Je peux te faire visiter Osira, rectifia-t-elle.  — Je te suis.  Ils se dirigèrent vers la ville, parcourant dans un premier temps les quartiers touchés par la récente bataille. Oriana lui raconta comment son prince avait défendu les habitants contre l'armée des rebelles, récupérant la cité rue après rue, maison après maison.  — Toute cette partie sera à reconstruire, regretta-t-elle. Mais on les remplacera par des dômes plus solides, avec un enduit de terre cuite pour mieux isoler l'intérieur de la chaleur.  — J'ai vu quelques habitations de ce genre sur le chemin, se rappela Alestan.  — C'est une vieille tradition qu'on a retrouvée depuis quelques années. Le roi Araël a mené une grande campagne pour adopter ce type d'architecture.  Oriana le mena ensuite aux infrastructures essentielles d'Osira, ces lieux où la population se réunissait et participait à la vie en communauté. Ils visitèrent les bains, le lavoir, une école et plusieurs commerces, pour se rendre ensuite dans un amphithéâtre en plein air, où se déroulait la tribune du peuple.  — Chaque ville est gouvernée par une assemblée qui veille au respect des lois et au bon fonctionnement des services publics, le renseigna-t-elle. Elle est choisie au hasard chaque année parmi les habitants. Avant la guerre, toutes sortes de propositions, comme les plaintes ou les idées d'innovations, étaient compilées et envoyées au chef de la tribu. Puis, trois fois par an, un conseil des tribus se tenait à la capitale pour étudier les demandes du peuple en présence de notre souverain. Chaque région de Jelaka est sous l'autorité d'une tribu. Par exemple, Osira fait partie des Shakrina, les Léopards. Leur chef se nomme Meneïr, et il est fidèle au prince.  Alestan hocha la tête en signe d'approbation. Le système ressemblait à celui des clans d'Elanor. Oriana était ravie de lui parler de son peuple, insistant sur le fait que les Jelakim vivaient mieux sous le règne de la royauté. Ils terminèrent leur excursion au temple, qui se trouvait au Nord de la ville. Le bâtiment consistait en une vaste coupole d'or, percée d'une cheminée en son centre et soutenue par douze piliers minutieusement sculptés. Sous l'ouverture du dôme s'élevait un autel circulaire, où crépitaient des flammes dorées. Il s'agissait de l'édifice le plus ancien d'Osira.  — La légende veut qu'elles brûlent depuis la fondation du royaume, rapporta Oriana d'une voix mystérieuse.  — Un feu éternel, conclua Alestan, guère impressionné. On en trouve dans la plupart des lieux de cultes. Le combustible est un liquide mercuriel qui se recycle indéfiniment en se consumant.  — C'est l’œuvre des dieux, affirma-t-elle en joignant ses mains.  — Non, c'est l’œuvre de l'homme, la corrigea-t-il. Regarde ces inscriptions. Il est écrit : Par les Aerim de Daranor à la gloire de l'Esprit Universel. Qu'il éclaire les générations à venir, qu'il les guide en temps de paix, et dans les heures les plus sombres.  Oriana le dévisagea avec étonnement. Seuls les prêtres pouvaient déchiffrer les symboles gravés sur le marbre de l'autel, du moins les plus érudits d'entre eux, et avec l'aide de manuscrits antiques. Il était difficile de croire qu'un étranger puisse traduire une langue aussi ancienne et complexe d'un simple coup d’œil.  — Aerim est l'un des noms que nous donnons à la race des dieux, révéla-t-elle. Où as-tu appris à lire cette écriture ?  — Je connais un vieillard qui parle cette langue couramment, répondit distraitement Alestan. C'est d'ailleurs lui-même un Aerim, et je peux t'assurer qu'il n'est pas un dieu.  — Chacun est libre de croire ce qu'il veut, se défendit Oriana. Et selon les croyances de mon peuple, il y a un dieu qui sommeil en chacun de nous.  — Eh, pourquoi pas... C'est une façon de voir les choses. J'ajouterais même qu'il a un démon pour colocataire.   Elle fronça les sourcils, puis décrocha un sourire discret. Alestan avait conscience de la déconcerter. La grande majorité des gens le considérait comme une anomalie, voire une bête de foire. Son œil argenté, avec cette pupille verticale généralement associée aux prédateurs, lui donnait un regard difficile à soutenir. C'était comme s'il n'appartenait pas à ce monde. Pourtant Oriana n'éprouvait ni peur, ni curiosité déplacée. Elle cherchait simplement à le comprendre.  — Ta patrie ne te manque pas trop ? demanda-t-elle d'une voix douce, tout en contemplant les flammes.  — Un peu, avoua Alestan, même si je suis habitué aux voyages.  — Où es-tu allé ?  — Ara, attends voir... réfléchit-il en comptant sur ses doigts. J'ai visité la plupart des villes d'Aërdan, et j'ai vécu quelques temps à Fyren. Elanor, ça va de soi... Ademar en long et en large, mais pour de mauvaises raisons. J'ai vu Estelba et la vallée d'émeraude, bien qu'il ne reste que des grosses pierres couvertes de mousses. Les ruines ressemblent à des champignons géants de loin ! Je suis également passé par le Sentier des Larmes en me rendant à Albieros, on peut même apercevoir le Tertre du Traître depuis la route... Et si tu longes le Dovelion, tu verras le Veilleur de la Fleur du Soir. L'hiver est rude là-bas, mais ce n'est rien comparé aux Terres Gelées. On peut encore voir le cratère où se dressait autrefois la sublime cité de Varelden... Mais je vais m'arrêter là où on sera encore ici demain matin.  — Tu viens de me décrire le monde entier ! s'exclama joyeusement Oriana. J'aimerais tant voyager moi-aussi... Quand la guerre sera finie.  Elle avait ajouté cette dernière phrase sur une note de tristesse. Alestan la regarda alors prier avec ferveur devant l'autel, puis elle l'invita à retourner au camp pour se rendre au pavillon du prince. Les soldats étaient en pleine effervescence à leur arrivée. Des convois de vivres, d'armes et d'armures, soulevaient des nuages de poussière entre les tentes. Tous ces signes indiquaient que l'armée s'apprêtait à partir. Grâce à la présence d'Oriana, ils entrèrent sans être fouillés dans les appartements du prince.  — Ah ! les voilà !  Eliad les attendait autour de la table ronde en compagnie de Galan et de trois autres hommes. Il arborait un plastron de cuir sur lequel figurait un soleil percé d'une lance, et une grande cape beige était nouée autour de son cou par une broche en or. Ses yeux d'ambre étincelèrent en croisant le regard d'Alestan.  — Tu connais déjà Galan, capitaine de mon armée. reprit le prince. Voici Fouad, son lieutenant. À sa gauche, le premier siège Naïm et enfin mon grand ami, Meneïr, chef de la tribu Shakrina. Messieurs, je vous présente Alestan, envoyé de la reine Yilda.  Ils se saluèrent avec convenance, tout en se dévisageant. Fouad ressemblait à Galan par son imposante carrure et son expression naturellement sévère. Les deux étaient des guerriers vétérans, marqués par les combats et les épreuves de la vie. Naïm devait quant à lui être aussi jeune qu'Alestan et Eliad. Sa peau était sombre et ses cheveux frisaient sur son crâne. Enveloppé dans une large tunique blanche, il affichait un sourire aimable en se tenant bien droit, les mains derrière le dos. Quand à Meneïr, son apparence tranchait avec le reste. Il avait une longue barbe parsemée de gris, et sa tête était rasée sur les côtés. Des lanières de cuir serpentaient sur sa tunique brune en guise de protection, et une peau de léopard lui couvrait les épaules. Ses yeux étaient d'un bleu saisissant, presque électrique.  — Sommes-nous sur le point de partir ? demanda Alestan pour rompre le silence.  Eliad l'invita à s'approcher de la table, où était dépliée la même carte que la veille. Oriana resta derrière lui, légèrement en retrait. Il reconnut assez rapidement la région, avec la ville d'Osira figurant à l'extrémité du plateau d'Algoreb. Il remarqua trois autres cités majeures qui les séparaient d'un grand fleuve, et à l'Ouest de ce dernier, une forteresse avait été plusieurs fois entourées. Le prince hocha la tête vers Galan, qui exposa la situation à Alestan.  — Il y a deux jours, une armée a tenté de reprendre Osira en partant de Teneb, dit-il en pointant la plus proche des trois villes. Ils ont été entièrement défaits, même si la victoire nous a coûté cher... Mais selon nos sources leurs pertes restent largement supérieures aux nôtres. Nous allons donc porter un coup décisif sur Teneb puis, après avoir libéré la cité, nous récupérerons nos forces, gonflerons nos rangs et engagerons les deux autres villes. L'Est du fleuve sera sous notre contrôle, et nous pourrons alors envisager de prendre la forteresse d'Alkazir. Ce sera notre ouverture sur les Landes du Lion, et si les dieux sont avec nous, la reconquête d'Aradel.  Galan regagna sa place sous les regards approbateurs de Fouad et Naïm. Alestan demeura pensif, sans quitter des yeux la carte. Le plan était simple et se basait certainement sur une bonne connaissance du terrain. Il s'agissait aussi, et selon lui non sans raison, de la tactique la plus rapide. Le temps jouait-il contre les fidèles de la couronne ? Si c'était le cas, la stratégie ressemblait à une manœuvre désespérée. Eliad remarqua son intense réflexion, ce qui attisa sa curiosité.  — Parle Alestan, j'aimerais entendre ton opinion.  — C'est-à-dire... commença-t-il en caressant son menton, hésitant. J'imagine que ça peut marcher, « idéalement ». Si les rebelles ont effectivement essuyé des pertes plus importantes... Si les habitants de Teb-chose soutiennent votre combat et acceptent de s'enrôler. Alors oui, ça peut marcher... Enfin, si tout se passe comme prévu.  — Voilà ! s'exclama bruyamment Meneïr.  Le chef de tribu frappa dans ses mains à répétition, comme s'il venait d'énoncer un argument imparable. Galan leva les yeux au ciel, visiblement irrité. Tout portait à croire qu'Alestan avait soulevé un point important dans sa tirade ironique, et que Meneïr s'était jeté sur l'occasion pour relancer un vieux débat.  — Même le radia l'a vu ! s'excita-t-il en gesticulant. Inave wa nase nodaran ! Nodaran !  — Car vous avez un meilleur plan peut-être ? objecta calmement Fouad d'une voix grave.  — Nabekta... gronda Meneïr. Retirons-nous vers les cotes de la Mer Intérieure.  — Cela nous rapprocherait trop d'Elaris, contra Galan.  — C'est une terre neutre ! s'emporta le chef en frappant la carte du poing. Pourquoi êtes-vous autant effrayés par une bande de politiciens ?  — Car l'argent qui transite entre les cinq royaumes passe systématiquement par leurs mains, trancha le prince Eliad avant d'ajouter, sur un ton plus conciliant. Allons mes amis, ne nous emportons pas. J'ai conscience des défauts de notre stratégie, mais ce n'est pas en se terrant à Osira que nous remporterons la guerre.  — Sauf si l'ennemi pense que c'est le cas, proposa nonchalamment Alestan.  Tous les visages se tournèrent vers lui, et on n'entendit plus que le brouhaha des soldats à l'extérieur du pavillon. Oriana se mordait la lèvre inférieure, craignant qu'une nouvelle dispute éclate entre ses supérieurs. Seul Eliad donnait la curieuse impression de s'empêcher de sourire. Meneïr fut le premier à briser le silence, ses sourcils tellement froncés qu'ils ne formaient plus qu'un.  — Qu'est-ce qu'il raconte celui-là ?  — Si l'ennemi pense que votre armée est à Osira, mais qu'elle n'y est pas, reformula Alestan.  — Développe, l'encouragea Eliad.  — Imaginons que les rebelles interceptent un message qui affirme que vos troupes attendent l'arrivée imminente de renforts... Disons, des guerriers d'Elanor. Que feriez-vous à la place des ennemis qui occupent ces trois villes ?  — Si ces renforts arrivent dans les prochains jours, répondit Galan, je frapperais d'un coup décisif avant leur arrivée.  — Logique, reprit Alestan. Je ferais pareil. Je vide les garnisons des trois villes pour en finir une bonne fois pour toute. Et puis surtout, pas le temps d'en informer le haut commandement, je risquerais d'agir trop tard. Bon... Je réunis mon armée, je laisse quelques soldats derrière au cas où, et direction Osira ! Pof, j'arrive, on sonne les cors, j'investis la cité... Personne. Pendant ce temps, mon bon prince Eliad débarque chez l'ennemi et prend les villes les unes après les autres sans grande résistance. Je reviens un instant sur Osira... ajouta-t-il à demi-voix, comme si une idée venait de lui traverser l'esprit. Ah oui, oui... En fait, il y a des gens à Osira. Moins d'une centaine. Toutes les habitations ont été évacuées. Par contre, elles sont remplies de barils de poudre. Donc, l'armée rebelle investit la ville, fouille chaque recoin et... Bam !  — Bam ? répéta Meneïr en écarquillant ses yeux bleus.  — On fait sauter la ville, traduisit Alestan avec un large sourire. On la réduit en cendres, et l'ennemi avec.  On le dévisagea longuement, comme pour s'assurer qu'il n'était pas fou. Mais petit à petit, ils réalisèrent le potentiel de cette stratégie. Galan se massait la tempe en scrutant la carte, évaluant la préparation nécessaire pour mettre en place une telle tactique. Quand à Eliad, son regard s'était illuminé.  — On fera ce qu'il dit, approuva-t-il.  — Et les habitants ? protesta le chef de tribu. Vous n'allez quand même pas raser Osira ?  — Ils pourraient nous suivre, proposa Naïm, qui parlait pour la première fois. Teneb est à une journée de marche. Et je doute qu'ils refusent de quitter leurs maisons en apprenant qu'une immense armée s'apprête à les envahir.  — Et qui restera ? poursuivit Meneïr. Qui mettra la ville en feu ?  — Laissez-moi une cinquantaine d'hommes, trois canons et l'intégralité de votre stock de poudre, sollicita Alestan. J'espère que tu as conservé la lettre de ma reine Eliad.  Ils passèrent le reste de la matinée à finaliser son plan. Galan affirma qu'Osira pouvait être entièrement piégée en deux jours s'ils limitaient la zone à incendier. Le prince redonna la missive d'Yilda à Alestan, qui ôta délicatement le sceau d'Elanor et recopia parfaitement la signature de la reine sur un nouveau parchemin. La stratégie reposait sur la crédibilité du message à intercepter, et il fit un travail d'orfèvre pour le rendre officiel.  — Qui me dit que ce n'est pas toi qui a créé l'original de toute pièce ? plaisanta Eliad en examinant la copie.  Alestan esquissa un sourire mystérieux, et les grandes lignes de son plan furent achevées à l'heure du déjeuner. Meneïr fut chargé d'annoncer l'évacuation prochaine d'Osira, tandis que Galan et Fouad allèrent organiser les tâches auprès de leurs hommes. La mission la plus essentielle, qui consistait à faire intercepter le message aux rebelles, fut confiée à Naïm.  — Dans cinq jours, lui rappela Eliad. Nous partirons à l'aube.  Il ne resta bientôt plus qu'Alestan et Oriana en présence du prince. Ce dernier était enflammé, faisant les cents pas dans son pavillon en jetant parfois un regard étincelant vers le vagabond. Il frappa deux fois dans ses mains, et un serviteur s'empressa de débarrasser la table pour servir trois bols de ragoût. Dans le même temps, Eliad s'était approché d'Alestan pour lui passer un bras autour des épaules.  — Rusé ! l'accusa-t-il après avoir éclaté de rire. Ori, notre invité n'est-il pas le plus habile des stratèges ?  — Je... Oui... balbutia-t-elle, les joues empourprées.  — Tu sais, reprit Eliad à l'attention d'Alestan, mais sans quitter des yeux la jeune femme. Ori était la seule à avoir proposé une idée similaire. Son père, Galan, n'a même pas daigné lui accorder de crédit.  Alestan demeura impassible, mais il ressentit un élan de compassion pour Oriana. Elle détournait les yeux avec embarras, triturant machinalement la ceinture de son sarouel. Il fallait être aveugle pour ne pas comprendre ce qu'elle ressentait pour son prince.  — Mais pour songer à embraser une ville entière... ajouta Eliad. Il faut être fou ou avoir une âme damnée.  — Les deux, dit Alestan en se dégageant de l'étreinte du prince.   Il éprouva soudainement le désir d'être seul, et bien qu'il partagea son repas avec Eliad et Oriana, Alestan trouva rapidement une excuse pour s'éloigner du camp. Il marcha d'un pas rapide jusqu'au temple, et s'adossa à l'ombre d'un pilier, incapable de supporter plus longtemps les rayons ardents du soleil. En fermant les yeux, il retrouva en vision les paysages d'Elanor, et la quiétude des jardins d'Enur Kaneb. « Leomë, Caëlys... Même toi Milo ! Vous me manquez... » pensa-t-il avec nostalgie.  Alestan finit par s'endormir, et son esprit se trouva transporté dans une cité en ruine, profondément enfouie sous la croûte terrestre. Son apparence était celle d'un enfant, et il marchait vers un trône en pierre noire. Une femme y était enchaînée, enveloppée dans une brume de ténèbres. Elle l'invita à la rejoindre, et il frémit en levant les yeux vers son visage, dissimulé sous un masque en forme de crâne.  — Viens mon garçon, l'appela-t-elle tendrement. Tu n'as rien à craindre ici.  La peur le faisait trembler, mais Alestan se sentait irrésistiblement attiré par la voix. Lorsqu'il fut suffisamment proche, elle tira sur ses chaînes pour le prendre dans ses bras et l'installer sur ses genoux. Elle lui caressa les cheveux et le pressa contre sa poitrine. Sa peau était blanche et glaciale.  — J'ai bien vu la façon dont il t'utilise, murmura-t-elle avec une note de regret. Il te voit comme une arme... Un outil pour son ambition.  — Je veux aider son peuple, se défendit Alestan.  — Mais moi, je sais ce que tu ressens, poursuivit-elle en resserrant son étreinte. Mon pauvre garçon... Je suis la seule qui t'aime vraiment. Je suis la seule qui te comprend.  Ses longs doigts s'enroulèrent autour des poignets d'Alestan, et l'obscurité s'intensifia autour d'eux. Il aperçut brièvement le regard de la prisonnière, qui le dévisageait derrière son masque hideux. Deux pupilles verticales, cerclées de rouge, exprimaient une passion brûlante, presque oppressante.  — Utilise-moi, ordonna-t-elle d'un ton impérieux. J'ai senti ton désir dans cette tente... Égorge ces ingrats !  Les ongles de la femme s’enfoncèrent dans sa peau, et il se débattit pour chuter lourdement devant le trône. Alestan se releva pour s'enfuir aussi vite qu'il le put, résistant aux appels désespérés de la voix envoûtante.  — Non ! Pardonne-moi ! Je ne voulais pas... Alestan !  — Alestan ?  En ouvrant les yeux, il se trouva nez à nez avec Oriana. Il avait dormi jusqu'à la fin de l'après-midi, toujours adossé contre l'un des piliers du temple. Elle l'observait avec inquiétude, et avant qu'il ne puisse dire un mot, elle posa doucement sa petite main contre son front brûlant.  — Tu as de la fièvre, réalisa-t-elle. C'est dangereux de s'endormir sous le soleil de Jelaka.  — Je croyais être à l'ombre... marmonna-t-il.  Oriana l'aida à se remettre sur ses jambes, et il resta plusieurs secondes à regarder autour de lui, comme pour s'assurer qu'il était bien éveillé. Une crainte soudaine le poussa alors à tirer le col de sa chemise, puis il poussa un soupir de soulagement en constatant la présence du tatouage sur sa poitrine. Alestan récupéra son sabre qui gisait sur les dalles du temple, et après l'avoir accroché à sa ceinture il remarqua le regard interrogateur d'Oriana. Il venait certainement de passer pour un aliéné.  — La fièvre me fait perdre la tête, plaisanta-t-il avec un sourire forcé. Je devrais me reposer un moment dans ma tente.  — Allons manger, dit-elle en ignorant son étrange comportement.  Il la suivit à contrecœur jusqu'au centre d'Osira, où ils s'installèrent sur la terrasse d'une auberge. Après avoir passé commande, Oriana l'informa de l'avancée des préparatifs du plan. Alestan n'écoutait qu'à moitié. Il fixait avec un profond dégoût les traces d'ongles qui sillonnaient ses poignets.  — Désolée, s'excusa timidement Oriana. Je t'ennuie avec tout ça.  Il leva les yeux vers elle, réalisant à quel point sa conduite était malpolie. L'arrivée de leurs plats, de l'agneau en sauce, brisa le silence qui s'était installé entre eux.  — Enfin un plat qui m'a l'air comestible ! se réjouit Alestan.  — Profitons-en, il ne restera plus que de la soupe à partir de demain.  Le repas chassa ses sombres pensées, et il passa le reste de la soirée à plaisanter sur les curieux personnages croisés lors de son voyage. Oriana l'écoutait en se retenant tant bien que mal de rire, mais la dernière anecdote lui fit cracher son verre d'eau par le nez.  — Je n'ai pas compris ce que voulait ce soldat en jouant avec son entrejambe, fit-il avec le plus grand sérieux. Cherchait-il à reproduire le mouvement d'une hélice, comme celles des Perce-Nuages ? Peut-être qu'avec la bonne inclinaison et un vent favorable il se serait envolé jusqu'au désert... À moins que ce soit une technique secrète des guerriers de Jelaka ! Mais du coup, tu es désavantagée.  — Arrête ! protesta-t-elle, à bout de souffle. S'il-te-plaît, je n'en peux plus...  Ils bavardèrent ainsi toute la soirée, jusqu'au moment où Oriana commença à bailler et lui proposa de rentrer au camp. Ils se séparèrent devant sa tente, et Alestan la regarda s'éloigner avec un sourire attendrit. Elle lui avait remonté le moral sans chercher à le questionner sur son étrange comportement.  — Ce pays n'est pas si terrible... murmura-t-il en tapotant la poignée de son sabre. Je ne peux pas en dire autant de ce qu'on s'apprête à faire pour lui redonner un roi.
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    Le Vagabond du Désert

    Salut Arsène ! Merci pour ton retour 😃 J'avais envie de changer de paysage en effet ^^, et partir sur quelque chose de plus... politique. Mais je n'en dis pas plus, je vais poster la suite bientôt !
  6. Alestan

    Le Vagabond du Désert

    I - LE PRINCE SANS ROYAUME  L'air était sec et la chaleur déformait les contours de la ville sur l'horizon. Alestan avait voyagé trois semaines vers le Sud-Ouest depuis son départ d'Elanor, et ses provisions s'étaient épuisées l'avant veille. Seul au milieu d'un paysage de roches stériles, le jeune homme dégrafa une outre de sa ceinture pour humecter ses lèvres des dernières gouttes qu'elle contenait. Las et fatigué, il jeta la gourde au loin avant de reprendre péniblement sa route. Alestan égara ses pensées vers les vertes prairies et l'ombre des arbres de la contrée qu'il avait laissé derrière lui. « Mon royaume pour me jeter à l'instant dans les ruisseaux d'Elferden... » pensa-t-il en songeant à la fraîcheur de l'eau qui ruisselait dans la forêt.  La rencontre de sa botte contre une pierre le ramena à la réalité, et par conséquent à la raison de sa venue en cette région sauvage. Alestan palpa machinalement la missive qui se trouvait dans une poche de son manteau, laquelle avait été rédigée et signée par la main d'Yilda Fëalya, reine d'Elanor. Celle-ci s'adressait à l'héritier de ces terres hostiles, un prince exilé qui tentait de reconquérir sans grand espoir le trône de son père, usurpé par un coup d'état et une révolution sanglante. Le message, à peu de choses près, délivrait les lignes suivantes :  « Votre Excellence, suite à notre entretien je suis dans le regret de vous annoncer qu'il me sera impossible d'honorer pleinement mes engagements. Croyez en ma sincérité en vous exprimant mes excuses, mais aussi ma peine et mon inquiétude concernant votre situation et celle de votre peuple. Hélas, un mal semblable à celui qui frappa lâchement votre défunt père s'est immiscé dans mon royaume, et je ne puis me séparer pour le moment de mes fidèles soldats. Néanmoins, et malgré la honte qui s'empare de moi en écrivant ces mots, je tiens à vous apporter mon soutient en vous confiant l'un de mes meilleurs guerriers, si ce n'est le meilleur. Cette aide peut vous sembler ridicule aux premiers abords, mais je vous assure que sa force et son intelligence ne souffrent d'aucun rival en ce monde, car son destin est lié à ce dernier par un Art qui nous dépasse tous. Son nom est Alestan, et si votre père avait partagé avec vous le secret de nos origines, vous serez heureux d'apprendre qu'il est en vérité l'un des Sept. Je prie pour votre victoire et pour le bonheur de votre peuple, que Jelaka retrouve gloire et sagesse sous votre règne. Votre amie et alliée. Yilda Fëalya d'Elanor PS : Ne jugez pas trop vite ce jeune homme, et pardonnez sa conduite téméraire et impétueuse. Il n'y a pas d'ombre sans lumière. »  Alestan grimaça en se rappelant le contenu de cette lettre. S'il n'était pas autant redevable à la reine, et il l'était à un tel point que son cœur s'en serrait encore de reconnaissance, le jeune guerrier aurait fui à l'autre bout du continent sans demander son reste. Mais le voilà après maints péripéties, traînant ses pieds sur le sol aride du plateau d'Algoreb, aux portes du pays du sable et des oasis.  - Cette vieille pie, grommela-t-il à moitié délirant, et ces vautours qui me narguent... Venez plus près pour voir ! s'écria-t-il soudainement en levant le poing vers le ciel, l'autre main sur la poignée de son sabre.  Ce simple contact avec l'arme lui provoqua un étrange frisson, et il retrouva ses esprits. Le moment était mal choisi pour sortir imprudemment cette lame de son sombre fourreau. Sans compter qu'elle le tourmentait déjà insidieusement depuis plusieurs jours, comme si elle tirait profit de son irritation et de sa faiblesse. Alestan savait que trop bien ce qui risquait d'arriver s'il cédait à la tentation. Il était sensé apporter son aide à ce royaume en crise, et non pas l'engloutir dans les ténèbres. « Quoiqu'elles ont le mérite de refroidir l'atmosphère. » pensa-t-il avec sarcasme.  Alestan crût marcher encore de longues heures avant d'apercevoir distinctement les premières maisons de la cité où il se rendait. Carrées ou rectangulaires, dépassant rarement deux étages, ces demeures étaient pour la majorité faites de terre et de paille. Une palissade en bois, d'apparence neuve, entourait la ville, tandis que des hommes s'affairent à creuser un fossé à quelques pas de cette dernière. Alestan jeta un regard indifférent aux ouvriers en franchissant l'entrée, lorsqu'une voix l'interpella dans un dialecte étranger.  - Kalda !  Un soldat se précipita vers lui, le forçant à s'arrêter tout en brandissant sa lance. Il était grand, le teint mât et les cheveux noirs. Une armure de cuir légère couvrait sa tunique ample et souple, qui avait la même couleur que le sable. Ses yeux sombres le dévisageaient suspicieusement, allant de son visage à son sabre.  - Dab rinate osi ? questionna-t-il sévèrement.  - Qu'est-ce que tu me chantes ? rétorqua Alestan, agacé.  - Que fais-tu ici Radia ? répéta l'homme dans le langage commun.  Quelques habitants s'étaient arrêtés pour les observer avec une curiosité craintive. D'un simple coup d’œil, le jeune homme devina que les gens du coin avaient récemment subit une épreuve douloureuse, et la construction hâtive de défenses autour de la ville trouva une explication. Alestan baissa légèrement la tête en signe de politesse, et prit un ton plus doux.  - Je viens pour une affaire de la plus haute importance, dans votre intérêt croyez-moi. ajouta-t-il devant l'expression méfiante du garde. Je dois rencontrer le prince Eliad Amaëna, et vous rendrez un grand service à votre seigneur en me menant au plus vite auprès de lui.  - Rencontrer le prince ? Rien que ça ?  L'homme éclata d'un rire bruyant, puis il porta les doigts à ses lèvres pour émettre un long sifflement. Trois soldats accoururent promptement pour encercler Alestan, qui ne put retenir un soupir. La soif asséchait sa gorge et son estomac criait famine. Il transpirait à grosses gouttes et sa patience était déjà à ses limites. Le garde reprit la parole, déterminé à soumettre l'intrus à un interrogatoire détaillé.  - Et pourquoi un blanc-bec comme toi devrait rencontrer notre chef ? Un vagabond sans le sous, et armé qui plus est ! Regardez-moi ce teint pâle ! lança-t-il à l'adresse de ses compagnons. Les yeux n'ont pas la même couleur en plus de ça. Une gobille verte et l'autre... Ah mais ma parole ! s'exclama-t-il en haussant ses épais sourcils. T'es un maudit ! Il a la pupille du reptile ! Arrêtez-le !  L’œil en question était gris comme de l'argent poli. Une fine cicatrice le barrait pour se terminer en croix sur la joue du jeune homme. La fatigue qui marquait son visage s'estompa momentanément, et après avoir vivement redressé son dos courbé, Alestan toisa le soldat d'un regard impérieux.  - Assez ! commanda-t-il.  Les hommes qui l'entouraient s'immobilisèrent, comme pétrifiés. Ils semblaient rétrécir en sa présence, et le soleil lui-même donna l'impression de s'être voilé. Le malaise passé, Alestan fit mine de s'éloigner, mais le garde qui l'avait insulté s'empressa de le saisir par le bras.  - Tu restes ici rad...  Sa voix s'étrangla, il poussa un glapissement et le relâcha aussitôt. Le soldat et ses camarades regardèrent Alestan s'éloigner avec une expression de surprise mêlée de crainte. Le jeune étranger se courba à nouveau en marchant avec lassitude, mais les quatre hommes n'osèrent pas le poursuivre. Ils s'étaient figés de terreur en observant sur le sol l'ombre du vagabond, qui rengaina un sabre avant de reprendre sa forme ordinaire.  Alestan se trouva fort embarrassé par cette altercation. Il errait désormais au hasard dans les rues de cette cité dont il avait oublié le nom. Il tenta de se renseigner auprès des habitants mais ceux-ci le fuyaient comme la peste. Sans un sous en poche, il ne lui restait plus qu'à compter sur sa chance. Ce dernier recours lui arracha un sourire narquois, « autant rebrousser chemin et rentrer au pays » .  Cependant, des traces de sang sécher sur la terre battue et les premières effluves d'une odeur nauséabonde le poussèrent à lever les yeux au ciel. Comme il s'y attendait, plusieurs charognards décrivaient des cercles au-dessus d'un endroit précis, à quelques pâtés de maisons de là. Alestan s'y rendit et découvrit une grande place pavée, sans doute destinée aux jours de marchés. Mais à la place des étales et des marchands, il y trouva des guerriers et des charrettes sur lesquelles s'amoncelaient des tas de cadavres. Les soldats dépouillaient les corps sans vie de leurs armes et armures ; la puanteur était si insupportable que le jeune homme se couvrit le nez avec son foulard.  Il y avait au moins une centaine d'hommes affairés à cette tâche ingrate, et trois fois plus de morts. Des traces d'une récente bataille marquaient les murs des maisons, et pas un seul citadin était visible aux alentours. Alestan traversa la place macabre en détaillant les guerriers, dont l'expression morose indiqua un moral au plus bas. Il chercha des yeux celui dont le visage lui semblait le plus sympathique, et le trouva sur un soldat d'âge avancé, robuste malgré ses cheveux grisonnants.  - Melda, l'accosta poliment Alestan, pouvez-vous renseigner un voyageur égaré ?  L'homme, qui retirait une cote de maille ensanglanté à un cadavre mutilé, se tourna vers lui avec étonnement. Il ne sût s'il devait ignorer l'étranger où le dénoncer à ses camarades. Après un instant d'hésitation, il se dressa sur ses jambes pour faire face à Alestan. Sa voix était grave et rocailleuse, et bien qu'il parla avec autorité, son regard demeurait bienveillant.  - Comment êtes-vous parvenu à franchir l'enceinte ? Nul ne doit entrer ou sortir de la ville. Ne voyez-vous pas que nous sommes en guerre ? ajouta-t-il en désignant la scène sordide qui les entourait.  - Les gardes de la porte m'ont laissé passer en apprenant ma mission. répondit Alestan avec assurance. Il se trouve que ma présence est justement liée à cette guerre.   Afin d'appuyer ses paroles, il présenta au soldat la missive de la reine Yilda, laquelle était cachetée par le Sceau d'Elanor ; une salamandre à trois têtes cerclée de feuilles de chêne. Bien que la lettre demeurait scellée, le vieil homme l'examina longuement, son visage passant du trouble à la surprise, puis de la surprise à la joie. Des larmes brillaient dans ses yeux lorsqu'il redonna la lettre à Alestan.  - Par l'amour divin ! se réjouit-il. Les Elnaë nous viennent en aide ! Ils ont répondu à l'appel ! C'est le destin qui vous envoie ! Mais pourquoi ne me l'avez-vous pas dit d'entrer de jeu ? ria-t-il avec embarras. Votre allure n'y trompe pas, il y a en vous la noblesse d'un capitaine. Vos guerriers sont les bienvenus ! Où avez-vous établi votre camp ?  - Je suis seul. l'informa sans détour Alestan. Le royaume d'Elanor est en proie à une crise semblable à la vôtre. Aucune armée ne quittera l'orée de la forêt du monde.  L'expression du soldat se décomposa devant la franchise de l'étranger. Il sembla même lutter pour ne pas l'envoyer paître, et ses mains tremblèrent contre ses hanches, résistant à la tentation de les porter sur son visage honteux. Alestan l'observait avec compassion, mais il se sentait si faible qu'il souhaitait au plus vite mettre fin à ses recherches.  - Allons, allons. le réconforta-t-il maladroitement. Ne désespéré pas. Je n'ai pas fais deux-cent lieux pour rien. Conduisez-moi à votre prince, je dois lui faire parvenir un message de la plus haute importance, vital même !  - Je ne sais pas si...  L'homme se tortillait les mains, ne sachant quelle décision il devait prendre. Alestan fouilla dans une poche de son pantalon pour en tirer une chaîne d'argent, qui retenait un anneau sculpté en deux serpents. Un diamant brillait de mille feux entre leurs crochets. Il offrit le bijou en gage de bonne foi au vieux soldat qui, après avoir plusieurs fois refusé, finit par le prendre dans sa main fébrile.  - Je vous le rendrais après votre entretien avec mon prince, assura-t-il.  - Peu importe, guidez-moi.  Alestan le suivit jusqu'à l'extrémité Ouest de la ville, où la plupart des habitations étaient en ruines et désertées par leurs habitants. Des traces d'incendies indiquaient que des bouches à feu avaient été utilisés au cour de la dernière bataille. « C'est donc à ce type de guerre que je dois m'attendre. » regretta silencieusement Alestan qui, malgré son jeune âge, avait déjà participé à de nombreux conflits.  Son guide le mena à quelques pas hors de la cité, où s'étendait un deuxième village formé de tentes, en toile sombre et triangulaire. Le campement était assez vaste, pouvant héberger au moins cinq cents hommes. Des soldats au repos s'enivraient et jouaient aux dés sans leur accorder un regard. Ils passèrent devant des écuries en plein air, des stocks de poudre et quelques canons pour ensuite arriver au centre du bivouac. Un grand pavillon leur faisait face, étroitement surveillé par d'impressionnant guerriers en armure dorée.  - Attendez-moi ici. Dit son guide d'un ton peu rassuré.  Alestan l'observa rejoindre les gardes de la tente princière, puis écouta sans comprendre la discussion animée qui s'en suivit. On le désigna d'un geste, et le vieil homme se prosterna plusieurs fois avec respect. Les voix montèrent d'un cran puis se calmèrent, lorsque finalement deux des soldats richement armés se dirigèrent d'un pas ferme vers lui. Alestan chercha le regard de son guide, mais ce dernier fixait anxieusement le sol. Il souhaita lui demander si tout allait bien, mais le duo de guerriers le saisirent brusquement par les épaules pour le forcer à s'agenouiller. Ils le fouillèrent minutieusement, s'emparèrent de son sabre et de la missive de la reine, puis on le releva pour le questionner.  - Ton nom, ton royaume et la raison de ta venue, lança l'un des gardes en le regardant droit dans les yeux.  - Alestan né sans nom, renseigna-t-il sans ciller, Drake de la Reine Yilda d'Elanor, je viens rencontrer votre seigneur sur la demande de cette dernière.  - Qui sont tes parents d'adoption et que font-ils ? poursuivit le guerrier.  - Je n'en ai pas... Pas officiellement.  - Ton âge et la « véritable » raison de ta venue.  - Je ne connais pas mon âge et je viens m'entretenir avec votre prince.  L'homme approcha son visage à un pouce du sien, le foudroyant de ses yeux noirs. Des runes étaient tatouées sur ses joues, qu'Alestan reconnues aussitôt. Elles se traduisaient par Edaïr Erilia, Gardien de la Vérité dans le langage perdue de l'Ouest. Le soldat était sans doute un adepte de l'Art.  - Il ne ment pas, déclara-t-il, rendez-lui son arme.  - Maste, Daranorelim, le remercia aimablement Alestan.  L'homme haussa un sourcil, puis il étira mystérieusement le coin de ses lèvres. Lorsque l'on eût remit au jeune voyageur son sabre et sa lettre, son inquisiteur fit signe aux soldats de reprendre leur poste avant de l'inviter à le suivre.  - Je me nomme Galan, se présenta-t-il. Je suis l'un des prêtre-guerriers du prince. J'espère que tu apportes de bonnes nouvelles, car l'heure est au deuil parmi les fidèles de la couronne. Ared, ajouta-t-il en s'adressant au vieux guide, suis-nous.  L'homme se pencha trois fois avec ferveur, puis marcha aux côtés d'Alestan sans détourner son regard du sol. Ils pénétrèrent dans le grand pavillon après avoir ôté leurs bottes, et traversèrent un vestibule où les visiteurs devaient déposer leurs armes. Ils arrivèrent ensuite dans la pièce principale, richement décorée par d'épais tapis et des tentures. Le prince et deux de ses conseillers étudiaient une carte, dépliée sur une grande table ronde finement sculptée. En voyant son seigneur, Ared se prosterna avec passion. Galan se pencha avec la main sur le cœur, attitude qu'imita aussitôt Alestan.  - Pardonnez-nous d'interrompre votre réunion mon prince, s'excusa le prêtre-guerrier, mais un émissaire de la reine d'Elanor à traverser l'Algoreb pour vous rencontrer.  Eliad Amaëna leva lentement les yeux vers eux. C'était un homme de grande stature, guère plus vieux qu'Alestan. Son visage avait une forme de diamant, avec des traits fins dissimulés sous une barbe naissante. Sa longue chevelure noire était tressée vers l'arrière de son crâne, et son regard d'ambre brillait comme sous l'effet d'un feu invisible. Sa tunique était cousue de fils d'or, et une amulette sertie de rubis reposait sur sa poitrine.  - Elanor ? répéta-t-il à demi-voix, avant de se tourner vers ses conseillers. Ce sera tout pour aujourd'hui, laissez-nous et que personne ne nous dérange tant que j'en aurais pas terminé avec notre visiteur. Et relevez ce vieil homme, s'irrita-t-il, Galan, relève donc ce soldat !  Ared se remit sur ses jambes tandis que la table fut débarrassée, et ne resta dans la pièce plus que le prince, le vieux soldat, Alestan et le prêtre-guerrier. Eliad frappa deux fois des mains et un serviteur arriva comme par magie pour apporter des coussins, du vin et quelques mets modestes. Ils s'installèrent et ne pouvant se retenir plus longtemps, Alestan se jeta sur la boisson et la nourriture. Son comportement arracha un éclat de rire au jeune souverain, qui observait intensément l'étrange voyageur.  - La route n'a pas été de tout repos à ce que je vois.  - Surtout aux portes de ton royaume, acquiesça Alestan après avoir vider d'une traite sa coupe. Mon sang est trop épais pour le désert.  - Le désert ? répéta Eliad avec un sourire. L'Algoreb est une promenade de santé en comparaison.  - Et je te prierai de t'exprimer avec plus de respect envers notre seigneur, le corrigea Galan, qui s'irritait du comportement d'Alestan.  - Laisse, dit le prince sans quitter des yeux son invité. Je pensais que les Elnaë avaient les cheveux clairs et la barbe épaisse, mais ton apparence contredit mes croyances. Les guerriers des forêts sont-ils semblable à toi ? Impoli, les cheveux gras et sombres, et le regard défiant ?  Alestan interrompit son repas pour examiner plus attentivement la figure d'Eliad. Il ignorait si son hôte était courroucé ou amusé, et à la vérité il s'en fichait royalement. Il n'avait pas fait le voyage dans ce pays aride pour se faire juger, et pire encore, moquer.  - Non, répondit-il doucereusement, non... La grâce et l'agilité des Elnaë n'a pas son pareil dans les cinq royaumes. Tous les autres peuples que j'ai pu croisé lors de mes nombreux périples m'ont paru lourdauds et vulgaires en comparaison. Il faut dire que le sang qui coule dans les veines des fils et des filles d'Elanor est semblable à celui des Enfants du Ciel. Ils parlent le langage des oiseaux, et leurs yeux peuvent voir les esprits de la forêt. Moi... reprit Alestan devant les visages offensés de son auditoire, moi je ne suis pas touché par cette grâce divine. Je suis né dans les terres gelées, au-delà des chaînes du serpent. Dans une région maudite et souillée, autrefois riche et glorieuse. J'ai crû comprendre que ma mère était l'esclave d'une race monstrueuse, mi-reptile, mi-homme, et qu'elle s'est échappée des cavernes où elle était retenue avec son nourrisson dans les bras. Elle traversa les neiges éternelles pieds nues, et c'est son cadavre qui me maintînt en vie. Ainsi, prince Eliad, pardonnez mon impolitesse car elle me vient de ces origines sordides, et excusez mon regard, car il est né d'une relation impure et contre-nature.  Un silence de plomb s'abattit dans la pièce. Ared se couvrit le visage de ses mains tremblantes, et Galan, hors de lui face à tant d'insolence, esquissa un geste pour punir Alestan. Le prince leva la main pour l'en dissuader, et bien qu'il gardait une expression apaisée, des éclairs brillaient dans ses yeux.  - Mes paroles t'ont blessé, je m'en excuse. fit-il en penchant légèrement la tête. Une telle fierté cache certainement une grande bravoure. Ne perdons pas plus de temps en bavardages inutiles, quelle est la raison de votre venue ?  Sans dire mot, Alestan tendit la missive de la reine Yilda à Eliad, qui l'examina sous tous les angles avant de la décachetée. Le prince lut la lettre une première fois avec un visage impassible, puis une deuxième fois où il fut incapable de cacher sa déception. Lors de sa troisième lecture, il sembla en proie à une vive colère avant de lâcher un long soupir, pour finir par se laisser retomber mollement sur ses coussins, le message froissé négligemment dans sa main.  - Mon prince ! Mon prince, tout va bien ? s'inquiéta Galan, à deux doigts de se précipiter vers son seigneur.  - Laissez-moi seul avec lui. ordonna Eliad d'un ton morne. Que personne ne nous dérange, apportez de la liqueur et donnez cinq derim au vieux soldat.   La mine abasourdie, le guerrier-prêtre exécuta les consignes de son seigneur. Ared, après avoir reçu son argent, se prosterna à nouveau devant le prince et rendit la chaîne avec son anneau confiée plus tôt par Alestan. Celui-ci se trouva désormais seul avec le prince, et l'attitude d'Eliad changea du tout au tout. Il s'étira, versa deux coupes de liqueur et ramena deux longues pipes d'ivoire ainsi qu'un grand pot d'herbe à fumer. Il ressemblait à un jeune homme des plus ordinaires, las et soucieux. Après avoir expirer un premier nuage de fumée, il s'adressa à Alestan avec une surprenante familiarité.  - Je n'ai plus qu'à me saouler, ricana-t-il. Noyer mes espoirs dans la liqueur...  - Qu'est-ce qui vous arrive tout d'un coup ? s'étonna Alestan après avoir allumé sa pipe. Les mots de la reine vous ont fait perdre la tête ?  - Assez des « vous » et des formules ! s'irrita Eliad. Un prince sans royaume n'a que faire de ces choses. Mon dernier allié vient de s'en aller... Il me reste plus de toi vagabond. Si la « légende » dit vraie, ajouta-t-il sur un ton sarcastique, tu me suffiras à reconquérir le trône. On partira les deux à l'aube, comme des voleurs... Direction Aradel ! Ah... Misère...  - Mais la légende dit vraie, lui assura Alestan. Sept fragments pour sept guerriers, une pierre forgée dans le sang pour dominer les éléments...  - Et à la fin du Cycle, la Cité Céleste consumée par l'Abîme renaîtra de ses cendres, l'interrompit le prince. Je connais la chanson. Mon père me contait les mêmes fables au palais.  Eliad se resservit de la liqueur avec un rictus goguenard. Repus et libéré de sa soif, Alestan retrouva ses forces et la vivacité de son esprit. Ce prince avait besoin d'une leçon, même si la guerre qui déchirait son pays était en grande partie la cause de ses désillusions.  - Il n'y a rien de plus vrai que ces fables, le corrigea-t-il. Elles renferment l'immense sagesse de nos ancêtres, et les leçons qu'elles délivrent surpasses en tout point celles des temples et des écoles. Ce n'est pas pour rien que les rois doivent les apprendre par cœur dès leur plus tendre enfance.  - On voit bien où cela nous a mené. dit Eliad avec ironie. La révolution du peuple n'a que faire de ces sottises. Les imbéciles, marmonna-t-il avec chagrin, ils se rebellent contre l'injustice et la pauvreté, tout ça pour se condamner à un monde encore plus pauvre et plus injuste...  - Le peuple ne peut donc pas se diriger lui-même ? demanda Alestan avec une fausse incrédulité.  - Mais comment ? s'énerva le prince. En se choisissant un pantin qui jouera mon rôle jusqu'à ce qu'ils se lassent de lui ? Une marionnette à la merci de riches individus, qui ne pensent qu'à leurs propres intérêts ? Ils enverront ces pauvres révolutionnaires guerroyer pour des mines d'or sous prétexte qu'elles appartiennent à des barbares ! Mais ce sont eux les barbares ! Et qui prendra ma place ? Un marchand boursouflé à la langue bien pendue, placé sur mon trône sur de fausses promesses, acclamé par une foule d'idiots sans éducation ! Les même qui ont acclamé le bourreau qui cloua mon père sur les portes du palais ! Non Radia... Le peuple ne peut pas se diriger lui-même. Sans aimer ou haïr la même figure, ils s'autodétruiraient.  Eliad était à bout de souffle à la fin de sa tirade, mais ses yeux brûlaient à nouveau d'un feu intérieur. Alestan avait ravivé l'étincelle, et il pouvait presque voir le légendaire Gildae derrière ce regard d'ambre passionné. Il fallait plus qu'une mauvaise nouvelle pour éteindre la lumière d'une lignée millénaire. Le vagabond s'amusa à faire quelques ronds de fumée avant de relancer le prince sur la même voie.  - Pardonne mon audace, mais en quoi serais-tu un meilleur choix pour diriger ce royaume ?  - Comment oses-tu... commença Eliad avec fureur, avant de se reprendre plus calmement. Je suis né pour guider mon peuple ! Mes précepteurs m'ont gavé de textes de lois et de l'histoire de Jelaka alors que je tenais à peine sur mes jambes ! On m'a inculqué le sens du sacrifice et celui de mon devoir sacré alors que les enfants de mon âge apprenait seulement à écrire leur nom. Je suis né pour donner ma vie au royaume, et je mourrais pour lui... Si un corrompu veut me détourner des intérêts de mon pays avec un coffre remplit d'or, je fais fondre les pièces pour les lui faire couler dans la gorge ! Trouve un meilleur choix que moi pour aimer et défendre Jelaka ! Allez ! Dis le moi Radia !  - Présenté ainsi, je ne vois pas un autre que toi sur le trône, reconnu Alestan avec un sourire énigmatique.  Le prince Eliad s'était levé sans en être rendu compte. Il essuya la sueur de son front et se rassit lentement, le dos bien droit. Il réalisa que l'étranger venait de le manipuler pour qu'il retrouve son rang et sa fierté. Cet envoyé d'Elanor était un drôle de personnage. Pas impressionnable pour un sous, et dangereusement téméraire. Ne savait-il pas qu'un simple ordre du prince pouvait le condamner à mort sur le champ ? La curiosité d'Eliad était plus que jamais éveillée. Il remplit la coupe d'Alestan jusqu'à ras bord et s'employa à l'interroger.  - D'où vient cette cicatrice ? demanda-t-il en désignant l’œil mystérieux du jeune homme.  - Je n'en ai aucune idée.  - La reine Yilda a écrit que tu es l'un des Sept, poursuivit le prince. De quoi s'agit-il exactement ? Possèdes-tu un pouvoir ou quelque chose de la sorte ?  - Et bien, oui. répondit distraitement Alestan. Oui, on peut dire ça. Il y en a six autres comme moi de part le monde. Mais je n'en connais que deux.  - Par les dieux, sois plus clair ! le pressa Eliad. Est-ce une faculté comme celle de Galan ? Il peut voir la vérité dans les yeux des hommes.  - Non, ce n'est pas la même chose... Lui a juste apprit un peu d'Art de ce que j'ai vu. Moi j'ai acquis mon don par la source même de cet Art.  - De quel art parles-tu ? Les Runes ? La sorcellerie ? Parles je te l'ordonne !  - Mieux que te le dire, je vais te le montrer.  Eliad autorisa Alestan à ramener son sabre afin de lui faire une démonstration. Le prince demanda à examiner l'arme, qui possédait les caractéristiques des forgerons d'Aërdan, le royaume qui se trouvait à l'extrême Orient du sien. La poignée était lassée de cuir noir, et elle se terminait par un croissant de lune en guise de pommeau. La garde représentait quand à elle deux serpents entrelacés, avec une pierre d'onyx à la place des yeux. Le sabre était anormalement lourd, et quelque chose d'à la fois inexplicable et malsain s'en dégageait. Malgré tout ses efforts, Eliad ne parvînt pas à retirer le fourreau en bois d'ébène, si bien qu'il finit par rendre l'arme à Alestan, préférant ne pas se ridiculiser d'avantage.  - La liqueur fait son effet. plaisanta-t-il avec embarras.  - Je suis le seul à pouvoir dégainer ce sabre, révéla l'invité avec le plus grand sérieux. Il n'a pas été forgé dans ce monde, mais dans un lieu où le temps et l'espace est différent du nôtre. Il y avait autrefois plusieurs passages pour s'y rendre, mais il n'en reste plus qu'un de nos jours, dans une petite cité logée au cœur des collines. Celui qui a crée ce sabre vit toujours, et pourtant il marchait jadis aux côtés des fondateurs des cinq royaumes, lorsque la vallée d'argent et la voûte des étoiles n'étaient pas encore séparées par l'abysse des eaux.  - Que de poésie ! le félicita le prince, amusé.  Le sourire d'Eliad s'évanouit aussitôt qu'Alestan ôta le fourreau pour en révéler la lame. La tente plongea dans l'obscurité la plus impénétrable, et la température baissa si drastiquement que le prince frissonna de la tête aux pieds. Peu à peu, des symboles s'illuminèrent d'une pâle lueur rouge sur le tranchant du sabre, dévoilant sa forme légèrement incurvée et le métal qui avait servit à le forger. Mais Eliad fut incapable de décrire cette matière, si ce n'est qu'elle lui rappelait les ténèbres séparant les étoiles. Enfin, incrustée dans la base de la lame, il vit un fragment de pierre d'une teinte identique à celle du sang. Un mouvement de fluide semblait s'opérer sous sa surface, mais le prince ne put en voir plus, car Alestan rangea le sabre dans son fourreau. L'obscurité disparut en un instant, et la pièce retrouva sa chaleur familière.  - Par les dieux... balbutia Eliad. Je n'ai jamais rien vu de pareil. Mais comment... Ai-je bien vu ?  - Tu as bien vu prince, certifia Alestan. Mais n'en parle pas à tes sujets, même aux plus fidèles. Ma tête est mise à prix et mes ennemis ont des oreilles partout.  - Je ne dirais rien. Mais quand même... Yilda m'a donc réellement envoyé son meilleur combattant ! Ton pouvoir pourrait même renverser le cour de la guerre !  Eliad serrait fermement la main d'Alestan dans les siennes en prononçant ces mots. Il imaginait déjà des tactiques usant de l'avantage procuré par le sabre ; des opérations nocturnes, des diversions ingénieuses, allant même jusqu'à imaginer une infiltration dans les rangs des rebelles.  - Quelle est la portée de cette obscurité ? demanda-t-il avidement. Peux-tu choisir la cible à aveugler ? Ah ! Et dire que je désespérais... Nous allons accomplir de grandes choses !  - Je préfère ne pas utiliser ce sabre, déclara sévèrement Alestan. En vérité, je ne l'utiliserais qu'en cas d'extrême nécessité, et seulement pour défendre... Car je n'ai aucun contrôle sur lui, où plutôt, sur « elle ». Mon rôle est de vous protéger et vous conseiller, ni plus, ni moins.  Un voile d'ombre passa sur le visage du prince, et il parut terriblement déçu. Il se ressaisit rapidement et reprit place sur les coussins pour remplir à nouveau les coupes de liqueur.  - Oui... murmura-t-il, comme perdu dans ses pensées. Oui je comprends. Ce combat est le mien. Tu disais qu'il en existe six autres comme toi ? Qui l'aurait cru... Voilà que les contes se mêlent à la réalité.  - Il en a toujours été ainsi, dit Alestan en s'agenouillant, son sabre à ses côtés. Les gens ont juste oublié... Ils se contentent de voir avec leurs yeux et entendre avec leurs oreilles, alors qu'ils voient et entendent dans leurs rêves sans utiliser ni l'un, ni l'autre.  - Tu parles comme un mystique. ricana Eliad. Mais tes mots sonnent justes. Mon père s'exprimait ainsi lui-aussi... C'était un homme honorable. Un roi sage et humble...  L'alcool avait fait son effet sur le prince, et Alestan vit avec surprise une larme rouler sur sa joue. Eliad lui raconta que son père, Araël de Jelaka, tenta de mettre fin à la révolte d'une manière pacifique. Mais au cour des longues négociations, certains de ses généraux profitèrent de la révolution pour organiser un coup d'état, enfermant le roi et ses proches dans une partie du palais d'Aradel. Le pouvoir se scinda alors entre l'armée et les rebelles, mais leurs dissensions firent éclater une guerre civile dans la capitale. Les révolutionnaires remportèrent la ville et assassinèrent l'ensemble de la famille royale, des enfants aux vieillards, jusqu'aux servants.  - Ils ont attaché mon père, puis ont violé ma mère et mes sœurs avant de leur briser le crâne à coups de bâton... décrivit Eliad, la gorge serrée. Jusqu'à son dernier souffle, maman les supplia de nous épargner. Je vois son visage dans mes rêves... Et ceux de ses bourreaux. Ils emmenèrent ensuite papa sur le balcon du palais, il ne cessait de me répéter « pardonne-leur Eliad, pardonne notre peuple ». Je me suis retrouvé seul avec deux de ces meurtriers. Ils comptaient certainement me tuer, mais c'est là que Galan, sur ordre de mon père sans doute, fit irruption pour les abattre et s'enfuir avec moi. La foule hurlait de joie en voyant leur roi se faire clouer, ignorant que son fils s'échappait à leur insu.  Alestan resta silencieux, incapable de commenter une telle tragédie. Il se demanda si un retour du prince serait bien accueilli par le peuple. Le royaume de Jelaka était essentiellement composé de tribus disparates, dont l'union résidait dans l'allégeance de leurs chefs au grand roi. La mort de ce dernier avait certainement éveillé des ambitions chez les plus puissants d'entre eux. Mais malgré tout ce qu'il lui avait infligé, Eliad gardait la foi en son peuple.  - Il y a des fidèles dans toutes les régions de Jelaka, assura-t-il. La guerre civile s'est désormais propagée dans tout le royaume, et les deux camps sont de forces égales. Mais les plus nombreux sont dans la majorité silencieuse, qui ne demande que la paix et de quoi nourrir ses enfants. Ceux-là n'ont que faire de celui qui dirige, tant qu'il les protège et partage leurs croyances. Ce sont eux que j'aime et respecte par-dessus tout. Les petites gens Alestan... Ils n'ont rien demandé eux ! Je les aime... Ils sont ma famille tu comprends ?   Le prince s'apprêtait à se resservir de la liqueur, mais Alestan stoppa doucement son geste. Il en avait assez entendu pour vouloir aider sincèrement Eliad Amaëna. Il pouvait s'identifier à sa triste histoire, et n'avait plus aucun doute quand à la noblesse de ses intentions.  - Tu as assez bu mon prince, lui conseilla-t-il. Gardes espoir, je ferais mon possible pour que tu récupères ta couronne.  - Oui, tu as raison... Tu m'es sympathique radia. Impétueux comme l'a écrit ta reine, mais sympathique.  Eliad mit fin à leur entretien, et ordonna que l'on prépare une tente pour son invité. Alestan resta en compagnie de Galan jusqu'au crépuscule, l'écoutant décrire le fonctionnement du camp sans réellement y prêter attention.  - Dis-moi radia, demanda soudainement le prêtre-guerrier, tu as parlé d'une race mi-homme, mi-reptile plus tôt... S'agissait-il d'une métaphore ?  - Qu'avez-vous tous à douter de mes paroles aujourd'hui ? soupira Alestan, las de devoir tout expliquer.  - Il ne faut pas nous en vouloir, se rattrapa Galan. Tu parles du merveilleux sur le même ton que l'ordinaire, voilà tout. Et qui peut encore croire à l'existence de créatures fabuleuses de nos jours ? Personne en a jamais vu de ses propres yeux.  - Et tant mieux... dit Alestan avec un air sombre. Qui a osé foulé les profondes cavernes du monde ? Ou les lieux les plus reculés de la forêt ? Qui a visité les crevasses de l'océan ? Pourquoi serions-nous les seuls êtres à penser ? Enfin... Ne parlons pas de Rakshas à la tombée du jour. Je m'en voudrais d'être la cause de tes cauchemars.  - Tu m'en as déjà trop dit ! protesta Galan. Mais je respecte ton souhait. Je ne manquerais pas de te questionner à l'occasion. Il est rare de croiser un homme qui parle le langage oublié.  - Ië... Mëaim oren anel selemante.  - Imwëna.  Alestan regarda le prêtre-guerrier s'éloigner, et réalisa seulement que celui-ci l'avait guidé jusqu'à sa tente. Il passa la tête sous la toile pour examiner une couchette de paille, un panier et une petite table basse en guise de mobilier. Après son long périple, cet aménagement lui sembla digne des établissements les plus luxueux. Il était épuisé, mais sans éprouver le besoin de dormir. Alestan sortit de sous son manteau la pipe en ivoire qu'il avait subtilisé à Eliad, ainsi qu'une poignée d'herbe à fumer qu'il avait fourré en plusieurs fois dans sa poche. Il s'amusa à faire des ronds en regardant les soldats aller et venir dans l'allée de tentes, perdu dans ses pensées.  Des cinq royaumes du continent d'Alesta, il séjournait dans celui qu'il appréciait le moins. Non pas à cause des habitants, mais du climat et de la nourriture. Il espérait en finir au plus vite avec la reconquête du prince, même si la tâche s'avérait plus difficile que prévue. D'autres forces étaient à l’œuvre dans cette rébellion, bien loin des revendications du peuple. Le choix de la reine se serait porté sur un autre que lui si ce n'était pas le cas. Alestan médita jusqu'à ressentir l'appel du sommeil. Il entra alors dans sa tente pour se laisser tomber sur son modeste lit, et s'endormit presque aussitôt.
  7. J'ai lu le manga après le premier épisode. Une petite perle. Le dessin respire la nostalgie, à la fois simple et chaleureux. Akira est pure. C'est une oeuvre qui a du coeur, idéal pour retrouver le sourire.
  8. J'avoue que tu éveilles ma curiosité, là! Quel est cet élément qui manque? (pas de problèmes si tu me spoiles) Je dirais que l'élément qui manque est l'émotion. Mais il y a aussi la grâce dégagée par les phases de danse, la poésie des poses et la délicatesse des expressions. L'anime détient quelques uns de ces éléments, mais c'est tellement rare et, il faut le dire : Cheap. Je ne crache pas sur le staff de l'anime, c'est clair que la prod a voté pour un show 24ep style "la première adaptation de Full Metal", avec un début et une fin. Du coup ça rush, ça glisse de la still frame et du chara en mousse dans certains background. Je reproche surtout ça en fait. A mon sens, ça aurait été mieux un 13ep show en 2 ou 3 saisons. Moins survoler les passages intimes, animer les danses, ne pas faire du héro un trop gros cliché. Là ils créent de l'investissement émotionnel avec des trops trop simples à mes yeux, ils sont partis vers le style shonen sport. Pour toucher plus de monde peut-être ? Je sais pas. La Danse c'est à la fois du sport et de l'art. Je ne retrouve pas le côté art et la fragilité qui va avec. L'arc du camp était catastrophique... Dans le manga, ça reste mon moment préféré avec le duel contre Gaju, lorsque les fleurs sortent du tableau. Egalement, Chinatsu est plus complexe dans le manga, beaucoup plus belle aussi. La variété de ses regards, sa force de caractère malgré son manque de confiance, sa dignité de jeune femme qui veut trouver sa voie, exprimer son art. Ses défauts, son coté taquin/lunatique, le fait qu'elle aime les hommes entreprenant, sûr d'eux, et qu'elle transmet inconsciemment cette image ) Tatara qui, à cause de sa nature, s'adapte à sa partenaire. Ballroom c'est à propos de jeune gens qui ouvre leurs coeurs à l'art et aux autres, du conflit que ça peut engendrer, de la fierté qui en découle. C'est aussi sur le regard des autres, et l'amour propre. Je divague, mais ça je l'ai surtout ressentis dans le manga, pas l'anime, et c'est ce que je reproche en fait ^^
  9. Il faut l'admettre, l'anime ne rend pas hommage au manga. Si ça peut permettre d'élargir les lecteurs tant mieux, mais actuellement le rythme est complètement foiré. Du coup, l'émotion tombe à plat... La relation Chinatsu/Tatara est si mal représentée qu'on a envie de baffer l'héroïne ! Sur le fofo de MAL certaines personnes ne comprennent pas pourquoi les deux protagonistes sont ensembles, et je ne les blâme pas pour ça. Je crains que le studio rush le fil du récit pour boucler la compétition à leur sauce, ce qui est mauvais signe. Si je n'avais pas lu le manga j'aurais drop à la deuxième moitié de l'anime hélas... En même temps, on l'avait dis, adapté Ballroom c'est loin d'être facile. Le budget du studio n'est pas suffisant pour se permettre d'envoyer la sauce... Il aurait été plus judicieux de faire 2 saisons de 13 épisodes. L'arc de Mako, bien que correct, n'a pas sût retranscrire l'impact émotionnel de l'oeuvre originale. Pourquoi ? En faisant abstraction des plans fixes, je dirais que le montage n'est pas à la hauteur. La musique nous sort de l'instant présent, et on ne parvient pas à se mettre dans la peau des danseurs. De plus, on nous laisse pas le temps de souffler, et ce qui est sensé nous mettre la larme à l'oeil (la défaite de Tatara) ne provoque rien de plus qu'un "ah ouais... Dommage." C'est mal dosé quoi... Honnêtement, ce serait un anime original, je dis pourquoi pas. Mais étant donné la qualité de la matière première, meh... C'est quand même pas folichon. Surtout si l'on compare à la qualité de Made in Abyss, Hero Academia et Mahou Tsukai no Yome, qui pour leur part rende gloire au manga. Comme quoi, c'est souvent une histoire de rythme et de dosage.
  10. Arsène ! ça va ? Ton message me fait plaisir =) En effet un retour aux sources ! ça fait tellement longtemps que je développe ce projet... J'avais besoin de le coucher par écrit afin d'immortaliser pour de bon le monde d'Alestan. Bon j'avoue que là y'a du boulot, mais tu as vu juste, on va traverser 1400 ans d'histoire ! Avec des sauts assez importants tout de même. Vaënor et Firalfyn sont bien développés car ils représentent les fondations des Enfants du Ciel. Je ne pensais pas autant m'attarder sur eux d'ailleurs, mais au final, ils me sont tout aussi chers qu'Alestan, Jin ou Maëda. Elana aussi... Ma belle Aëlym... Ah et oui ! Maëda est de la famille des Varaïm ! Le frère de son arrière grand-père était roi ! Et sa mère est de la lignée de Firalfyn ! J'en profite pour dire que l'histoire des Sept Novaë sera contée. Donc parmi ma liste de personnages à développer : Maëda et son frère Apolys, Agata, Leome, Ephaïr, Halfaël et Gildaë ! Mais avant qu'on en arrive ici : VI. LA BATAILLE D'AËRDEN Sur la chevauchée du roi, de nombreux poètes tentèrent de retranscrire fidèlement l'aura qui entourait Vaënor. Ils parlèrent de son courage et de sa force extraordinaire, mais concernant la terreur qu'il inspira, aussi bien à ses ennemis qu'à son peuple, ils demeurèrent vagues et discrets. Après avoir retrouvé ses esprits, Vaënor ne parvenait pas à expliquer la folie meurtrière qui s'était emparé de lui. Cependant, à partir de ce jour, il se méfia grandement de l'Alkaëst qui ornait sa couronne. Si un autre que son fils avait tenté de l'approcher lors du massacre des Rakshas, fut-il Irillos, le roi l'aurait abattu sans sourciller. Gildan ne se trompait pas en surnommant l’artefact « l'étoile maudite », et il conseilla à Vaënor de ne plus jamais laisser ses émotions prendre le pas sur sa raison. Si la haine s'empare à nouveau de votre cœur, un destin semblable à celui de votre père vous attend, avertit le forgeron. Gildan se montrait rude et ne mâchait pas ses mots, mais Erelden l'avait vu pleurer lors des funérailles de la reine. Le prince s'était retenu aussi longtemps qu'il le put, mais en voyant le corps de sa mère entrer dans le tombeau royal, il se cacha le visage, incapable de contenir son chagrin. Quand à Vaënor, il ne versa plus aucune larme jusqu'à la fin de ses jours. En repensant aux tortures infligées à Elana, son poing se serra si fort qu'un filet de sang s'en échappa, et le roi fit le serment d'anéantir la race des Rakshas tant qu'il vivrait. Les montagnes au Sud d'Erianan, la longue chaîne d'Horos Nagîl, devînt un lieu d'épouvante. Les éclaireurs qui sillonnaient la région rapportèrent une forte concentration de ces créatures près du Mont Goranos, le plus haut sommet au Nord d'Alesta. Malgré les mises en gardes d'Irillos et de son père, Erelden accompagnait presque toujours ces vaillants Aërim qui risquaient leur vie à l'ombre des montagnes. Grâce à la vitesse d'Elfyn, fils d'Arafël, le prince évita de nombreuses embuscades. La race de ces chevaux était exceptionnelle, et leur durée de vie égalait celle des hommes. La lignée d'Arafël allait encore bien au-delà, au point où les Aërim la soupçonnait d'être immortelle. Des fortifications furent érigées aux abords du fleuve qui traversait la plaine d'Erianan. Vaënor fit bâtir un château à l'Est du Lac d'Argent, appelé Agalinël, et les guerriers désignés pour le défendre emmenèrent également leur famille, fondant ainsi une petite communauté hors de la capitale. Il confia à Erelden l'avant-poste d'Aërden, qui fut bâti à l'endroit où le roi trouva les corps sans vie de la compagnie envoyée par Irillos, lors de sa célèbre chevauchée. La cité de Varëlden connue également de nouveaux aménagements, dont la construction d'un mur d'enceinte et l'élévation de quatre tours monumentales. Gildan travailla en personne sur les portes de la muraille, et leurs battants étaient invulnérables. Avec l'aide du temple des runes, il élabora un matériau aussi résistant que le diamant, composé de corindon, d'adamant et de topaze, qu'il scella dans un sarcophage de bronze, avant de le recouvrir d'une couche d'or. Vaënor créa un conseil de guerre, auquel participa naturellement Irillos, mais également Gildan en tant qu'armurier du roi. Il fut convenu d'imposer un entraînement militaire à tous les jeunes Aërim dès leur vingt-et-un ans, âge de la majorité. Cette période s'étalait sur six à neuf mois selon les qualités de chacun. Les Aëlym, étant plus disposés à l'étude des écritures, se voyaient ainsi rediriger vers le temple des runes, où une nouvelle classe de mages fut créée. La caste guerrière se composa ainsi d'une majorité de Varaïm, bien qu'il exista chez leurs frères et sœurs des génies dans l'art du combat, dont Firalfyn, qui égalait le roi. Mais le noble marin se trouvait loin d'Erianan, et Vaënor devait s'entourer des meilleurs généraux pour avoir une chance de chasser les Rakshas. Ainsi s'ajoutèrent au conseil Escanor, Lorelys et Araïr. Escanor, capitaine de la garde du roi, était un Varaïm doté d'une carrure prodigieuse. Il maniait les armes de Gildan avec dextérité, mais la hache demeurait son équipement fétiche. La seule chose qui égalait sa force spectaculaire et ses muscles imposants était sa grande sensibilité. Escanor passait plus de temps à apprendre la poésie auprès des Aëlym que s'entraîner au combat, et il aidait ceux dans le besoin sans rien demander en retour. Compagnon du prince Erelden, il demeurait aux défenses de l'avant-poste d'Aërden tandis que son ami espionnait les faits et geste de l'ennemi. Le vigoureux guerrier regrettait de laisser l'héritier du trône prendre des risques sans lui, mais il ne trouva aucun cheval capable de supporter son impressionnant gabarit. Araïr était de la famille des Aëlym, et secondait Irillos au temple des runes. Vaënor le côtoyait souvent lorsqu'il s'y rendait en compagnie d'Elana. Le vieux maître confia tout son savoir à Araïr, y comprit le contenu de l'ouvrage qu'il ramena de l'ancien royaume, et que le jeune mage nomma par la suite « Le Livre d'Irillos ». Araïr parlait peu, et son apparence était si délicate qu'un œil étranger se voyait incapable de lui donner un genre. Toujours habillé d'une longue robe, il lui arriva même une fois de recevoir une demande en mariage, de la part d'un Varaïm peu avisé. Quand à Lorelys, les Aërim l'appelaient la Chasseresse à l'Arc Divin. Elle était la plus jeune du conseil, ayant à peine atteint l'âge de sa majorité. Cependant, lorsque Vaënor assista à ses essais dans la cour des archers, il en resta sans voix. Les flèches se superposaient indéfiniment au centre de la cible, quelque soit la distance où elle se trouvait. Ses yeux avaient également une étrange particularité, qui effraya ses parents lors de sa naissance. Lorelys était née avec des pupilles verticales, et sa vision était aussi clair le jour que la nuit. Lorsqu'elle avait onze ans, après avoir dérobé l'arc de son père, elle embrocha depuis la colline de Varëlden un vautour au-dessus de la plaine d'Erianan. Son père la réprimanda sévèrement, car la jeune fille essayait de se justifier en affirmant que le charognard maltraitait un aigle qui apprenait à voler. Deux jours plus tard, le jeune rapace retrouva Lorelys et ne la quitta plus depuis. Gildan lui fabriqua un arc à partir du bois de la flotte de Vaënor. Composé par Erethor, il était à la fois souple, résistant et léger. Le forgeron y incrusta également deux gemmes d'Aube Éternelle, dont lui seul avait le secret, et identiques à celles qui encadraient l'Alkaëst sur la couronne du roi. La corde de l'arc fut tressée à partir de l'écrin d'Arafël, auquel fut ajouté un cheveu de Lorelys. Chaque fois que la Chasseresse tirait une flèche, les pierres précieuses émettaient une lumière si vive qu'elles aveuglaient sa proie. Deux esprits sont en toi, lui dit Gildan en remettant l'arc. Le jour où tu donneras naissance, ce sera des jumeaux. Donner naissance ? s'exclama Lorelys, qui fit mine de s'offusquer. Y aurait-il un chasseur capable de me prendre pour proie ? L'âge commence à altérer ton instinct mon bon Gildan. Mâche tes mots un peu plus longtemps avant de les cracher, grommela le forgeron. Tu es sans doute la plus douée avec les proies des forêts de l'Ouest, mais les choses qui se cachent sous l'Horos Nagîl sont d'une toute autre nature. Retient ce que je te dis : deux enfants naîtront, et leur ambition sera telle qu'Erianan ne suffira pas à les assouvir. Je vois des régions inconnues dans le feu de ma forge, mais je vois aussi un danger imminent... Si nous échouons face à cette épreuve, plus rien n'aura d'importance. Lorelys garda les paroles de Gildan en mémoire, mais la menace qu'il eût en vision arriva plus vite qu'elle ne s'y attendait. Alors que se tenait un conseil de guerre, un éclaireur arriva en trombe à la forteresse, chevauchant Elfyn. Vaënor, voyant le cheval de son fils revenir avec un autre cavalier, craignit le pire. Le roi fut rassuré en apprenant que le prince avait confié sa monture pour transmettre un message urgent. Le contenu de ce dernier, cependant, était de mauvaise augure. La montagne s'est vidée ! Une armée avance vers l'avant-poste d'Aërdan ! Au moins un millier de Rakshas... Ils ont aussi des loups, couverts d'écailles et de pointes ! Leurs yeux sont rouges, je n'ai jamais vu de telles créatures... Le prince a besoin de renfort ! Un millier... Irm helk azâl, jura Gildan. Réunissez tous les hommes ! ordonna Vaënor avec énergie et sang froid. Envoyez deux messagers : un en direction d'Agalinël pour rassembler nos effectifs aux fortifications du fleuve, l'autre par l'océan afin de demander l'aide de Firalfyn. Araïr, nous allons voir besoin de tes meilleurs mages, tu m'accompagneras avec Lorelys à l'avant-poste. Vous oubliez quelque chose, intervînt Irillos. Nous devons privilégier la rapidité, se défendit le roi. Erelden et Escanor ne tiendront pas... Je parlais de moi, ajouta le vieil Aërim. Je vous accompagne. Maître... appela la douce voix d'Araïr, qui semblait être en désaccord. Votre âge ne vous permet pas... Në, le coupa Irillos. Tu as encore beaucoup à apprendre si tu penses qu'un maître des runes s'affaiblit avec l'âge. Je comprend cher ami, lui accorda Vaënor, mais qui gardera la cité pendant ton absence ? Je le ferais, si vous êtes d'accord. se proposa Gildan. Voilà qui est réglé ! s'exclama Lorelys, qui était pressée d'en découdre. En quelques heures, Vaënor se trouva à la tête de trois cents Aërim en compagnie d'Araïr, Irillos et Lorelys. Chevauchant Arafël, vêtu de son armure étincelante et son épée Faörea, le roi inspirait ses troupes par sa seule présence. Ils chevauchèrent en toute hâte jusqu'au Sud-Est de la plaine d'Erianan, mais lorsque l'avant-poste fut à porter de leurs yeux, ils ne virent qu'un tas de ruines sous un épais nuage noir. L'armée des Rakshas, comme annoncée par l'éclaireur, s'étendait à perte de vue. Les êtres mi-homme mi-reptile brûlaient les champs et les arbres sur leur passage, bardés de fer de la tête aux pieds. Certains montaient des bêtes féroces, aussi grosses qu'un ours mais d'aspect beaucoup plus répugnant. Il s'agissait des Dlörkan, une race qui, selon les Rakshas, était le fruit corrompu d'une louve et d'un dragon. Certains chevaux se cabrèrent de terreur à cette simple vision, et plusieurs cavaliers se trouvèrent projeter à terre. Arafël, leur seigneur, hennit puissamment afin de redonner courage à ses congénères. En réponse, une note clair s'éleva longuement pour ensuite s'évanouir dans les graves. Les Aërim reconnurent le cor d'Escanor, et ils aperçurent une trentaine d'hommes courir dans leur direction. Les survivants de la garnison d'Aërden battaient en retraite face à l'immense armée, et le capitaine fermait la marche aux côtés du prince. Ils avaient tenu l'avant-poste jusqu'à sa destruction, et Erelden fut le dernier à quitter le fort pour ne laisser aucun Aërim derrière lui. Les trois quarts de leurs effectifs avaient été tué lors des affrontements, et leurs poursuivants gagnaient désormais du terrain sur eux. Aërim ! s'écria le roi. En avant ! Chargez ! Les trois cents guerriers dévalèrent la plaine pour aller à la rencontre des Rakshas, et ainsi débuta la Bataille d'Aërden, où les Aërim se mesurèrent à des forces qui leur était quatre fois supérieures. Le début des combats fut à leur avantage, car l'ennemi reconnu la couronne étincelante et l'étalon blanc qui filaient loin devant ses hommes. L'épouvante s'empara d'eux et leurs rangs se brisèrent devant la charge des cavaliers. Profitant de cet élan, Erelden et Escanor rebroussèrent chemin pour assister le roi, rejoignant les mages d'Araïr et d'Irillos, qui dressaient des barrières autour des Aërim. Lorsqu'un Rakshas tentait d'abattre sa masse sur un guerrier, il rencontrait soudainement un mur invisible ; l'effet de surprise lui coûtait la vie. Certains mages semaient également d'étranges graines sur leur passage, et si par mégarde un ennemi y posait le pied, des lianes et des ronces jaillissaient du sol pour l'entraver. Lorelys épuisa rapidement son carquois, et Escanor l'escorta au milieu des hordes pour récupérer ses flèches. L'immense Varaïm fauchait parfois deux Rakshas d'un seul mouvement de hache, et les créatures qui l'avaient vu à l’œuvre à l'avant-poste hésitaient à l'attaquer. Le vent tournait en faveur des Aërim lorsque Vaënor retrouva Erelden, et même si les Dlörkan avaient fait de grands dégâts parmi les chevaux, l'armée des Rakshas commença à reculer vers leurs demeures dans les montagnes. Ces êtres étaient habitués à se mesurer aux peuplades disséminés sur Alesta, et ils les avaient réduits à se cacher dans les forêts. Mais face aux Aërim, armés d'épées flamboyantes et d'armures étincelantes, ils perdaient leurs moyens. Les Fils du Ciel maniaient les armes de Gildan d'une main experte. Leurs yeux étaient incandescents, et leur magie redoutable. Vaënor rassembla une nouvelle fois les Aërim autour de lui, et d'un cri puissant il lança une nouvelle offensive. L'Alkaëst brilla comme une étoile sur son front, et les Rakshas s'enfuirent vers l'Horos Nagîl. C'est à cet instant qu'Irillos réalisa leur erreur, mais il était déjà trop tard. Leur ennemi n'était pas dépourvu d'intelligence, bien au contraire. Le maître les considérait jusqu'ici comme une race ancienne et pervertie, plus animal qu'humaine. Néanmoins les Rakshas possédaient leur propre culture, qui remontait à des temps oubliés, et ils connaissaient l'art de la guerre. Mais surtout, il avait eux-aussi un chef. Dans les profondeurs du Mont Goranos, cet esprit immémorial déclencha son piège. Lorsque Vaënor et ses guerriers arrivèrent aux pieds des montagnes, un vacarme assourdissant ébranla la terre. Des légions innombrables se ruèrent sur les Aërim, et la Bataille d'Aërden se changea en une cuisante défaite. Des meutes de Dlörkan enfoncèrent le flanc droit de l'armée, éparpillant les forces du roi au milieu de la tempête. Ce fut le vaillant Escanor qui stoppa la charge des loups gigantesques, et il en tua tant que sa hache finit par se briser sur le crâne de leur chef. Il ne dût sa survie qu'à la précision de Lorelys, qui perça d'une flèche le cavalier de la bête, avant que celui-ci enfonce son cimeterre dans la poitrine du puissant Aërim. Ils furent rejoint par Erelden et Vaënor, qui tentaient vainement de réorganiser leurs guerriers. Le roi ordonna de battre en retraite, mais ils étaient désormais encerclés de toutes parts. C'est alors qu'Araïr et Irillos, accompagnés par les douze mages qui avaient survécu à la contre-attaque, usèrent des dernières gemmes qui leurs restaient. Unissant leurs voix, ils nommèrent une à une les runes sacrées en s'entaillant la paume. La terre vibra, et jaillissant du sol, des arbres s'élevèrent pour former une muraille imposante autour des Aërim. La magie nécessita énormément de ressources vitales, si bien qu'elle arracha instantanément la vie à quatre mages. Leurs corps se couvrit de tâches sombres, jusqu'à se flétrir comme une fleur fanée. Vers le fleuve ! Rugit Vaënor. Le sort permit aux restes de l'armée de se frayer un couloir, mais leur lente progression ne suffisait pas à les sortir du funeste piège. Défendant l'arrière garde, Erelden, Escanor et Lorelys manquèrent de se faire happer par la horde déchaînée des Rakshas. À la pointe, Vaënor et Arafël, désormais le seul cheval à ne pas avoir fuis, guidaient la compagnie épuisée en tailladant sans relâche les rangs ennemis. Comprenant que leur tentative était vouée à l'échec, Irillos prit sa décision. Araïr, c'est à ton tour de prendre soin du roi. Maître ? De quoi vous... Irillos s'arrêta, puis sourit tristement en observant son successeur être emporté malgré lui vers l'avant garde. Lorsqu'Erelden, qui fermait la marche, arriva à son niveau, le vieil Aërim lui fit un clin d’œil avant d’exécuter mentalement plusieurs carrés magiques d'une complexité étourdissante. Dans le même temps, il dessina sur sa paume chaque rune correspondante, et lorsque le prince tenta de l'attraper, sa main passa à travers le corps d'Irillos. Je vais les retenir, lui souffla le maître. Dis à Araïr que c'était ma dernière leçon. Irillos ! s'écria Erelden. Lorelys et Escanor forcèrent le prince à poursuivre, et Irillos se trouva au milieu des Rakshas, qui essayèrent de le déchiqueter sans y parvenir. Le maître du temple des runes psalmodia une mélodie lancinante, puis plaça ses mains en signe de prière. Il usa alors d'un sort interdit, datant de l'ancien royaume, et classé au plus haut degré de la magie des runes. Ce pouvoir, qui servit entre autre à créer l'Alkaëst, nécessitait le sacrifice de son utilisateur. Irillos scella son invocation en lui donnant un nom. Aësthoros, la Montagne Céleste. Alors que tout espoir semblait perdu pour l'armée de Vaënor, le sol se mit brusquement à trembler. Un grondement retentit, puis un roulement de tonnerre, qui se répercuta jusque dans les entrailles de la terre. Araïr, qui comprit ce que son maître venait de faire, hurla à la compagnie de continuer avant de fondre en larme. Des fissures sillonnèrent la plaine, et une déflagration assourdissante vrilla les tympans des Aërim. En se retournant, le roi vit avec stupeur une gigantesque portion du terrain s'élever dans ciel, emportant une partie de l'armée ennemie avec elle. Le bloc, plus grand que la cité de Varëlden, avait la forme d'une montagne inversée. Il vola toujours plus haut sous les regards effarés des Rakshas, qui entendaient les cris terrifiés de leurs congénères, perchés sur l'immense monticule. Lorsque le corps d'Irillos ne supporta plus l'énergie déployer par le sort, il se consuma entièrement, et la montagne céleste s'écrasa. Il y eût un fracas prodigieux, et l'onde de choc projeta face contre terre tous les Rakshas qui se trouvait dans le périmètre de la collision. Profitant du chaos, Vaënor et ses guerriers parvinrent à franchir le Themelden, nom du fleuve qui traversait les plaines d'Erianan. La garnison du fort d'Agalinël, ainsi qu'une partie des guerriers restés à Varëlden, arrivèrent en renfort pour stopper la progression des Rakshas. Ces derniers hésitèrent à franchir le cour d'eau, et finirent par rebrousser chemin en lançant des insultes à l'encontre des Aërim. Des trois cents hommes composants l'armée du roi, seuls une cinquantaine retrouvèrent leurs familles. Quand à ceux qui défendaient l'avant-poste, il ne resta que le prince Erelden et son compagnon Escanor, tous deux couverts de blessures. La perte d'Irillos fut un coup dur pour les Aërim, et plus particulièrement pour le roi et Araïr, ce dernier désormais maître suprême du temple des runes. Vaënor ignorait que son vieil ami détenait un tel pouvoir, mais le prix à payer était grand. L'ampleur de la destruction provoquée par ce sort l'obligea à en interdire l'apprentissage, et seul Araïr fut autorisé à l'étudier. Si nous nous retrouvons dans une situation désespérée, le choix t'appartiendra d'user de cette magie, lui confia Vaënor. Mais jamais il ne devra tomber entre de mauvaises mains. Les conséquences en seraient désastreuses... Le Livre d'Irillos fut ainsi scellé dans les souterrains de la forteresse royale, et seul le maître du temple des runes en possédait la clef. Lorsqu'Erelden et Escanor furent remis sur pied, ils se rendirent immédiatement aux défenses du fleuve. Lorelys les accompagna avec Edyl, son aigle, et fut surprise par la maturité du prince. Il était à peine plus âgé qu'elle, et semblait pourtant avoir vécu aussi longtemps que Gildan. Escanor le respectait autant que le roi, et il conta à la jeune femme les exploits d'Erelden. Il n'aime pas se vanter, déclara-t-il avec un large sourire. Et si tu lui fais un compliment, il va rougir et t'assurer que n'importe qui pourrait prendre sa place. La reine agissait de la même manière... Les titres n'ont aucune importance à leurs yeux, et ils préfèrent se fondre dans le peuple. Malgré tout, Erelden est allé plus loin que quiconque à l'intérieure de la base ennemie, hormis le roi bien sûr. C'est lui qui a anticipé l'attaque, et contrecarré de nombreuses autres, sans quoi les Rakshas, qu'ils soient maudits, seraient déjà en train de fêter leur victoire à Varëlden. Dommage qu'aucune chanson ne se souviendra de ces hauts faits, regretta Lorelys. Les défaites sont rarement louées au sein d'un royaume... J'ai commencé quelques vers, avoua Escanor, embarrassé. Mais ma poésie n'est pas encore au point... Erelden, qui marchait devant eux, ne put s'empêcher de sourire. Son compagnon était encore plus humble que lui, et il devina ce qu'il essayait de faire. Plus tôt, le prince avait confié à Escanor que le charme de l'audacieuse Chasseresse n'était pas sans effet sur lui. Le capitaine s'octroya dès lors la mission de rapprocher les deux jeunes gens. Il ignorait encore que ses paroles n'étaient pas nécessaire, car Lorelys ne cessait de jeter des regards furtifs vers Erelden, accomplissant malgré elle la prédiction de Gildan.
  11. Alestan

    Made in Abyss [Kinema Citrus]

    Made in Abyss : Chef d'oeuvre/10 Les autres animes de l'année peuvent aller se coucher. L'OST qui accompagne la scène de fin... Digne des plus belles compositions anime/film/série c'que tu veux/ confondus. Une fin de saison magistrale. Une saison hors norme, de la première seconde à la dernière. Dans un monde où l'art sombre dans les ténèbres de la médiocrité, les perles de ce genre brillent comme des étoiles. Elles nous guident et nous inspirent. Amen.
  12. V. LA FUREUR DU ROI Les Aërim changèrent sensiblement d'attitude après les nouvelles apportées par Firalfyn. La découverte d'un autre peuple anima en eux le désir de se surpasser, pour le plus grand plaisir de Vaënor. La cité sur la colline, qui était principalement composée de demeures en bois par souci de rapidité, changea de visage. Des carrières furent exploitées à l'Est du Lac d'Argent, et les Varaïm se perfectionnèrent dans la découpe et l'assemblage de cette ressource. D'anciennes techniques de constructions, enseignées par Irillos, permirent notamment d'alléger le poids des pierres ; facilitant leur transport jusqu'aux chantiers de la ville. Les édifices s'élevèrent rapidement, imposants et solides. La précision des architectures était telle qu'une aiguille ne passait pas entre les blocs. Les Aërim érigèrent des colonnes et des statues sculptées avec art. Ils composèrent des fresques de leur périple à travers l'océan et plantèrent des allées d'arbres pour égayer les rues. Le goût des Varaïm pour l'orfèvrerie et le travail des métaux ne tarda pas à se répercuter dans leurs ouvrages. Des mines d'or et d'argent furent mises à jour dans les pans du Telëlden, les montagnes à l'Ouest d'Erianan. Une grande quantité de gemmes précieuses passèrent entre les mains des meilleurs artisans. L'un d'eux, Gildan, aux traits sévères, insufflait la magie des runes dans la création de ses œuvres. Il était peu apprécié par ses pairs, car son domaine de prédilection résidait dans l'élaboration d'armes. Gildan ne prêtait pas attention aux remarques, car la rumeur de l'affrontement entre Firalfyn et un dragon était parvenue à ses oreilles. Le forgeron était ainsi persuadé que son travail finirait par être reconnu, et son instinct ne se trompait jamais. Armures, épées, lances, haches et boucliers ; chacune de ses productions surpassait la précédente en beauté et en efficacité. Son art s'éleva à un tel niveau d'excellence que le roi vînt en personne admirer son travail. La corporation des forgerons se plaint régulièrement de ton attitude, lui rapporta Vaënor. Tant mieux, grommela Gildan en grattant sa barbe hirsute. Leur esprit est toujours accroché à l'ancien royaume... Ils ne pensent qu'à faire de belles choses inutiles. Tu devrais montrer plus d'indulgence mon ami, lui conseilla le roi, sans pour autant le réprimander. Mais je crois que l'avenir te donnera raison... Hélas. Vous êtes venu seulement pour bavarder ? rétorqua sèchement Gildan. Si c'est le cas je n'ai pas de temps à vous accorder. Je ne converse qu'avec ma forge et mes armes, et c'est un langage qui se passe de mots. J'ai une requête, en effet, sourit Vaënor. Il commanda alors une armure et une épée, ainsi que la future couronne du royaume d'Aënor. Gildan fut ainsi le seul Aërim, hormis la lignée royale, à pouvoir manipuler l'Alkaëst. Lorsque Vaënor lui confia l'étoile à sept branches, le forgeron devînt pâle. Il se remémora l'abominable scène des sacrifices, et les voix des sept milles âmes prisonnières de la pierre manquèrent de le rendre fou. Gildan prit conscience du péril que représentait un tel objet, s'il venait un jour à tomber entre de mauvaises mains. Mon roi, murmura-t-il avec gravité. Une magie plus ancienne que le monde réside dans cette pierre... Je peux sentir le pouvoir des sept dieux se déverser en elle, mais l'esprit qui ordonna sa création... Celui qui trompa votre père Arnelion... C'est sa volonté qui triomphe sur celle des autres ! Un imitateur que je ne préfère pas nommer... Il se nourrit des âmes, car lui-même en est dépourvu ! À votre place, je jetterai ce maudit objet au milieu de l'océan. Qu'il soit à jamais perdu dans les abysses ténébreuses de la terre. Mais, hélas... Dans tous les cas je vois notre perte au bout du chemin. Sans l'Alkaëst elle sera rapide et violente. Avec... Longue et douloureuse. Plus tragique sans doute. Ma vision a ses limites mais il se peut qu'un jour, lorsque nous ne serons plus qu'un vague et lointain souvenir, le responsable de notre chute soit malgré lui l'initiateur de notre rédemption. Les paroles de Gildan bouleversèrent Vaënor. Le forgeron avait tendance à tenir des propos sombres et dépourvu d'espoir, mais jamais il ne mentait ou exagérait. Son regard perçait les arcanes secrètes du feu, et dans le brasier de sa forges, Gildan s'entretenait parfois avec la déesse de cet élément. Atëa, la Flamme Éternelle. Le cœur palpitant des veines de la terre et la protectrice des hommes. Son amour accompagne toujours le fidèle dans les heures sombres ; au coin du feu, sa chaleur maternelle apaise l'âme angoissée, éloignant ses craintes et son chagrin. Gildan conçu une couronne dans un alliage d'or et d'argent, lui donnant une forme octogonale selon la tradition des rois Aërim. Sur les huit faces, sept furent serties de perles pour former la spirale à quatre pétales du royaume boréal ; le symbole était encerclé par l'ensemble des runes sacrées, chacune gravée sur la surface d'une pierre précieuse. La dernière face, au-dessus du front, arborait l'Alkaëst. Un cristal semblable au diamant avait été incrusté entre chaque branche de l'étoile, et lorsque le soleil les traversaient, les sept couleurs de l'arc-en-ciel apparaissaient en leur sein. Ce fut l’œuvre la plus célèbre de Gildan le forgeron, et la plus belle pièce jamais conçue par la main d'un homme. Lorsqu'il présenta le fruit de son dur labeur à Vaënor, le roi ne trouva aucun mot pour décrire son admiration. Il insista pour nommer Gildan chef de la corporation des forgerons, mais ce dernier déclina l'offre. Voir mon œuvre exposée sur votre tête me suffit amplement, grogna-t-il. Essayez-la pour voir si la taille convient. Lorsque Vaënor posa soigneusement la couronne sur sa chevelure d'or, Gildan fut à son tour muet. Une aura de lumière entourait le roi, dernier témoignage de la gloire de l'ancien royaume Aërim. Le forgeron se prosterna, mais Vaënor prit sa main rugueuse dans la sienne pour l'inviter à le regarder dans les yeux. Je ne souhaite pas m'élever au-dessus de mes semblables, dit-il avec douceur. Tu as un talent que seul mes rêves peuvent effleurer mon cher Gildan. Redresse-toi, la face vers le ciel ! Tes œuvres seront chantées pour les siècles à venir, roi des forgerons ! Le visage de Gildan fut à partir de cet instant moins sévère et plus prompt au rire. À cette même période, Irillos termina le calendrier d'Aënor. Il présenta au roi les neuf nouveaux mois, chacun composé de quarante jours : Saores, Cyledel, Celenis, Sorane, Freana, Oleïs, Eraba, Elana et Irië. Les semaines avaient été divisées selon les arbres sacrés des Aërim. Ainsi, selon le jour de la naissance, chaque enfant se voyait attribué une essence sacrée : Le sapin, l'orme, le cyprès, le peuplier, le cèdre, le pin, le saule, le tilleul, le noisetier, le sorbier, l'érable, le noyer, le châtaignier, le frêne, le charme, le figuier et le pommier. Quatre arbres tenus en haute estime avait été attribué aux changements des saisons : Le chêne pour l'équinoxe du printemps, le bouleau pour le solstice d'été, l'olivier pour l'équinoxe de l'automne, et l'hêtre pour le solstice d'hivers. Pour terminer Irillos avait ajouté cinq jours spéciaux, les Dianaë, qui concluaient l'année et marquaient historiquement le début de l'exode des Aërim. Ce fut sous la protection du chêne, le premier jour du mois Celenis, que le roi déclara officiellement la fondation du royaume d'Aënor. Sa capitale était Varëlden, et la cité ne cessa pas de grandir en splendeur et en habitants. Les rues se remplirent d'enfants joyeux et pleins de vigueur. Le peuple n'avait pas le temps de s'ennuyer, et Irillos fut nommé grand maître du temple des runes. Vaënor débuta la construction de sa forteresse au cœur de la ville, une version colossale de la couronne royale. Il passait son temps libre à chasser avec Arafël, poussant sa monture aussi loin que lui permettait Irillos. Le vieil homme prenait grand soin de son roi, et une relation de père à fils s'était désormais noué entre eux. douze années de paix s'écoulèrent, et le maître des runes songea qu'il était temps d'aborder avec son souverain un sujet délicat. Alors que Vaënor rentrait d'une longue escapade aux frontières d'Erianan, Irillos prit son courage à deux mains. Mon roi, je me demandais... hésita-t-il, cherchant ses mots. Nous avons eût de nombreuses naissances dernièrement... Beaucoup de frênes et de châtaignier ! se réjouit Vaënor. De futurs artistes ! Oui, oui certes... sourit maladroitement Irillos. Avez-vous songer... Enfin, est-ce qu'une femme a retenu votre attention ? Pas qu'une ! s'exclama le roi. N'as-tu jamais entendu Daëna chanter ? Même les oiseaux viennent l'écouter ! Et les tapisseries d'Irelys ? Je lui en ai déjà commandé une dizaine pour la future salle du trône. Toutes les femmes de mon peuple retiennent mon attention cher ami ! Voyant la manière dont Vaënor esquivait sa question, Irillos décida d'aller droit au but. Je pense qu'il serait peut-être temps de vous choisir une reine. J'y songerais. Le roi ne souhaita pas poursuivre la conversation, et son plus fidèle conseiller n'insista pas davantage. Cependant, à partir de ce jour, de nombreuses femmes se présentèrent spontanément à Vaënor, et celui-ci soupçonna le vieil Aërim d'en être à l'origine. Le roi demeura extrêmement courtois avec ces nouvelles prétendantes, et fit tout son possible pour décliner leurs avances sans les blesser. Sa douceur eût pour effet d'augmenter les propositions, si bien qu'il passait désormais le plus clair de son temps hors de Varëlden. Un jour, alors que Vaënor rendait visite aux du étudiants temple des runes, il surprit une dispute entre Irillos et une jeune femme aux airs de garçon manqué. Elana était son nom, de la famille des Aëlym. Il s'agissait de l'élève la plus brillante, mais également la plus impétueuse. Cette magie n'est pas à utiliser à la légère ! gronda le maître, désignant un cerisier en fleur dans la cour du temple. Je ne l'ai pas utilisé à la légère, professeur, se défendit-elle. C'est l'arbre qui me l'a demandé. Vaënor se cacha derrière une colonne, prit d'un fou rire face à l'expression exaspérée d'Irillos. Il attendit le départ du maître pour s'approcher discrètement de la jeune femme, qui fit mine de l'ignorer. Peu de plantes ressentent le besoin de fleurir à l'approche de l'hiver, remarqua-t-il avec amusement. Vraiment ? rétorqua Elana, feintant l'ignorance. Je trouve au contraire qu'une fleur au milieu de la neige est beaucoup plus belle qu'un champ entier sous le soleil du printemps. Seule dans le froid ? songea Vaënor. Je vois ce que vous voulez dire... Elle serait belle en effet... Belle et solitaire. Pure aussi, mais un brin tragique, car sa condition ne lui convient pas, et le gel menace sa propre vie. Un voyageur qui passerait par là verrait en elle un trésor inespéré, luttant pour sa survie. Il éprouverait le désir de la cueillir pour la placer dans un environnement plus chaleureux. Mais en faisant cela, il risquerait par la même occasion de mettre fin à cette grâce éphémère. Et sans cette fleur, le paysage ne serait plus qu'un lieu froid et hostile. Comprenant qu'il parlait d'elle, le visage d'Elana s'empourpra. Sans laisser le temps à Vaënor de s'excuser, elle s'enfuit pour disparaître sous l'arche du temple. Le roi lui-même se sentit honteux, et les jours qui suivirent, toutes ses pensées furent dirigées vers cette fleur solitaire. L'hiver était passé lorsque Vaënor reçu une lettre, tracée d'une écriture fine et élégante. Un doux parfum s'en dégageait, et en lisant les lignes, le roi sentit son cœur se gonfler d'allégresse. Une fleur aux pétales blancs, Dans la neige se confondait. Seule sous le firmament, Les étoiles elle contemplait. Ses pensées étaient lunaire, Des songes du temps passé, Fruits d'un cœur solitaire, Qui rêve pour oublier. Un marcheur croisa sa route. La remarquant il s'arrêta, D'un regard comprit ses doutes, Sans le savoir, il l'effraya. Embarrassée la fleur pâlit. Il parlait avec tendresse, Des mots emprunts de poésie, Elle cacha sa maladresse, En s’éclipsant dans la nuit. Elle craignait qu'il se blesse, S'il tentait de la cueillir. La blessure était pour elle, Lorsqu'elle le vit partir. L'homme venait du ciel, Et sa demeure est le soleil. Depuis la fleur a réfléchi, Sa solitude est sans pareil, Car désormais elle pense à lui. Vaënor et Elana échangèrent de nombreuses lettres, et elle déclina longtemps ses invitations, souhaitant terminer ses études avant de l'autoriser à la revoir. Le roi questionna longuement Irillos sur la jeune femme, au plus grand étonnement de ce dernier. Lorsque le maître réalisa finalement la raison derrière cette curiosité passionnée, il éclata d'un rire joyeux. J'aurais dû m'en douter ! De toutes les fleurs du royaume, seule la plus sauvage pouvait vous attirer ! Elana passa maître des runes l'année suivante, et elle se consacra à la médecine. Des rumeurs commencèrent à circuler parmi les Aërim en la voyant marcher en compagnie du roi, et lorsque le secret de leur relation fut connu de tous, Vaënor annonça qu'une grande cérémonie se tiendrait sur les rives du Lac d'Argent. Au solstice d'été, en l'an quinze du calendrier d'Aënor, le roi et la reine célébrèrent leur mariage en présence de tous les Aërim d'Erianan. Firalfyn, qui avait été difficile à joindre, fit envoyer un cortège de plantes et de graines exotiques, ainsi qu'une broche en jade pour Elana. Jamais on ne vit un visage aussi radieux que celui de Vaënor, qui semblait avoir réalisé son rêve le plus cher. L'année qui s'écoula fut mémorable pour les Aërim, et l'abondance des récoltes fut telle que de nouveaux greniers avaient été construit en toute hâte. Ne souhaitant pas se contenter de son statut de reine, Elana choisit d'enseigner l'art de soigner au temple des runes. Elle garda un fort tempérament, et semblait parfois sévère et obstinée, comme en témoignait les nombreux débats animés qu'elle entretenait avec Irillos. Mais lorsque la reine retrouvait son roi, elle devenait tendre et aimante. Ils s'aimaient comme rarement on pouvait aimer. Au-delà du corps, au-delà de l'âme. Vaënor et Elana ne formait qu'un seul et même esprit. De leur union naquit sous le signe de l'olivier le prince Erelden, qui hérita de la chevelure argentée de sa mère. L'enfant fut accueillit en liesse par le peuple, et en grandissant il fit preuve des mêmes qualités que son père. Rêveur et doté d'un cœur généreux, il passait beaucoup de temps auprès de Gildan le forgeron, qui lui enseigna les secrets de son art. Lorsqu'il devînt un jeune adulte, Erelden accompagna son père lors de ses nombreuses escapades aux frontières du royaume. Le fier Arafël, destrier du roi, présenta alors sa propre descendance au prince, et il lui permit de chevaucher son fils aîné, Elfyn. Vaënor confia à Erelden son désir d'explorer un jour les terres du Sud, et d'étendre Aënor jusqu'aux terres de Firalfyn. Alesta est immense, et de nombreuses régions mystérieuses n'attendent qu'à être découvertes, rêva-t-il. Mais plus les années passent, et plus je réalise que ce rôle ne me revient pas. Ce sera le tient et celui de tes descendants. Le chemin sera long et périlleux, mais je sais que tu y parviendras. Erelden admira l'horizon, et il se promit de faire de ce rêve une réalité. De son côté, Elana lui enseigna la médecine et la poésie. Quand le prince lui parla du souhait de son père, la reine étira ses lèvres en posant une main sur sa joue. Il a toujours désiré les choses les plus difficiles à obtenir... Et y ait parvenu ! Je suis heureuse de le voir te confier une mission aussi importante. Il compte sur toi, et il s'agit là d'un honneur qui n'appartient qu'à une poignée d'hommes ! Montres-toi à la hauteur de ses attentes... Même si tu es déjà notre plus grande fierté, et ce depuis que tu donnais des coups dans mon ventre ! Ainsi, jusqu'à ses vingt-et-un an, Erelden vécu au sein d'un royaume heureux et prospère. Elana organisait une fois par année une expédition près des montagnes, au Sud d'Erianan. Elle apprenait à ses élèves la façon de repérer et collecter des plantes médicinales, et son fils l'accompagnait souvent. Cependant, il travailla à cette période sur son armure en compagnie de Gildan, et Vaënor supervisait les derniers travaux de sa forteresse. Comme l'expédition tardait à rentrer, et que la reine était attendue pour arranger les prochains cours du temple des runes ; Irillos, dont l'esprit était encore affûté malgré son âge avancé, dépêcha une compagnie et plusieurs chevaux afin d'accélérer le retour d'Elana. Lorsqu'il ne vit qu'un seul homme rentrer, le torse ensanglanté, une terreur sans nom s'empara de lui. Parles ! hurla-t-il. Où est la reine ? Que s'est-il passé ? Par les dieux, parles ! Des créatures... balbutia l'Aërim, encore sous le choc. Je ne peux les décrire... Une abomination ! La reine... Nous avons trouvé des tas de cadavres... Mais la reine n'en faisait pas partie... Irillos pleura. Le visage baigné de larmes, il ordonna que l'on soigne le blessé et se précipita auprès du roi. Lorsqu'il eût terminé son récit, le maître des runes tomba à genoux devant l'expression redoutable de Vaënor. Non ! le supplia Irillos. Je sais ce que vous ressentez mais n'y allez pas ! SILENCE ! rugit le seigneur d'Aënor. La forteresse trembla jusque dans ses fondations. Sous le choc, Irillos crû que son cœur s'était arrêté. Une fureur à peine croyable s'était emparée de Vaënor. Un brasier plus intense que celui des volcans enflammait son regard, et ceux qui le croisèrent, tandis qu'il se dirigeait vers la forge de Gildan, furent paralysés par son aura. Lorsque le prince et le forgeron virent le roi s'engouffrer dans la forge, telle une tempête, ils demeurèrent sans voix. Vaënor revêtit son armure et s'empara de son épée, Faörea, la Flamme Royale. La vision de cet être d'exception, mué par une colère divine et paré pour la guerre, resta à jamais gravé dans la mémoire des Aërim. Erelden fut le seul capable de s'exprimer. Que s'est-il passé ? Où vas-tu ? Vaënor ne prononça pas un mot, et en sortant de la forge il retrouva Arafël, qui s'était empressé de rejoindre son cavalier en entendant son cri. Le roi grimpa sur le dos du noble destrier, et à son commandement l'étalon poussa un hennissement qui retentit dans toute la région d'Erianan. Il chevaucha vers le Sud, et la vitesse d'Arafël était telle qu'on eût dit qu'il galopait sans toucher terre. En tombant sur la compagnie et les chevaux décimés, le roi aperçu les créatures se repaissant de la chair de leurs victimes. Ces dernières, deux fois plus grandes et plus larges que lui, avaient une peau luisante et rugueuses. Elles semblaient issues du croisement abominable entre un reptile et un homme, possédant à la fois les meilleures qualités et les pires défauts de ces deux espèces. Cette race cruelle, les Rakshas, ne craignait aucun prédateur, et les dragons eux-même évitaient de les chasser. Mais lorsqu'ils aperçurent Vaënor chargé dans leur direction, sa couronne brillant de mille feux alors qu'il dévalait la plaine avec l'ardeur et la puissance d'un météore embrasant le ciel, ces êtres maudits furent tétanisés. Le roi les faucha comme de vulgaires fétus de paille, et poursuivit sa course effrénée vers les racines des montagnes. Sa voix, amplifiée par une force surnaturelle, se fit entendre jusque dans les plus profondes cavernes. Elana ! Où es-tu ? Elana ! Je t'en prie, répond-moi ! Elana ! Un tumulte assourdissant s'éleva, et la montagne se mit à vomir une armée cauchemardesque. Des rangées de créatures hideuses, équipées de masses et de lances, se jetèrent sur Vaënor. Arafël se cabra, mais l'étalon ne céda pas à la panique. Emporté par la folie et la rage, le roi s'élança dans la nuée infernale. Sur son front, l'Alkaëst se mit à briller si fort que l'ennemi en fut aveuglé. Telle une étoile, Vaënor se fraya un passage dans les boyaux de la terre. Nul ne sût comment il parvînt à survivre au cœur du repaire des Rakshas, et Vaënor emporta cet exploit dans sa tombe. La race maudite ne l'oublia jamais, et la simple évocation du roi des Aërim suffisait à les faire trembler. Fouillant chaque recoin des innombrables cavernes, Vaënor tomba finalement sur celle qui lui fit accomplir le prodige le plus extraordinaire de l'histoire d'Alesta. Elana, attachée et honteusement torturée, cru d'abord à un rêve. Lorsqu'elle fut libérée de son tourment, elle caressa le visage de son bien-aimé. Vaënor pleurait, et voir l'amour de sa vie aussi cruellement supplicié fut pour lui un châtiment pire que la mort. Tu es venu... murmura-t-elle. Je suis là, la rassura-t-il, je suis là... Je te sortirais d'ici, et Irillos pourra te soigner. Irillos ne peut ramener un mort à la vie, regretta-t-elle avec un sourire chagriné. Mais je savais que tu viendrais me chercher... J'ai gardé cette étincelle de vie dans l'espoir de te revoir... Mon souhait est exaucé. C'est ainsi que dans les ténèbres d'Horos Nagîl, s'éteignit Elana, reine d'Aënor. Elle rendit son dernier soupir dans les bras du roi, et celui-ci, après l'avoir tendrement embrassé, confia son corps à Arafël. Il ordonna à l'étalon de rentrer à Varëlden, mais le voyant hésiter, Vaënor lui promit qu'ils se reverraient. Le destrier, désormais résolu, laissa son cavalier seul pour galoper vers la capitale. Aucun Rakshas ne put poser leurs doigts griffus sur sa robe blanche, et si certains souhaitèrent le poursuivre, leurs attentions fut rapidement détournées vers la silhouette étincelante qui émergea des montagnes. De l'espoir et la colère qui avait guidé Vaënor jusqu'ici, il ne restait plus qu'une haine démesurée. La horde se précipita sur lui, et Faörea, l'épée mythique forgée par la main experte de Gildan et le feu secret d'Atëa, s'abattit un nombre incalculable de fois. Lorsque le prince Erelden, accompagné d'une centaine de guerriers, arrivèrent sur place, ils se trouvèrent face à l'inconcevable. Des centaines de créatures escaladaient des îlots de cadavres, tombant presque immédiatement sous la flamme d'une lame. Au milieu du carnage se tenait Vaënor, entièrement couvert d'un épais sang noir. Entre ses mains, Faörea tranchait mécaniquement tout ce qui arrivait à sa portée. De leur position, les Aërim ne voyait plus que l'Alkaëst, lumière incandescente, et le regard possédé de leur roi. Apercevant des renforts ennemis s'amasser sur les pans de la montagne, Erelden mena ses hommes pour venir au secours de son père. Ramener Vaënor à la raison fut loin d'être aisé, mais le prince finit par le convaincre de battre en retraite. Personne osa s'exprimer avant d'atteindre Varëlden, et seul Irillos, qui avait pris soin de la dépouille d'Elana, fut en mesure d'ordonner l'agitation qui s'empara du peuple. Des hauts faits de Vaënor, nul ne s'en vanta. L’émergence d'une terrible menace et la peine que suscita le décès de la reine plongea le royaume dans le deuil. Néanmoins, à partir de ce jour, Vaënor fut élevé au sommet des plus grand héros d'Alesta.
  13. IV. LA FONDATION D'AËNOR Alors que Firalfyn entamait son voyage à l'Ouest d'Alesta, Vaënor guidait son peuple en suivant un long fleuve étincelant, l'Idorëa, qui signifiait le Guide du Roi. Irillos, lorsqu'il ne conseillait pas son souverain, compilait toutes ses observations dans un livre épais, relié de cuir et scellé par une rune. Il l'avait emporté avec lui lors de la fuite, et les premières pages contenaient une partie du savoir ancien des Aërim. Vaënor lui conseilla de le garder précieusement, car il pressentait l'utilité de l'ouvrage dans un futur proche. Avant d'entreprendre leur marche vers le sud du continent, le roi forma plusieurs groupes d'éclaireurs, et il lui arrivait parfois de les accompagner malgré les remontrances d'Irillos. Que ferons-nous s'il vous arrive quelque chose ? s'inquiétait le vieux maître. Le peuple a besoin de vous ! Cher ami, répondait Vaënor avec douceur, un roi qui ne prend pas les mêmes risques que ses hommes ne mérite pas de les gouverner. Et jusqu'à la fin de ses jours, Vaënor respecta ces paroles. Au cour de leur voyage, la seule menace à laquelle se confronta les Aërim fut celle d'une meute de loup, rapidement mit en déroute. La taille impressionnante des bêtes effraya les plus fragiles parmi les éclaireurs, mais lorsque Vaënor chargea d'un cri puissant, tous l'accompagnèrent. Le roi transperça la gorge du plus féroce, une créature au pelage noir et aux yeux rouges, dont la gueule pouvait, d'une simple morsure, engloutir la tête d'un homme. À la mort du monstre, le reste de la meute s'enfuit en glapissant. Même si l'altercation ne coûta la vie à aucun Aërim, Vaënor ressentit le besoin de s'établir en un lieu précis. Son cœur désirait explorer l'ensemble du continent, mais son devoir était avant tout d'assurer la sécurité de son peuple. Leur faible nombre n'était pas à leur avantage, et bien qu'il existait déjà quelques couples, les enfants se faisaient rares. Plusieurs jours passèrent avant que le roi découvre l'emplacement qu'il recherchait. En suivant le fleuve, ils étaient finalement arrivés à sa source : un grand lac entouré de terres fertiles. L'eau était clair, et sa surface aussi lisse qu'un miroir. Vaënor le nomma Linërian, le Lac d'Argent, mais lorsque la nuit tomba, il lui donna un deuxième nom : Minëlys, le Miroir de la Lune. Alors que le roi explorait seul les terres plus au Sud, il tomba sur une couronne de collines. Il gravit la plus haute, au centre, qui lui offrit une vision spectaculaire de toute la région. L'horizon était cerné de montagnes, sauf au Nord, là où se trouvait les navires. Dans le creux de la chaîne de l'Ouest Vaënor devina une forêt brumeuse, mais ce qui retînt son attention fut la vaste plaine qui s'étendait au Sud. Une végétation luxuriante, qui abritait les chevaux les plus rapides et les plus fiers qu'il lui fut permis de contempler. Un fleuve traversait ces terres, partant du lac pour filer vers une trouée entre les massifs de l'Ouest et du Sud, à une cinquantaine de lieues. Pour le roi ces frontières naturelles étaient un signe du destin, et si l'un de ses descendants venait à conquérir l'ensemble d'Alesta, la capitale se tiendrait à l'endroit exact où il se trouvait. Le roi aura sa couronne, il en sera de même pour son royaume, annonça-t-il en levant son visage. Mon peuple est venu du ciel, son royaume en portera le nom... Aënor ! Qu'il résonne jusqu'aux confins du monde, et jusqu'à son dernier soupir ! Sur ces mots, le roi s'élança vers la plaine. Il se cacha parmi les hautes herbes, et observa longtemps les chevaux. Lorsqu'il trouva l'élément qui menait le troupeau, un étalon blanc majestueux, Vaënor se découvrit et défia l'animal du regard. Comme il s'y attendait, toutes les montures s'enfuirent hormis leur chef. Le hennissement qu'il poussa fit frissonner le roi, et son cœur s'embrasa du désir de dompter la bête. Je resterais ici aussi longtemps que nécessaire, répondit tranquillement Vaënor. Je comprend ton inquiétude, mais aucun mal ne sera fait à tes compagnons, j'en fais le serment. L'étalon frappa le sol de ses sabots, et sa queue fouetta l'air frénétiquement. Le roi s'inclina, comprenant qu'il refusait de le porter sur une simple demande. Alors, sans crier gare, Vaënor s'élança à une vitesse fulgurante vers le cheval. Celui-ci l'imita, et d'un bond prodigieux il passa au-dessus de sa tête avant de galoper sur une longue distance. Voyant l'homme revenir vers lui, l'étalon émit un frémissement en arrachant des mottes de terre, visiblement contrarié. Jusqu'au couché du soleil Vaënor le poursuivit, et après avoir été distancé, il attendait que son adversaire s'approche de nouveau, par curiosité ou pour le moquer. Durant la nuit, le roi tenta de surprendre le cheval dans son sommeil, mais ce dernier s'ébroua brusquement pour fuir aussi vite que le vent. Le lendemain, la même chorégraphie se répéta. Irillos, inquiété par l’absence du roi, observait désormais le duel au loin, accompagné par une dizaine de personnes. Certains chevaux avaient fait de même pour leur chef, et jusqu'à la nuit tombée, les deux meneurs se défièrent sans répit. Vaënor, torse nu et couvert de sueur, ne lâchait rien. L'étalon blanc montrait également quelques signes de fatigue, et son regard avait changé. Il observait ce roi têtu avec un mélange de respect et de pitié, car il connaissait les limites des hommes, et celui-ci venait de les franchir depuis un long moment. Le jour suivant, Vaënor, qui n'avait rien bu ni mangé, trébuchait en poursuivant le cheval. Lorsqu'Irillos se précipita vers son roi, celui-ci lui fit signe de rebrousser chemin, et ses yeux brillaient avec tant d'intensité que le conseiller obéit sans discuter. Une nouvelle nuit passa et un nouveau jour se leva. L'étalon lui-même commençait à fléchir, mais ce n'était rien comparé à l'épuisement de Vaënor, qui semblait au seuil de la mort. Lorsque soleil fut à son zénith, le roi s'effondra sous les regards effrayés de son peuple, qui s'était réuni tout entier aux sommets des collines. Le roi ne bougeait plus, face contre terre, et après un instant d'hésitation, le cheval blanc s'approcha pour constater le décès de son rival acharné. Il le poussa du museau afin de tourner son visage vers ciel. « Un tel homme devrait mourir face au soleil. » Pensa-t-il, quand soudainement, Vaënor agrippa sa crinière pour lui sauter sur le dos. S'en suivit une lutte acharnée, et l'étalon se cabrait avec tant d'énergie que le roi manqua à de nombreuses reprises de se briser la nuque. Finalement, la fatigue des jours passés fit pliée la volonté du cheval face à celle de Vaënor, et le roi des Aërim fut le vainqueur de ce long duel. Lorsqu'il mit pied à terre, le souverain perdit l'équilibre. Son nouvel allié s'empressa de le soutenir, et un lien de confiance se tissa entre eux. Merci Arafël, seigneur des chevaux, souffla péniblement Vaënor. Retourne auprès des tiens, et lorsque l'un de nous aura besoin de l'autre, faisons le serment de répondre à l'appel. Arafël poussa un doux frémissement, et après avoir transporté Vaënor aux côtés de son peuple, il s'ébroua pour galoper en direction de ses congénères. Le roi se reposa longtemps après avoir dompté son destrier. Une fois ses forces retrouvées, il choisit de fonder la première cité d'Aënor sur les collines d'Erianan, la Couronne d'Argent. Les Aërim eurent fort à faire dans les semaines qui suivirent, et les six navires accostés à Lemëlden empruntèrent le fleuve Idorëa pour s'amarrer au Lac d'Argent. Vaënor dressa les plans d'une forteresse octogonale, qu'il prévoyait de construire au sommet de la plus grande colline. Ses journées étaient cependant trop chargées pour qu'il envisage de débuter les travaux. Le roi passait son temps à organiser les ouvrages de la cité, et la nécessité de mettre en place plusieurs corps de métier se révéla particulièrement laborieux. Les Varaïm avaient du cœur à l'ouvrage des infrastructures, mais peu parmi eux s’intéressaient à la culture des terres et aux études des runes. C'était le contraire pour les Aëlym, mais en petit nombre et ayant découvert une nouvelle passion pour la navigation, ils passaient le plus clair de leur temps sur le lac, ou bien chantaient et dessinaient les nouvelles espèces qu'ils croisaient lors de leurs escapades. Dans le peu de temps libre qu'il avait à sa disposition, Vaënor chevauchait Arafël. L'étalon refusait de porter une scelle, mais le roi s'en accommodait sans problème. Le noble destrier apporta également de nombreux chevaux pour servir de montures aux Aërim, si bien qu'une écurie fut rapidement construite aux abords de la plaine. Un matin, au levé du soleil, un navire passa le fleuve pour accoster aux rives du lac. Firalfyn et ses marins entrèrent dans la petite cité, baptisée Varanor, sous les acclamations des habitants. Vaënor salua chaleureusement son compagnon, et les deux hommes discutèrent longuement, avec pour seul compagnie Irillos et Elirel, qui secondait désormais le capitaine. Il y a donc d'autres peuples vivant sur ce continent, se réjouit Vaënor. Ont-il un roi ? Ou un chef ? Une chef, révéla Firalfyn, pensif. Yanara, une très belle femme. Ils n'ont pas de royaume, mais ils s'organisent en tribu. Nous avons été accueilli par celle des Enora. Sont-il nombreux ? demanda Irillos, curieux. Hélas, non. répondit le marin. Vingts tribus tout au plus. Il semble que dans un lointain passé, leur peuple occupait tout le Sud-Est d'Alesta. Mais leurs légendes parlent d'invasions et d'une race... Je ne sais pas si on peut parler d'hommes... Une sorte d'ancêtre à l'homme, couvert d'écailles et cannibales. Ils ont cru qu'on était envoyé des dieux pour leur venir en aide... Le visage de Vaënor devînt grave. Firalfyn décrivit son long voyage, présentant ses notes et ses cartes, qui furent soigneusement recueillies par Irillos. Lorsque le capitaine parla du dragon et de la magie qu'il utilisa pour sauver son équipage, le vieux maître lui ordonna immédiatement de se dévêtir. Face aux refus répétés de Firalfyn, Vaënor s'exprima avec calme et fermeté. Ne me force pas à te donner un ordre mon ami. Toi et moi sommes désormais sur un pied d'égalité, et viendra le jour où tu fonderas ton propre royaume, redonnant ainsi à ces tribus leur gloire passée. Ému par ces paroles, Firalfyn obtempéra, et Irillos s'empressa de l'examiner. Une tâche noire, qui se divisait en petites nervures, apparaissait sur la poitrine du marin. Elirel, qui était demeuré silencieux jusqu'ici, devînt blême. Capitaine ! s'écria-t-il. Je savais que vous nous cachiez quelque chose ! Ces maudites fièvres... Votre air fatigué... Même vos chansons ne parlaient plus que de choses passées et à jamais perdues ! Allons Eli, ne dramatise pas, le rassura Firalfyn avec un sourire. Irillos resta silencieux. Il s'absenta plusieurs minutes avant de revenir avec un coffre scellé et son précieux livre. Tu as de la chance que le mal ne s'est pas propagé davantage, gronda-t-il. Puissant parmi les Aërim est Firalfyn, fils d'Arnëlys, mais ton adversaire l'était bien plus encore. Le maître s'empara d'une épingle en ivoire, gravée de symboles, et déboucha une fiole d'encre, dont le parfum se répandit dans la demeure en bois. Vaënor et Elirel l'observèrent tatouer un cercle autour de la marque, puis Irillos consulta son ouvrage pour inscrire une série de runes sur la bordure extérieure. Il fredonna une suite de mots mystérieux, puis traça un nouveau cercle. Voilà qui devrait faire l'affaire, souffla-t-il, plus détendu. Firalfyn le remercia, puis il fut question du futur des Aërim. Le roi souhaitait établir une communauté solide en Erianan, et les nouvelles du capitaine l'encouragèrent à nouer une alliance avec les tribus du Sud-Est, qu'il appela dans sa langue les Aërdan. Une fois le calendrier mis en place, le royaume pourra officiellement exister, annonça Vaënor. Nous attendrons la prochaine génération pour entreprendre une expansion vers le Sud. Je doute que nous ayons à combattre les drokonaï de notre vivant, mais l'instauration d'une caste de maître des runes est plus que nécessaire. Je compte sur toi pour ce point Irillos, une fois ta première tâche terminée. Ce sera fait mon roi. Firalfyn, ajouta-t-il, comme je te l'ai dis plus tôt, je n'ai aucun ordre à te donner. Tu es un frère pour moi, et en tant que frère, je te conseil d'emmener quelques volontaires pour organiser les tribus Aërdan. Si tu as besoin d'aide, je ferais le nécessaire, selon mes ressources. Vaënor, j'écouterais ton conseil, assura Firalfyn, ému. Mais jamais je ne pourrais m'élever aussi haut que toi, roi du ciel ! Souviens-toi de l'Alkaëst, qui nous a coûté si cher... C'est à toi que la pierre a confié son pouvoir, et même si j'établis un royaume loin de tes frontières, moi et mes descendants prêteront toujours allégeance au souverain d'Aënor. J'en fais le serment. Lorsque les sujets les plus graves furent traités, Irillos et Elinor laissèrent le roi et le capitaine seuls. Les deux hommes conversèrent avec légèretés, et partagèrent leurs rêves pour l'avenir. Vaënor présenta également Arafël à son ami, et en compagnie d'une autre monture, Orendal, ils chevauchèrent jusqu'au lac. Le roi offrit le destrier à Firalfyn, ainsi qu'un anneau d'or orné de huit gemmes différentes. Il appartenait à Varaïr, mon grand-père, révéla Vaënor. Chacune de ses pierres contient une rune sacrée. Il est dit que celui qui le porte ne peut périr par le feu. J'avais supplié Erethor de le prendre avant qu'il monte sur le bûcher, mais il a refusé, me disant qu'il serait beaucoup plus utile à un autre que lui... Je me vois obligé de dire la même... Prend-le, insista le roi en plaçant l'anneau dans sa main. Si jamais cette créature revient.... Je dormirais plus tranquille si tu l'as avec toi. Firalfyn s'inclina, incapable de prononcer un mot. Le lendemain, le noble marin quitta Erianan pour faire voile vers le Sud, en compagnie d'Elirel et d'une vingtaine d'Aërim. De retour au sein des tribus d'Aërdan, il passa de nombreuses années à rallier l'ensemble de ce peuple sous une seule bannière, et tous le prièrent de devenir roi. Avant cette difficile entreprise, il passa quelque temps avec la première tribu à l'avoir accueilli. Il s'éprit pour leur chef Yanara, et tandis qu'ils marchaient sous la pleine lune, le long d'une allée d'orangers, il lui promit de l'épouser une fois sa tâche terminée. Seulement, lorsqu'il revînt honorer sa promesse, un jeune homme se présenta comme étant le nouveau chef. Il regardait Firalfyn comme si celui-ci sortait d'une légende oubliée. En interrogeant Elirel, qui était resté auprès de Setsu, il l'informa tristement qu'il s'agissait du fils de Yanara, depuis peu décédée. Setsu quand à lui était désormais un vieil homme, alors que le capitaine et son second avait à peine changé. Firalfyn ne versa aucune larme, mais son cœur se serra douloureusement. Quarante années avaient passé depuis son départ de la tribu, et deux ans devaient être ajoutés pour remonter à la fondation d'Aënor. Le noble marin prit conscience de la fragilité de ce peuple, et son amour à leur égard n'en fut que plus grand. Il fonda la cité d'Enorië, capitale du royaume de Telerian, et devînt roi d'un peuple prospère. De nombreux Aërim vinrent les rejoindre par la suite, apportant des nouvelles du Nord. Vaënor avait fait d'Erianan une région florissante regorgeant de richesses. La petite cité de Varanor avait été renommée Varëlden, et était désormais remplit de fontaines, de demeures en pierres bordant des rues pavées de marbres, et les Aëlym avaient conçu de nombreux jardins. Quand à la forteresse du roi, même le vieil Irillos, qui allait fêter ses cinq-cents quatre-vingt deux ans, affirmait qu'elle égalerait la gloire de l'ancien royaume une fois terminée. L'ancien radote sûrement, sourit Firalfyn, mais j'ai hâte de découvrir tout cela et surtout, retrouver mon roi. Le souhait du noble marin s'exauça plus vite qu'il l'imagina, mais dans des conditions qu'il redoutait plus que tout. Un navire amarra au port d'Enorië un an plus tard, et le messager annonça à Firalfyn que des hordes monstrueuses s'étaient déversées en Erianan, passant par Horos Nagîl, la chaîne de montagnes au Sud-Est du royaume. Vaënor les avait stoppé sur les rives du fleuve, mais les créatures qu'il combattait surpassaient de loin les Aërim en effectif. Elles s'appelaient elle-même Rakshas, ancêtre lointain des hommes, et affirmaient être par conséquence les véritables maîtres d'Alesta. Firalfyn, affligé par d'aussi sombres nouvelles, songea alors aux paroles du dragon, qui résonnaient parfois dans ses rêves aussi clairement qu'au premier jour. « Si par chance ta race survie, nous nous reverrons. Les dragons ne sont pas les seuls ancêtres qui peuplent cette terre, et ils ne sont pas les plus terribles... Rakshas ! Adieu noble marin ! Jusqu'à notre prochaine rencontre... » Le regard argenté de Firalfyn s'embrasa subitement, et lorsqu'il se redressa dans toute sa splendeur et sa gloire, le messager écarquilla les yeux, persuadé qu'une lumière émanait de la silhouette du roi de Telerian. Préparez la flotte !
  14. III. FIRALFYN Les premières décisions du roi Vaënor furent avant tout guidées par la prudence et la nécessité. Après la mutinerie des deux navires, les Aërim qui peuplaient désormais Alesta ne dépassaient pas les huit cents individus. Ils n'avaient croisé aucune menace au cour de leurs timides explorations, et Vaënor les mena toujours plus loin vers le Sud, en quête d'une terre viable. Firalfyn était resté avec une trentaine d'hommes près des navires, et il eût pour tâche de naviguer près des côtes du continent. Il fit tout d'abord cap vers l'Est, découvrant d'immenses forêts de conifères perchées sur de hautes falaises. La région lui sembla peu accueillante, et elle s'étendait à perte de vue. Il maintint sa trajectoire durant cinq jours sans jamais atteindre l'extrémité des terres, à son grand étonnement. Le capitaine souhaita poursuivre, mais sa progression fut brusquement stoppée par une barrière de corail. Un autre navigateur aurait certainement fait naufrage, mais Firalfyn parvînt à s'extirper de justesse par une série de manœuvres miraculeuses. À cet instant, ceux qui l'accompagnaient lui vouèrent une telle admiration qu'ils jurèrent de le suivre partout où il irait, fût-il prêt à se rendre jusqu'au royaume des morts. Déçu de ne pas pouvoir aller plus loin, Firalfyn rebroussa chemin vers l'Ouest, espérant avoir plus de chance vers les rivages du couchant. Il n'avait aucun moyen de le savoir, mais sans cet obstacle, il lui aurait suffit d'un jour supplémentaire pour atteindre la pointe Nord du croissant de lune, à l'extrême Orient d'Alesta. En atteignant Lemëlden, Firalfyn retrouva les six navires amarrés au large et en profita pour se réapprovisionner. Puis, il contourna les régions septentrionales avant de faire voile vers le Sud, loin d'imaginer le long voyage qui l'attendait. Il découvrit en premier lieu la grande chaîne de montagnes qui bordait le Nord-Ouest d'Alesta. Ses pans enneigés disparaissaient sous les nuages, et une forte humidité força l'équipage à se revêtir d'épais manteaux. Firalfyn les contempla pendant trois jours, et il les nomma Telëlden, la Ceinture du Nord qui, plus tard, allait entourer la région d'Erianan, le cœur du royaume de Vaënor. Poursuivant son voyage, le noble marin dépassa les contreforts rocheux pour longer les plages dorées du Velden, où le climat était plus tempéré. Écartant pour un instant l'odeur des effluves marines, le vent charria un parfum familier. En fermant les yeux, Firalfyn se représenta d'immenses plaines verdoyantes. Il pouvait voir les collines bordées d'arbres, leurs branches courbées sous les bourrasques des multiples vallées. Il sentait l'arôme des champs de fleurs sauvages et, quelque part sous ses pieds, des étendues de calcaire et de limon, propice à la culture de la vigne. Lorsque la vision s'estompa, Firalfyn songea à l'ancien royaume boréale que son peuple avait quitté. Il n'eût jamais l'occasion d'observer de ses propres yeux cette région similaire, qui fut à l'origine d'innombrables chansons. Les Aërim l'appelèrent Ithilden, la lande d'émeraude, gardée par la puissante Cërodyl, forteresse dont les exploits resteront à jamais gravée dans l'histoire d'Alesta. Firalfyn mena ensuite son navire vers les cotes d'une région fortement boisée, prenant soin de décrire dans ses notes chaque paysage qu'il découvrait. Il y avait une grande quantité de pins, d'érables et de bouleaux blancs, qui s'étendait jusqu'à une presqu'île où l'équipage fit une halte. Les marins réapprovisionnèrent leurs stocks d'eau et de nourriture, puis Firalfyn entreprit d'explorer les environs sur la terre ferme. Il traversa la zone d'Ouest en Est, apercevant une nouvelle chaîne montagneuse qu'il appela dans un premier temps Tëleril, la petite ceinture. Cependant, Firalfyn découvrit à la suite de son voyage que ces montagnes couvraient près d'un quart de la cote occidentale d'Alesta, ce qui le poussa à changer le nom en Tëlevelen : la ceinture de l'Ouest. En atteignant l'extrémité Sud de la presqu'île, le capitaine dénicha un cap élevé qui offrait une vue splendide sur l'océan. Firalfyn contempla l'horizon de longues heures puis, poussé par son instinct, il appela le reste de son équipage. Mes amis ! Ce lieu est parfait pour guider les futurs marins d'Alesta ! Aidez-moi à empiler quelques pierres et nous élèverons une tourelle avec ces arbres. Plus tard, si le destin est favorable à notre peuple, un phare rayonnant sera érigé en ce lieu. Imaginez la surprise de ces jeunes Aërim en prenant conscience de notre passage ! Firalfyn et ses hommes se mirent au travail, et une fois leur labeur terminé, le capitaine grava son nom et celui de leur petit édifice : Fyrvelen, le Phare de l'Ouest. Ils célébrèrent l’événement par des chants, puis reprirent leur voyage autour du continent. Après avoir dépassé la presqu'île la cote décrivit une longue courbe. L'équipage réalisa avec amusement qu'elle dessinait sur plus de cents lieues les contour d'un croissant de lune, tourné vers le couchant. Firalfyn l'appela Cirdaëlys, le Golfe de la Lune, qui cachait derrière sa longue chaîne rocailleuse une somptueuse vallée, l'une des plus fertiles d'Alesta. Une fois le Golfe dépassé, le navire entra dans la région méridionale du continent. Des espèces d'arbres inconnues défilèrent sous les yeux émerveillés des marins, avec leur longue tige surmonté d'une houppe de feuilles pennées. Des plages de sable blond étincelaient sur les rivages, et les dauphins s'amusaient à faire la course avec l'embarcation des explorateurs. Les dieux veillent sur nous ! S'exclama Firalfyn avec joie. Leurs messagers nous accompagnent ! Quelle vitesse ! J'aimerais tant connaître leur langage... Après avoir généreusement sifflés à l'attention des voyageurs, les plaisants compagnons empruntèrent une autre route. Le navire passait désormais près d'une baie où se jetait un grand fleuve. Un vent chaud du Sud-Ouest accueillit l'équipage, et la température grimpa rapidement, forçant l'équipage à s'hydrater régulièrement. Firalfyn nota dans son carnet la présence d'oliviers et de figuiers, ainsi qu'une curieuse forêt d'arbres titanesques, dont le tronc pouvait aisément abriter plusieurs familles d'Aërim. Après trois jours de navigation dans ce nouveau climat, les marins arrivèrent aux régions de l'extrême Sud d'Alesta, là où se terminait le vaste désert d'Arnôm, qu'ils devinèrent grâce au sable contenu dans les bourrasques passagères. Firalfyn observa pour la première fois un volcan en activité, mais sa tentative d'accostage fut perturbée par des coulées de laves et une couronne de récifs particulièrement périlleuse. Alors que ses hommes pensaient le voir abandonner, le capitaine ordonna de mettre une barque à l'eau pour s'approcher au maximum du phénomène. L'équipage entier fut volontaire pour l'accompagner, et Firalfyn sélectionna trois marins pour rejoindre le rivage. Sur place, il prit de nombreuses notes, et après une longue contemplation, il revînt sain et sauf à bord du navire avec plusieurs fragments d'obsidiennes. De grandes choses peuvent être accomplies avec cette pierre, expliqua-t-il à ses hommes. Étant le seul Aëlym parmi nous, et surtout l'un des rares à avoir étudier le secret des runes, je ne m'étendrais pas sur l'aspect technique. Mais sachez que ce type de roche était utilisée pour ériger des barrières psychiques dans l'ancien royaume. Les maîtres, comme Irillos, composaient un carré magique dont la somme correspondait à une rune. Par exemple, trente-quatre est l'équivalent de Jed, pour un carré d'ordre quatre. Le maître gravait ensuite le carré sur la pierre, puis il traçait la rune avec son sang. Une fois terminé, s'il plaçait la roche à l'entrée d'une demeure, il était le seul à pouvoir y pénétrer, car les autres personnes étaient soit victimes d'illusions ; la demeure pouvait par exemple leur apparaître comme un arbre ou une colline, soit elles se rappelaient soudainement d'une affaire urgente à régler. Ce n'est qu'un exemple parmi d'autres, et selon le type de roche ou de carré magique, les effets sont divers : faire croître un arbre, animer un objet inerte, voir même rajeunir, pour les maîtres les plus doués. Les membres de l'équipage regardèrent les fragments d'obsidiennes avec admiration. Bien qu'ils avaient connaissances d'un tel pouvoir, aucun n'avaient été initié à l'art des runes. Art puissant et dangereux qui, à son plus haut degré, pouvait créer des objets aussi mystérieux que l'Alkaëst, dont Firalfyn et Vaënor ignoraient encore les propriétés les plus terrifiantes. Après avoir jeté un dernier regard vers le volcan, les explorateurs naviguèrent à proximité des terres afin de se réapprovisionner en eau douce. Une journée s'était écoulée lorsqu'ils accostèrent dans une calanque aux eaux turquoises, surplombée par un massif de roche granitique. Une rivière se jetait en cascade dans l'océan, répondant ainsi aux besoins de l'équipage. Firalfyn, comme à son habitude, se promena dans les alentours afin de compléter son carnet de voyage. Il escalada les falaises escarpées pour atteindre le sommet d'un plateau, et tournant sur lui-même, le capitaine fut ébloui par le panorama qui s'offrait à lui. Jamais Firalfyn n'avait vu un tel paysage. Du sable brun à perte de vue, tantôt couvert d’arbustes et de hautes herbes dorées comme le blé, tantôt encerclant d'étranges formations rocheuses. Il distingua à l'Ouest une forêt, mais ne sût dire de quoi elle était composée. Lorsque son regard se dirigea vers l'océan, le noble marin sût ce qui lui restait à faire. Ici se tiendra Fyrdenel, le phare du Sud ! Une fois qu'un édifice semblable à celui de la presqu'île fut érigé, Firalfyn et son équipage quittèrent la calanque pour faire voile vers l'Est. Depuis leur départ de Lemëlden, le capitaine passait la plus grande partie de ses journées à rire et chanter. Le soir, il contemplait les étoiles avant d'organiser les notes de son voyage, et après avoir conter une légende à ses hommes, il s'endormait paisiblement, bercé par le son des ondes maritimes. Firalfyn rêvait alors des lieux inexplorées d'Alesta, espérant un jour tous les découvrir, et avoir l'honneur de les nommer. Pourtant, le jour suivant, une première ombre vînt obscurcir la bonne humeur de l'équipage. Le navire passait devant un paysage bosselé, où émergeait des pierres saillantes et des dunes grisâtres. Au loin, à plusieurs centaines de lieues, des pics rocheux brisaient abruptement l'horizon. Firalfyn ressentit un léger malaise en les voyant, mais ce n'est qu'au coucher du soleil que la vigie donna l'alerte, d'un cri étranglé. À couvert ! À couvert ! Tous les regards se levèrent vers le ciel, et la majorité des marins s'accroupirent instantanément, les bras repliés sur leurs têtes. Il y eût un grondement lointain, semblable au roulement du tonnerre. Firalfyn était désormais le seul à se tenir debout, guettant anxieusement la forme monstrueuse qui battait ses ailes au-dessus de la cote. Songeant à son obsidienne, il s'engouffra sous la dunette pour s'emparer du plus gros fragment. À l'aide d'un ciseau, le capitaine s'empressa de graver un carré magique tout en psalmodiant une série d'incantations. Elfyneven, medylgizë, fëazâl... Etëmi olimë... Alors que la créature approchait, Firalfyn s'entailla le pouce pour tracer un symbole sur la roche noire. Il frissonna, puis jeta l'obsidienne dans les airs. Celle-ci flotta un instant, comme retenue par un fil invisible. Une note aiguë s'éleva, et la pierre se mit à tourner sur elle-même de plus en plus vite. L'équipage sentit le navire s'enfoncer soudainement dans les eaux, et ceux qui eurent le courage d'ouvrir les yeux observèrent avec effarement l'océan se refermer sur eux. À la surface, la chose les survola plusieurs fois avant de pousser un rugissement sinistre. Ce cri de colère et de désespoir résonna longtemps dans les cauchemars des marins, mais leur terreur s'estompait en repensant à l'éminente silhouette de Firalfyn. Imperturbable, le noble marin se tenait droit et fier, tel un puissant chêne affrontant sans crainte la tempête. Sous la couverture des eaux, ses cheveux blancs brillaient comme l'écume au milieu des vagues. Son regard, habituellement doux et bienveillant, foudroyait désormais la créature d'un éclat d'argent incandescent. D'un battement d'ailes elle s'éloigna, et lentement le navire regagna la surface de l'océan. La pierre noire implosa dans une violente bourrasque, et Firalfyn mit finalement un genoux à terre, exténué. Drokon... Murmura-t-il sombrement. Nous avons de la chance d'être encore en vie. Voyant leur capitaine extrêmement affaibli, l'équipage s'abstînt de l'assaillir avec des questions. Firalfyn les en remercia, et lui-même était loin d'avoir toutes les réponses. Cette région du Sud, plus tard nommée Caladrokon, allait tôt ou tard nécessiter l'intervention de son peuple. Mais la décision en revenait à Vaënor seul. Les légendes sur les reptiles monstrueux de l'ancien monde étaient connues des Aërim, mais aucun avant ce jour en avait eût témoignage de ses propres yeux. La magie utilisée par Firalfyn le cloua au lit avec une forte fièvre, le forçant à se reposer plusieurs jours. Contrairement aux autres marins, terrorisés au point de ne plus pouvoir réfléchir, il fut en mesure de percevoir les pensées de la bête. Celle-ci lui montra son repère dans une profonde crevasse, à l'Est du désert. Noble marin, se moqua-t-elle lors de leur confrontation. Viens m'affronter ! Ta chair me semble plus savoureuse que celle des tribus pitoyables qui se cachent dans les forêts... Tu as peur ? Non... Ton corps me craint, mais ton âme me résiste... Parfait, parfait... J'attendrais. Si par chance ta race survie, nous nous reverrons. Les dragons ne sont pas les seuls ancêtres qui peuplent cette terre, et ils ne sont pas les plus terribles... Rakshas ! Adieu noble marin ! Jusqu'à notre prochaine rencontre... Lorsque Firalfyn fut de nouveau sur pied, le navire faisait face à un long détroit. Alesta se divisait ici en deux parties car l'arc, au Sud-Est du croissant de lune, se fractura lors de sa formation par de terribles séismes. Deux routes se présentèrent ainsi aux valeureux explorateurs. Firalfyn hésita longuement, mais l'apparence des montagnes qui bordaient le Sud des cotes lui rappelait la créature, et il préféra s'engager dans le détroit pour en longer les falaises sur la rive Nord. Un nouveau climat, chaud et humide, lui permit de découvrir une végétation incroyablement ancienne. Les forêts étaient denses et couvertes de brumes. Il nomma la plus vaste d'entre elle Iteäntar, et les oiseaux multicolores qui la peuplait lui firent oublier la menace du terrible reptile. Leur langage lui était étranger, et certains répétaient parfois les mots qu'échangeaient les marins entre eux. D'autres fois ils mimaient une langue inconnue, éveillant la curiosité de Firalfyn. Ajitana ! Hedan ! Hedan ! À cet instant, le capitaine désira mettre pied à terre dès que l'occasion se présenterait. Le détroit décrivait une courbe, et les falaises laissèrent place à des plages de sables roses, pour le plus grand plaisir de Firalfyn. Une nouvelle merveille ! Ils dépassèrent les rivages pour remonter au Nord, et l'océan devînt si limpide que l'équipage pouvait admirer sans la moindre difficulté les fonds marins. En arrivant à l'entrée d'une baie, dans laquelle se jetait un fleuve, Fyralfyn décida d'accoster. Une intuition le poussait à remonter le cours d'eau, et les mots étrangers des oiseaux ne cessèrent de lui revenir en mémoire. La compagnie s'enfonça dans les terres plus profondément qu'à son habitude, et la splendeur du paysage laissèrent les hommes sans voix. De nombreux arbres fruitiers, parfois inconnus, complétèrent leurs provisions. Il y avait également une grande quantité de pins d'une couleur variant entre le rose et le rouge, et dégageant une délicieuse odeur parfumée. Les fleurs n'étaient pas en reste, et Firalfyn s'arrêtait souvent pour les dessiner. Sa bonne humeur laissa cependant place à une douce mélancolie, car il éprouvait chaque jour un désir de plus en plus intense de s'établir dans cette région d'Alesta. Mais son devoir le poussait à retrouver son roi pour lui faire part de ses découvertes. Un soir, alors que l'équipage campait à l'orée d'une immense forêt, dont la véritable étendue échappait à leur vision, l'un des marins s'éloigna pour faire le plein de combustible. Il s'appelait Elirel, et fut le premier à apercevoir le dragon du haut de la vigie. Comme ses compagnons, il était prêt à donner sa vie sans la moindre hésitation pour le bien de son capitaine. Son regard était le seul à percer l'horizon aussi loin que Firalfyn, y comprit la nuit, lors de la pleine lune. C'est dans cette condition qu'il aperçut des mouvements entre les arbres. Des silhouettes plus petites que la sienne, qui pensaient certainement échapper à ses yeux d'argents. Ne vous cachez pas ! lança-t-il d'un ton rassurant. Approchez ! Je ne vous ferais aucun mal. Elirel fit un pas dans leur direction, mais la majorité de ses épieurs s'évanouirent sous l'ombre des arbres. Un seul était resté, plus courageux que les autres. Sous le clair de lune, le marin découvrit avec émerveillement un homme au regard sombre. Vêtu d'une tunique de cuir et d'un manteau maladroitement tissé, il avait le teint légèrement cuivré et de longs cheveux noirs noués par une tresse. Des symboles étaient peints sous ses yeux et sur son front. Suivez-moi, lui demanda Elirel en appuyant ses mots par des gestes. Mes amis sont un peu plus loin. L'individu, plus petit d'une tête, retira lentement sa main d'un long poignard courbé en découvrant le visage d'Elirel. Il prononça une phrase en indiquant un lieu dans la forêt, avant de pointer le marin du doigt. Pour toute réponse, l'Aërim indiqua le Nord, avant de désigner le ciel avec fierté. La lueur dans son regard fit changer l'attitude de l'homme, qui s'inclina respectueusement. Setsu, dit-il en posant la main sur sa poitrine. Elirel. Suivez-moi Setsu. Timidement, Setsu marcha derrière le marin sans pouvoir détacher ses yeux de l'étonnante chevelure dorée. Les Aërim s'habillaient généralement en blanc, et leurs vêtements étaient brodés avec une richesse incomparable, aux motifs tissés en fils d'or et parés de pierres précieuses, si bien que Setsu crû avoir affaire à un roi venu au-delà de l'océan. Mais lorsqu'il tomba sur l'ensemble de l'équipage, et que Firalfyn, semblable à une étoile dans la nuit, se dressa sur ses jambes, l'homme se prosterna avec crainte. Il était désormais persuadé que les dieux étaient descendus sur terre pour leur venir en aide.
  15. II. AËLYS ESTANA Lorsque les navires quittèrent les rivages blancs, Vaënor jeta un dernier regard vers la terre de ses ancêtres. Son poing se serra sur l'étoile à sept branches, l'Alkaëst, si chèrement payé par son peuple. Bien qu'il l'ignora, son père fut rapidement assassiné après le départ de la flotte. L'ancien royaume des Aërim se couvrit alors d'une épaisse couche de glace, et tous ceux qui restèrent en arrière connurent une fin douloureuse. Bien plus tard, des hommes se rendirent à nouveau sur ce continent oublié, et même si quelques indices laissèrent deviner un climat autrefois tempéré, il ne resta aucune trace de la glorieuse civilisation polaire. Le vent du nord gonflait les voiles des neuf vaisseaux, entraînant les survivants vers une destination inconnue. L'océan était vaste, trop au goût de Vaënor. À leur départ chaotique, les Aërim n'avaient emporté que peu de vivres, mais leurs craintes se dissipèrent en découvrant d'importants stocks de nourritures dans les cales des navires. Le nom d'Erethor fut loué, car le sage avait anticipé les conditions dans lesquelles se déroulerait leur voyage. Vaënor ressentit une grande peine en songeant à la perte d'un tel allié. Il força cependant son esprit à oublier les événements passés, se concentrant uniquement sur l'avenir. En tant que roi, son devoir était de guider son peuple. En quittant le cercle polaire, la flotte entra dans une brume épaisse. Le cycle des jours et des nuits échappèrent au compte des Aërim, s'enchaînant à une vitesse qui leur sembla totalement étrangère. Le brouillard qui les encerclait devînt encore plus dense, au point où le ciel disparu complètement. Privés de repères, les neuf navires semblaient errer au hasard sur le grand océan. Désorienté, et craignant de rencontrer des obstacles invisibles, le roi ordonna l'arrêt de la flotte. Il convoqua les capitaines de chaque vaisseau et tînt conseil dans l'espoir de trouver une solution. Firalfyn était l'un d'eux, et parmi les plus grands navigateurs de son temps. Seul Vaënor le surpassait en taille et en prestance. Bien qu'il n'avait jamais voyagé aussi loin des côtes, Firalfyn étudia de nombreuses cartes, certaines datant d'un âge oublié, et décrivant les contours du Grand Océan. Je pense que nous avons dérivé, regretta-t-il. Cette brume cache les étoiles, et selon mes calculs nous devrions déjà avoir atteint un ensemble d'îles couronnant le continent sauvage... J'ai essayé de sonder le fond à plusieurs reprises, sans succès. Les archives du palais évoquaient des tentatives d'explorations, il y a bien longtemps. se rappela Vaënor. Mais aucun marin n'est revenu après avoir franchit les limites du pôle, ajouta-t-il sombrement. Ce brouillard doit en être la cause. Un vieil Aërim prit alors la parole, donnant l'impression de se souvenir d'une vieille légende. Irillos était son nom, et il fut autrefois un maître des runes. Aëlys Estana, murmura-t-il d'une voix rocailleuse. Nous sommes dans la région lunaire. C'est ici que l'astre d'argent a émergé des flots pour se fixer dans le ciel. À sa naissance, l'océan entra en ébullition et le monde fut enveloppé de vapeur... Cette brume est tout ce qu'il en reste. Nous voilà guère avancé, soupira Firalfyn. Au moins nous avons une idée de notre position, l'encouragea Vaënor. Nous retrouverons le ciel tôt ou tard. Le roi demanda à Firalfyn de piloter son navire, plaçant ainsi le meilleur navigateur à la tête de la flotte. De nombreuses interrogations s'élevèrent au sein du peuple, et des rumeurs de mauvaises augures commencèrent à se répandre. Très vite, une grande partie des Aërim furent convaincus que leur roi s'était perdu. Dans les jours qui suivirent, terriblement courts comparés à ceux de leur ancien royaume, Vaënor lui-même craignait que les vivres ne suffiraient plus à leur voyage. Firalfyn faisait de son mieux pour garder le cap, mais le brouillard était désormais si dense que les capitaines arrivaient à peine à discerner le mât de leur vaisseau. On ordonna de lier chaque élément de la flotte avec de longues cordes, et des cristaux lumineux avaient été disposés sur ces dernières, à intervalle régulier. Deux jours et deux nuits passèrent, puis les luminaires eux-même disparurent dans la sinistre brume. Au matin du troisième jour, après une sanglante mutinerie, les équipages de deux navires rompirent leurs cordes pour emprunter une autre voie. Nul ne sût ce qu'il advînt de ces Aërim, mais certains récits évoquèrent leur rencontre avec d'autres peuples, sur un vaste continent à l'Ouest du monde. Après le rationnement de la nourriture, la situation devînt extrêmement périlleuse. Firalfyn, héritier du don des Aëlym, chanta tristement à l'attention des étoiles. Ceux qui l'écoutèrent reprenaient courage, et sur les autres navires, certains de ses frères et sœurs accompagnèrent ses paroles : Scintillantes, belles et fières. Purs diamants de lumière. Constellations du ciel, Dans l'Océan Éternel. Tendrement je vous appelles. Gardiennes des rêves, à l'infini qui s'élèvent, Rendant grâce à la vie, Veillant sans répit. Dans la nuit noire, Une vision d'espoir. Étincelles de l'âme, Des esprits de flammes, Pour toujours rayonnent, Dans le cœur des hommes. Vaënor joignait sa voix au chœur lorsque le vieil Irillos vînt à sa rencontre. Il le pressa de se rendre à la dunette du vaisseau, où un sifflement strident effrayait les passagers. Le roi devina rapidement la source de ce bruit, ouvrant le coffre qui contenait l'étoile à sept branches. Une lumière rouge émanait de l'Alkaëst, et la gemme se tût lorsque Vaënor la prit entre ses doigts. Il lui sembla entendre des murmures, et son instinct le poussa à transporter l'objet sur le pont du navire. En retrouvant Firalfyn, il éprouva un intense désir d'exposer la pierre à la vue de tous. Le capitaine avait cessé de chanter, et la vision de son roi levant l'étoile pourpre vers le ciel lui paru dans un premier temps très curieux. Très vite, son visage perplexe laissa place à une expression stupéfaite. Un rayon argenté venait de percer la brume pour éclairer la silhouette de Vaënor, et levant les yeux vers le ciel, Firalfyn contempla la lune pour la première fois depuis de nombreux jours. Mon roi ! S'exclama-t-il avec joie. Varaë anor ! La lumière du royaume ! Votre nom est à jamais lié à notre destin ! Fira Alfyn, il en est de même pour le tien, noble marin. Lui retourna Vaënor avec un sourire. La brume qui entourait la flotte s'estompa sous les acclamations des Aërim, et Firalfyn déploya toutes les voiles pour faire cap vers le Sud. Ce fut le premier miracle de l'Alkaëst, et le roi la conserva désormais avec lui nuit et jour. Ayant été témoin de la sagesse de l'ancien maître des runes, il confia à Irillos la tâche d'élaborer un nouveau calendrier. Lorsque nous accosterons, mon peuple aura besoin de s'adapter à ce nouveau cycle. Le temps s'écoule plus rapidement ici... Même l'air me semble étranger. Il en est de même pour moi, acquiesça Irillos. Dans l'hypothèse où d'autres hommes vivent dans cette région du monde, je crains que nous leur apparaissions... Disons, différents. Craindre ? releva Firalfyn. J'ai du mal à concevoir une différence plus grande qu'entre un Varaïm et un Aëlym. Pourtant, cela ne nous a pas empêché de vivre en harmonie pendant des siècles. De ce que j'ai pu analyser jusqu'ici, reprit Irillos, les journées et les nuits sont cent quatre-vingt deux fois plus courtes. Si l'on prend mon âge, à savoir cinquante quatre saisons, ce qui fait deux-cents soixante dix Longues Nuits, et que je les transpose à ce cycle actuel... Et bien, je n'ai pas loin de cent mille nuits, et tout autant de jours. Cent mille ! s'écria Firalfyn. Voilà qui est loin de te rajeunir mon cher Irillos. Vaënor comprit alors en quoi son peuple risquait de paraître anormal aux yeux d'autres populations. La longévité de leur existence allait tôt ou tard attirer l'admiration, la jalousie, et peut-être pire : la vénération. Mais le roi ignorait encore les conséquences de leur exode, en particulier sur les futurs Aërim qui allaient naître loin de leur terre d'origine. Car ceux-ci, bien que dotés d'une longue vie, s'adaptèrent au nouveau cycle des jours, pour le plus grand malheur des descendants de Vaënor. La flotte poursuivit son périple jusqu'à l'épuisement des provisions. La tension était à son comble à bord des sept navires, mais la confiance de Firalfyn empêcha les passagers de céder au désespoir. La brume les entourait toujours, mais le ciel dégagé au-dessus de leurs têtes permis au capitaine de maintenir sa trajectoire. La nuit du quarantième jour depuis leur départ, le brouillard disparut. Vaënor grimpa en haut du mât pour rejoindre la vigie, et aux premières lueurs de l'aube il aperçut pour la première fois les plages immaculées du Lemëlden. Ëa ! Ëa ! Terre ! reprit Firalfyn, bientôt suivit par les acclamations des Aërim. Ainsi se termina la fuite de Vaënor, guidé par l'Alkaëst à travers l'épaisse brume qui entourait la région lunaire. Sa mère, Eliora, avait vu dans ses songes ce grand continent en forme de croissant de lune. Erethor, avant de périr sur le bûcher, eût en vision le destin de son peuple sur ces terres étrangères, et cette vision était à la fois grandiose et tragique. Irillos les avaient nommé Aëlys Estana, car ce fut à cet endroit précis que la lune s'éleva dans le ciel. Le continent qui se dressait désormais devant les Aërim était un fragment de l'astre de la nuit, dont les cicatrices sont encore visibles sur son pâle visage. Les sept navires jetèrent l'ancre, leurs coques couvertes de feuilles d'or et d'argent brillant avec éclat sous les rayons de l'aurore. Les mouettes chantèrent leur arrivé avec émerveillement, car jamais elles n'avaient vu d'hommes et de femmes aussi nobles et fiers. Même s'ils souffraient de la faim et de l'épuisement, les Fils du Ciel resplendissaient dans la lumière du jour. Une flamme immortelle brûlait dans leurs yeux, et la grâce accompagnait chacun de leur mouvement. Ce fut aussi la première fois que ces oiseaux reçurent des réponses à leurs appels, car Firalfyn connaissait leur langage, et il les salua joyeusement. Quand à Vaënor, aucun mot ne pouvait rendre justice à sa majesté. Il fut le premier à poser un pied sur le rivage blanc, et le nom qu'il donna à cette terre nouvelle résonna bien longtemps après son règne. En ce lieu j'établirais ma lignée. Moi, Vaënor, roi des Fils du Ciel. Car c'est du ciel que nous sommes venu ici-bas, lorsque la lune était jeune. À présent voici notre nouvelle demeure ! À jamais nos destinées y seront liées ! De ce jour jusqu'au dernier, Alesta est son nom !
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