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Alestan - La légende des sept sabres


Alestan
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LA REQUÊTE DU SABREUR

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La nuit était tombée, et Eyleen suivait Ren jusqu'au Nord Est de la cité, passant devant l'ambassade d'Elnath, gardé par des soldats vêtu d'une armure de cuir vert pâle et armés d'hallebardes. Ils se stoppèrent devant une grande résidence de trois étages en marbre blanc, franchissant une voûte pour grimper jusqu'au dernier niveau. Débouchant dans un long couloir rectiligne, ils dépassèrent plusieurs portes pour s'arrêter devant la dernière, et Ren tourna les disques d'une serrure à combinaison avant de l'invité à entrer dans son appartement.

 

- Le mien fait pâle figure à côté de celui-là. Commenta Eyleen en découvrant la demeure du sabreur.

 

Ce dernier avait enclencher un interrupteur pour alimenter les différents chandelier du lieu, révélant un grand salon et une cuisine tout aussi vaste, celle-ci délimitée par un comptoir en ébène. Une magnifique cheminée d'albâtre occupait un coin de la pièce, et Eyleen détailla le sol composé d'un revêtement de plusieurs matelats, chacun recouvert d'un tapis de paille. Une table basse était entourée de coussins, composant l'un des rares éléments du mobilier de l'appartement avec une bibliothèque et deux autres étagères. Eyleen était certaine que Ren avait laissé l'endroit dans le même état que le jour de son emménagement.

 

- Tu veux manger quelque chose ? Lui proposa-t-il en se dirigeant vers la cuisine. J'ai du riz, ou du riz.

- J'opte pour le premier choix. Sourit-elle, rassurée que le jeune homme tente un trait d'humour.

- Tu peux faire un tour pendant que je cuisine.

 

Eyleen visita les lieux, détaillant deux chambres mitoyennes avec chacune un grand lit et une armoire, parfaitement en ordre et dépourvue d'ornement. Il y avait également une pièce avec un bureau, une autre complètement vide et la salle de bain, avec une large baignoire et un grand miroir. Ce devait être triste de vivre seul dans un appartement aussi vaste, et encore plus quand celui-ci manquait cruellement de personnalité. Un lieu ordonné, stricte et solitaire. Un peu comme Ren Raigîn. Elle le retrouva dans le salon pour s'intaller sur un coussin autour de la table, observant le sabreur leur ramené chacun un bol de riz et un verre d'eau. Eyleen ne pouvait s'empêcher d'éprouver de la compassion en sa présence, réalisant à quel point le capitaine était incapable de profiter de la vie, sans doute à cause de la chose accrochée à sa hanche, ce sabre maudit qui l'accompagnait partout.

 

- Ce fut une longue journée. Fit-elle pour lancer la conversation, ayant de nombreux points à aborder avant qu'ils décident de se coucher.

- Tu ne regrettes pas de m'avoir accompagné jusqu'ici ?

- Non. Répondit franchement Eyleen. Pourquoi ? Tu regrettes que j'ai accepté ?

 

Un début de sourire étira les lèvres de Ren, transformant son visage austère pour le rendre presque charmant. Elle était certaine qu'il pouvait attirer la gente féminine si l'envie lui en prenait, ce qui ne risquait pas d'être le cas.

 

- Je t'en suis reconnaissant. La remercia-t-il. Comme tu as pu le constater aujourd'hui, je me trouve depuis plusieurs années dans une impasse.

- Tu m'as dis vouloir détruire Elaris. Comment tu comptes y arriver ?

 

Ses doigts se ressérèrent sur la table, et Eyleen perçu pour la première fois de la détresse dans sa voix. Ce fut comme si Ren avait attendu tout ce temps pour pouvoir exprimer ce qu'il avait sur le coeur, et elle fut à la fois surprise et honorée d'avoir obtenu sa confiance au point de devenir sa confidente.

 

- Parle moi. L'encouragea-t-elle.

- Je ne peux pas le faire seul. Se désola-t-il, les dents serrés après avoir avoué ce qu'il considérait comme une humiliation. J'ai songé un nombre incalculable de fois à simplement tuer tout le monde, mais ce n'est pas ce qu'il aurait souhaité.

- Tu veux parler de ton maître ? Devina Eyleen avec douceur.

 

Il leva ses yeux sombres vers elle, perçants et insondables, teintés d'une douleur se passant de mots, tout comme ceux d'Alestan.

 

- Jigoro est l'homme qui m'a élevé. Confia-t-il avec fierté. Il m'a prit sous son aile pour me transmettre ses enseignements. Il me répétait souvent que je reprendrais la direction du temple après sa mort. A l'époque je ne pensais pas être celui qui la causerait.

 

Le coeur d'Eyleen se serra dans sa poitrine, ne pouvant imaginer ce que l'on ressentait en ôtant la vie d'un homme que l'on considérait comme son propre père. Elle demeura silencieuse tandis que Ren marquait une pause pour trouver ses mots.

 

- Mon maître a essuyé de nombreuses tentatives d'assassina, toujours dans le but de s'emparer de son sabre. L'une d'elle l'avait grièvement blessé, et il en a gardé de lourdes séquelles. L'année de mes quinze ans, son état avait particulièrement empiré. Il m'a alors révélé la vérité sur Asaku, m'expliquant qu'il s'était caché dans ce temple pour ne pas croiser la route des autres sabreurs. Ses blessures avaient été causé par l'un d'entre eux. Depuis, il dissimulait son sabre au sein de la forêt de Wanda, attendant de trouver une personne digne d'hériter de son fardeau. Un jour, au cour de notre entraînement quotidien, il échangea mon sabre en bois avec un autre en acier. Il m'annonça que le moment était venu, et que si je parvenais à le vaincre, je devais me rendre à la cité de Shura pour trouver Masamune, un vieillard qui venait parfois visiter le temple. L'instant suivant il essayait de me tuer... Ma lame l'a traversé de l'épaule jusqu'à la hanche, et c'est ainsi que je suis devenu l'un des Sept.

 

Le silence qui suivit le récit permit à Eyleen de pouvoir respirer, et surtout de contenir le chagrin qui grandissait en elle. Bien que Ren avait une haute estime de son maître, elle ne pouvait concevoir que ce Jigoro ait ainsi condamné un jeune garçon à vivre une telle tragédie.

 

- Je suis désolé. S'excusa-t-elle en baissant les yeux sur son bol de riz, qu'elle avait cessé de toucher.

- Tu n'as pas à l'être. La rassura-t-il. Il s'agit du destin des Sept. Je me suis égaré, mais tu comprends désormais ce qui me lie à Asaku. Après avoir brûlé le temple, je me suis rendu à Shura pour rencontrer Masamune. Comme tu le sais, c'est lui qui est à l'origine des sabres, et cette origine remonte à plusieurs centaines d'années.

- Comment est-ce possible ? Je veux dire... Il a sans doute crée la pierre des philosophes mais comment peut-il être aussi vieux ?

- C'est un mystère. Avoua Ren. Je n'en sais pas plus que toi. Masamune me répétait toujours que moins j'en savais et plus je serais en mesure d'accepter mon destin.

- C'est horrible... Souffla sombrement Eyleen.

- Pas plus que la menace qui pèse sur les peuples d'Alesta. La chose qui dort sous la cité d'Elaris, et qui se réveillera lorsque les sept sabres seront réunis en son sein.

- L'arme... Murmura Eyleen tandis qu'un frisson lui parcourait l'échine. De quoi s'agit-il exactement ?

- Un mécanisme capable de libérer une puissance indescriptible, intimement lié aux sept éléments de la Création. Révéla Ren.

 

Une partie d'Eyleen repoussait l'idée même d'une arme fonctionnant avec un tel principe, tandis que l'autre assemblait progressivement un véritable puzzle alchimique.

 

- Mon père disait qu'avant d'exister le monde n'était que Néant. Se remémora-t-elle. Puis vinrent les Ténèbres, qui régnèrent sans partage jusqu'à la venue de la Lumière. Des deux naquirent le Feu, puis la Terre, avant de finir par l'Eau et l'Air. Les sept éléments qui, une fois associés, donnent en alchimie la Pierre Philosophale.

 

Un éclair de compréhension traversa le cerveau d'Eyleen pour envoyer une violente décharge dans ses neurones. Comment avait-elle pu passer à côté d'une telle évidence ?

 

- Ton sabre est lié à l'air ! Celui d'Alestan aux ténèbres ! Les cinq autres doivent être respectivement associé aux éléments restants. Une fois réunis ils deviennent la pierre des alchimistes !

- Tout à fait. La félicita Ren. Et désormais l'un des Sept cherche à réactiver l'arme, ce qui est la raison de ma présence à Elaris.

- Icare. Devina Eyleen. Qui est-il ?

- Un mystère. Après la mort de mon maître, Masamune m'a envoyé ici pour le garder à l'oeil. Je sais qu'il s'est emparé d'au moins deux sabres, l'un d'eux appartenant actuellement à Valdir, le capitaine de la Première Division. Icare tire les ficelles dans l'ombre afin de créer une situation de crise, justifiant ainsi l'éveil de l'arme d'Elaris. Je suis également certain qu'un autre sabreur lui a prêté allégeance, de gré ou de force. Alestan m'a assuré que le possesseur de Berham était digne de confiance, ce qui nous laisse une certaine marge avant que le pire n'arrive.

 

La quantité d'informations délivrées par Ren commençait à faire surchauffer le cerveau d'Eyleen, qui parvînt tout de même à ne comptabiliser que six sabreurs.

 

- Il en manque un. Nota-t-elle.

- Masamune en a perdu la trace depuis plus de quatre siècles.

- Oublions-le pour le moment. Tu m'as dis qu'Alestan ne devait en aucun cas savoir qu'Icare se trouve à Elaris.

- Masamune à fortement insister sur ce point sans m'en donner la raison. Je ne connaissais pas le nom du propriétaire de Kusanagi à l'époque.

- Il pourrait nous aider.

 

Le regard de Ren se fronça légèrement, et Eyleen se doutait bien qu'il lui cachait ses véritables pensées concernant Alestan. Il était vrai que le vagabond possédait deux personnalités distinctes, et l'une d'elle ne jouait pas en sa faveur.

 

- Je vais être franc. Prévînt le capitaine. Je ne connais pas les intentions d'Alestan, et je crois que c'est le cas de tous ceux ayant croisé sa route et qui sont encore en vie pour le dire. Quand j'ai évoqué avec lui l'arme d'Elaris, il m'a clairement fait comprendre que toute cette histoire ne le concernait pas. Il cherche quelque chose, ou quelqu'un, et je pense qu'une fois qu'il l'aura trouvé nous n'entendrons plus parler de lui.

 

Bien que l'avis de Ren lui avait fait l'effet d'une giffle, Eyleen réalisa que ces mots sonnaient tristement justes. Quelle qu'en soit la véritable raison, Alestan ne les avait pas accompagné, préférant fuir au milieu de la nuit pour tracer son chemin seul. Elle était tout de même certaine qu'il était de leur côté, et après avoir été sauvé à de nombreuses reprises par celui-ci, il lui était impossible d'imaginer que le vagabond se fichait de tout. Il s'agissait au contraire de l'impression qu'il voulait donner pour ne pas s'attacher aux autres. Eyleen recentra la conversation sur ce qui les préoccupait pour ne pas évoquer plus longtemps ce sujet sensible.

 

- Comment Icare compte réunir les Sept ?

- Il en a déjà trois en comptant le sien. Je pense qu'il n'a pas prit pour cible le royaume d'Elnath au hasard. Le propriétaire de Berham sera le prochain. C'est pour ça que je tiens à aider la reine Yilda. Mais tant que nous sommes ici, je dois te demander une faveur.

- Je me doutais bien que tu m'as pas demandé de te suivre par gentillesse.

- Je pense que le mécanisme de l'arme se trouve sous la tour d'Elinor, dans ses fondations. Il y a un grand escalier qui s'enfonce sous terre, étroitement surveillé. J'ai réussi à m'y infiltrer une fois, jusqu'à atteindre une immense caverne plongée dans le noir. Je suis certain que l'arme se trouve à cet endroit, mais lorsque j'ai voulu vérifier par moi-même je me suis trouvé incapable de faire un pas de plus.

 

Ren sembla perdu dans ses pensées, comme s'il revivait ses souvenirs. Malgré son épuisement, Eyleen ressentit un regaîn d'énergie l'envahir et le pressa à poursuivre son récit.

 

- Mon corps refusait tout simplement d'avancer. Révéla-t-il. J'ai été forcé de partir, et Masamune m'expliqua plus tard que l'arme avait reconnu Icare comme son nouveau maître. Les sabreurs ne lui ayant pas prêté allégeance sont incapables d'approcher le mécanisme.

 

Ainsi Eyleen connaissait la raison de sa présence à Elaris, et bien qu'elle savait que Ren ne l'obligerait pas à faire ce qu'il s'apprêtait à lui demander, elle ne pouvait pas ignorer son désir d'étudier ce mécanisme de ses propres yeux, sa curiosité d'alchimiste l'emportant sur sa raison.

 

- Ely, j'ai besoin que tu te rendes dans cette caverne pour trouver un moyen de détruire l'arme d'Elaris.

 

Bien qu'elle accepta la requête, Ren lui conseilla de réfléchir jusqu'au lendemain avant de lui donner une réponse définitive. Eyleen passa une nuit agitée, retrouvant Ren dans la pièce vide de l'appartement aux premières heures du jour. Torse nu dans un pantalon large et plissé, ce dernier enchaînait des postures de combats dans une suite de mouvements lents et gracieux. Elle l'observa silencieusement effectuer cette danse d'apparence simple, nécessitant en réalité une grande concentration. Eyleen fut étrangement touchée par l'aura que dégageait le sabreur, un mélange d'harmonie rigoureuse et de détermination inflexible, une silhouette mortelle, acérée comme une lame.

 

- Je me rendrais dans la tour d'Elinor. Annonça-t-elle lorsque Ren mit fin à sa démonstration.

- Je t'en suis reconnaissant. La remercia-t-il. Nous devons élaborer un plan.

- En effet, et j'aimerais que tu m'enseignes le combat au sabre.

 

Eyleen avait laissé les mots s'échapper sans même y penser. Un éclair de surprise écarquilla brièvement les yeux sombres du capitaine, aussitôt remplacé par sa sévérité habituelle.

 

- Je ne serais pas tendre. Prévînt-il.

- Et j'aurais également besoin d'un laboratoire alchimique. Ajouta-t-elle.

- Ma Division en possède un.

 

Ils se changèrent pour prendre leur petit déjeuner, puis Ren guida Eyleen au Nord Est d'Elaris pour rejoindre un long bâtiment rectangulaire aux coins arrondis. Les quatre murs principaux s'élevaient à une bonne hauteur et chacun était percé d'une porte en bois massif, cerclée de fer, une gravure indiquant la " Troisième Division " inscrite sur l'arc surplombant l'entrée. Deux gardes vêtus de noirs les accueillirent en plaçant leur poing sur la poitrine, saluant respectueusement leur capitaine ainsi que leur nouvelle lieutenant. Eyleen put alors contempler l'intérieure de la caserne, vaste et pleine de vie, où plusieurs centaines de soldats vaquaient à leur occupation autour des différentes constructions prenant appui le long des murs d'enceintes. Un chemin de ronde permettait aux guerriers de faire le tour de la muraille, offrant par la même occasion une belle vue sur l'Oros Florseïs et l'immense pointe brillante d'Elinor, son diamant surplombait fièrement la cité d'Elaris. Un groupe d'homme s'empressa de les rejoindre, et bien que la plupart arborait un manteau sombre semblable à celui de Ren, d'autres se distinguaient par leur propre style vestimentaire mélangeant  une belle variétés d'armures de cuirs et d'amples tuniques de combats. Eyleen se sentait légèrement embarrassée de se trouver pour la première fois devant ceux qui devaient désormais obéïr à ses ordres. Elle était certaine qu'un bon nombre de ces soldats étaient beaucoup plus compétent pour ce poste, mais elle fit de son mieux pour garder une attitude digne et impassible. Ren s'adressa à un homme chauve au visage partiellement brûlé, deux fois plus âgé que lui et semblant tenir en haute estime son jeune capitaine, comme pouvait en témoigner son regard admiratif.

 

- Rassemble les officiers Kiteo.

- Bien capitaine.

 

Ren se tourna ensuite vers Eyleen pour lui décrire l'usage des différents bâtiments qui composaient le quartier général. En plus des différents entrepôts et baraquements des soldats se trouvait une armurerie, un grand réfectoire, une salle d'entraînement ainsi qu'un espace réservé aux gradés.

 

- J'ai divisé les effectifs en dix groupes d'une cinquantaine de combattants. Expliquait Ren tandis qu'il se rendaient à la salle des officiers. Chaque groupe est sous les ordres d'un sergent.

- C'est le cas pour les autres divisions ? Demanda Eyleen, curieuse de savoir si la même hiérarchie était appliquée à l'ensemble de l'armée Neutre.

- Non, chaque capitaine gère ses effectifs comme il l'entend. Certains ont choisis de ne pas déléguer leur autorité, et d'autres ont fait comme moi afin de se laisser une plus grande marge de manoeuvre.

 

C'est ainsi qu'il pouvait s'absenter plusieurs semaines sans pour autant délaisser ses troupes. Kiteo les avait rejoint avec neuf autres, d'âge et d'apparences disparates, pour pénétrer dans une vaste et sobre pièce. Ils s'installèrent autour d'une table ronde et Ren introduit Eyleen aux officiers avant de les informer des évènements d'Hekario, terminant par évoquer son intention d'apporter son aide à la reine Yilda. Eyleen ne participa que très peu à la conversation, l'impression d'être une étrangère au milieu de tous ces guerriers, dont la plupart devait certainement la haïr pour avoir obtenu sans expérience un poste aussi élevé. Ren termina sa réunion en demandant à chaque officier de mettre au point un plan de bataille pour déjouer une invasion d'Ademar, sans oublier d'inclure Eyleen dans leur stratégie.

 

- Prenez en compte les capacités du lieutenant Tarimiel. Le typographie d'Elnath est un avantage décisif pour son alchimie.

 

Elle se retînt d'ajouter que leur victoire était en grande partie dû aux deux sabreurs et à l'aide miraculeuse des esprits de la forêt. Ren la mettait trop en valeur à son goût, comme s'il essayait de justifier sa présence incongrue auprès de ses hommes, dont certains allaient même jusqu'à prendre des notes.

 

- Et dans le cas où le Maréchal n'obtient pas l'accord de la Chambre ? Questionna un officier aux cheveux frisés qui retombaient devant ses yeux, son visage dissimulé jusqu'au nez par un col beaucoup trop grand.

- Ceux qui souhaiteront m'accompagner iront se battre à mes côtés, quand aux autres ils pourront rester ici à obéïr gentiment aux ordres.

- Même pas en rêve ! S’esclaffa Kiteo, dont les yeux bruns étincelaient. Bien que s'opposer au Conseil est synonyme de trahison. Que pensez-vous de nos chances de réussites lieutenant ?

 

Hormis Ren, le sergent fut le premier à s'adresser directement à Eyleen. Elle détailla son apparence sinistre, enveloppé dans le même manteau noir que le sabreur, sa peau affreusement estropiée, sans doute la conséquence d'une séance de torture. Avec son visage de poupée et sa soyeuse chevelure écarlate, elle faisait pâle figure comparé à l'allure effrayante de l'homme. Eyleen s'exprima cependant d'une voix ferme en dévisageant Kiteo d'un intense regard.

 

- Au diable la chance. Mais quitte à choisir je préfère mourir pour une cause juste plutôt que vivre dans une cage.

 

Un silence respectueux suivit ses paroles, et tous comprirent en cet instant qu'elle n'était pas aussi fragile qu'elle le laissait paraître. Ren rompit leur rassemblement et ils se trouvèrent les seuls restant dans la salle.

 

- La moitié de ces hommes vont répéter ce qui vient d'être dit ici. Révéla-t-il.

- Tu leur as intentionnellement dévoilé tes plans ? L'interrogea Eyleen, surprise.

- Ceux qui rendront docilement leur stratégie de bataille seront des pions d'Icare. Les plus fidèles n'en feront rien.

- Comment peux-tu en être si sûr ?

- Ils savent que j'ai déjà élaboré une tactique et qu'elle sera la plus efficace.

- Je ne te savais pas aussi présomptueux. Le taquina-t-elle.

 

Ren esquissa un sourire avant de l'inviter à le suivre dans le laboratoire d'alchimie, à deux pas de la salle des officiers. Il s'agissait d'un espace confiné et visiblement abandonné depuis quelques années, bien que le matériel semblait encore en bon état. Eyleen examina la verrerie d'un oeil expert, ôtant parfois la poussière des instruments, cornues, extracteurs, pélicans, triangle de distillations, réfrigérants et autres ampoules à décanter. La plupart des appareils n'étaient pas d'aussi bonne qualité que ceux qu'elle possédait à Hekario, mais largement suffisant pour mettre au point des préparations complexes.

 

- Je vais débloquer un budget pour te permettre de remettre cet endroit en fonction. Déclara Ren au seuil de la porte.

- Il suffit d'un bon nettoyage. Assura Eyleen. Mais si tu insistes j'ai quelques améliorations en tête. Je vais pouvoir préparer mes feuilles de Noctarils pour nous aider à s'infiltrer dans la tour d'Elinor.

- Parfait. Tu souhaites toujours apprendre à manier le sabre ?

 

Elle acquiesça, et le sabreur la guida jusqu'à la salle d'entraînement du quartier de la Troisième Division, un bâtiment de bois orienté vers le Sud, au sol couvert des mêmes matelas que ceux se trouvant dans l'appartement de Ren. Après avoir grimpé quelques marches pour faire face aux portes coulissantes grandes ouvertes de l'édifice, le sabreur ôta son manteau et se mit pied nu pour pénétrer dans ce qu'il nommait " un Dojo ". Eyleen l'imita, même lorsqu'il salua respectueusement la salle pour s'installer sur les genoux au fond de cette dernière. Elle fut légèrement surprise lorsqu'il lui demanda ensuite de s'assoir près de la porte, et elle examina distraitement les décorations se trouvant derrière Ren, se résumant à quelques sabres et autres calligraphies exposés contre la cloison. L'atmosphère de l'endroit était à la fois sobre et apaisante, renforcée par le fait qu'ils avaient la salle pour eux seuls.

 

- Pourquoi je devrais rester toute seule près de la porte ?

- Ce lieu a été construit afin que l'enseignant reçoive la lumière du soleil, qui symbolise la connaissance qu'il doit transmettre. Ainsi les élèves ne peuvent voir cette lumière qu'au travers de leur maître, qui doit la refléter grâce à son enseignement comme le ferait un miroir.

 

Ren prenait la chose beaucoup trop sérieusement à son goût. Elle lui avait simplement demandé quelques conseils sur le maniement du sabre, et non un cours complet sur le sujet. Eyleen entra dans son jeu et salua à nouveau le sabreur, se retenant de décrocher un sourire. Il la dévisageait avec intensité, sa longue tresse retombant devant son épaule pour reposer près de son sabre aux teintes azurées.

 

- Tu as déjà étudié l'anatomie ?

- Plus ou moins. Avoua-t-elle.

- Quels sont les moyens les plus efficaces de tuer un homme ? L'interrogea-t-il.

 

Eyleen avait vu de trop nombreuses façons de mourir, toutes plus horribles les unes que les autres. Les citer prendraient beaucoup trop de temps, et elle savait que Ren attendait une réponse simple et précise.

 

- Toucher un point vital.

- Quels sont-ils ?

- Le coeur, les artères coronaires, fémorales, radiales, la jugulaire, les poumons, l'estomac, le cerveau. Énuméra-t-elle. Les fonctions vitales en somme.

- Bien. La félicita Ren. Et quel est le point commun de tout ce que tu m'as cité ?

 

Une personne dénuée de réflexions aurait dit qu'il n'y en avait aucun, mais Eyleen avait connu suffisamment de combats pour comprendre où il voulait en venir.

 

- Ils sont difficile à atteindre avec un sabre.

- Vraiment ? Fit le capitaine, faussement surpris. Je suis d'accord pour ce qui est des attaques avec le tranchant de la lame, mais la taille ne fait pas tout.

- L'estoc. Réalisa-t-elle. On peut les atteindre avec une estocade.

- C'est l'une des deux choses t'ayant permis de remporter ton duel contre le chef des mercenaires d'Hekario. Lui accorda-t-il. Quelle est l'autre ?

 

Eyleen eût un rapide souvenir de son combat contre Darian, la façon dont elle avait plongé sa dague dans son abdomen correspondait effectivement à un coup d'estoc. Mais ce détail n'était que secondaire, car elle devait admettre que son adversaire l'avait surpassé et que sa victoire ressemblait plus à de la chance qu'autre chose.

 

- L'effet de surprise.

- Non. Contra Ren. La surprise n'était qu'une conséquence. Comment l'as-tu vaincu ?

- Ma volonté ?

- Encore une conséquence. Rétorqua-t-il en fronçant ses sourcils aiguisés.

- La chance ?

 

Elle regretta presque aussitôt sa réponse en notant une légère déception chez le sabreur. Il se leva pour se diriger vers un coffre près des objets décorant le Dojo, saisissant un sabre de bois qu'il lança dans sa direction. Eyleen l'attrapa au vol avant de se mettre face à Ren, qui la salua à nouveau avant de se mettre en garde.

 

- Et toi ? Lâcha-t-elle, vexée.

- Tant que tu n'as pas compris comment tu as vaincu ce mercenaire je n'en ai pas besoin. Lui assura-t-il avec arrogance. Tu gagnes si tu parviens à me toucher.

 

Eyleen le détestait lorsqu'il prenait ses grands airs. Choisissant de ne pas retenir ses coups elle s'élança sur Ren, feintant une attaque frontale avant de brusquement changer de direction pour le frapper au cou avec agilité. Son sabre fila à toute vitesse, mais Eyleen fut forcée d'interrompre son attaque afin d'esquiver un poing visant sa tempe, aussitôt suivit par une violente douleur au niveau de son poignet et de ses jambes. Désarmée, elle perdit l'équilibre pour se retrouver dos contre le sol, ses yeux bleus rivés sur la pointe de son arme. Elle n'avait aucune idée de ce qui venait de se passer, hormis le fait qu'en situation réelle elle aurait perdu la vie sans même s'en rendre compte.

 

- Encore un essai ? Proposa Ren en lui rendant le sabre en bois.

 

Les joues empourprées de colère, Eyleen se remit sur pied malgré l'intense douleur qui persistait dans son poignet, tout comme l'effet de béquille affaiblissant sa jambe droite. Préférant cette fois-ci agir avec plus de prudence, elle força le sabreur à entamer une ronde, examinant chacune des faiblesses de la garde de ce dernier. En vérité, il se contentait de plier les coudes devant sa poitrine avec les paumes ouvertes, laissant une multitude d’opportunités pour l'attaquer. Eyleen esquissa plusieurs gestes pour le faire réagir, mais Ren demeurait impassiblement dans sa position. Tentant une tactique qui n'en était pas une, elle jeta son arme sur le sabreur qui s'écarta pour esquiver, offrant ainsi une occasion de l'affronter au corps à corps. Bondissant pour tendre la jambe, Eyleen asséna un coup de pied qui manqua de peu la poitrine de Ren, ce dernier lui agrippant le mollet pour la rapprocher dangereusement vers lui. Il plongea deux doigts sous sa poitrine, exécutant une frappe rapide avant de s'écarter pour la regarder s'agenouiller, le souffle coupé. Elle avait rarement été aussi humiliée de sa vie, mais Eyleen préférait mourir plutôt qu'avouer sa défaite. Une longue minute s'écoula pour que soa respiration se stabilise, un temps qui lui permi de réaliser que même sans le pouvoir conféré par son sabre, Ren demeurait un combattant exceptionnel. Cette révélation fut confirmée lors des trois nouvelles tentatives infructueuses qui la laissèrent épuisée et nauséeuse, le corps rudement endoloris.

 

- Ce sera tout pour aujourd'hui. Annonça gravement Ren.

- Pourquoi ? S'exclama Eyleen en serrant les dents de douleur. Je peux encore le faire.

- Non tu ne peux pas.

 

Sa voix avait perdu de sa sévérité, bien qu'il ne fit aucun effort pour tenter de la réconforter.

 

- J'ai touché certains points essentiels de ton corps. Expliqua-t-il. Tu as besoin de repos pour récupérer.

- Des points essentiels ? Répéta-t-elle sans comprendre.

- Ce sont des terminaisons nerveuses qui peuvent provoquer une perte de connaissance, des nausées, des paralysies et même la mort en fonction de la force, la précision et l'angle utilisé pour les frapper. Je ne souhaite pas mettre ta vie en danger en continuant cet entraînement.

 

L'image d'Alestan grimpant sur le dos de Riko, le colosse au service de Darian, lui revînt en mémoire. Lors de la réunion des mercenaires le vagabond avait aisément battu la montagne de muscle en utilisant simplement le tranchant de ses mains. Comparé à de tels prodiges, Eyleen se sentait si faible qu'elle récupéra ses affaires et quitta le Dojo sans dire mot, sortant du camp pour rentrer à l'appartement. Des larmes de colère et de hontes lui montaient aux yeux, et elle regretta d'avoir demandé à Ren de l'aider à s'améliorer.

 

- Tu n'es qu'une idiote...

 

Elle essuya ses joues en faisant de son mieux pour maîtriser ses émotions, réalisant par la même occasion qu'elle ne connaissait pas le code de la porte. Eyleen dépassait l'ambassade d'Elnath lorsque Ren la rattrapa au pas de course.

 

- Excuse-moi ! S'exclama-t-il.

 

Elle écarquilla les yeux d'étonnement, ne s'attendant pas à voir le sabreur débarquer avec une expression aussi gêné. Il ressemblait à un petit garçon qui venait de commettre une bêtise, sans toutefois parvenir à lui ôter son ressentiment.

 

- Tu m'as prévenu que tu n'allais pas être tendre. Rétorqua-t-elle froidement.

- Ce n'est pas une raison pour agir comme un imbécile. Regretta-t-il. Pardonne-moi.

- Tu n'a pas besoin de me prouver que tu es plus fort que moi Ren. Je le sais déjà.

- La véritable force est celle venant du coeur, et en cela je suis terriblement faible comparé à toi. C'est ce que j'ai compris depuis que je t'ai rencontré.

 

Eyleen en resta sans voix. Après l'avoir malmené dans l'indifférence voilà que Ren la complimentait avec une douceur qui ne lui ressemblait pas. Elle fut tout de même touchée par ses paroles, bien que la gentillesse du sabreur ne suffisait pas à lui pardonner la froideur dont il avait fait preuve.

 

- Bien essayé mais je suis toujours en colère contre toi. Grommela-t-elle avant d'ajouter, après un court silence. Entraîne-moi à être plus forte et j'enseignerais à ton cœur à faire de même.

 

Parvenu à un accord, ils allèrent déjeuner dans une auberge avant de partir chacun de leur côté. Désormais en possession du code de l'entrée, Eyleen s'allongea dans son lit après avoir prit un bain, s'endormant aussitôt que sa tête se posa sur la surface onctueuse de son coussin.

 

 

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Un chapitre bien conséquent !

Le dialogue entre Ren et le Maréchal était bien tendu et bien narré, un passage plaisant.

C'est la qu'on se rencontre qu'Icare prévoit tout, un vrai calculateur le cerveau derrière cette grande machination, à la manière d'un grand génie du mal.

 

Je me dis aussi que Al rencontre Icare ce dernier va usé de son illusion pour faire Al perdre la raison et tombé dans les ténèbres pour devenir un tueur sans âme.

 

On a encore eu un lot d'informations sur l'arme et les sept sabres, et de nouvelles zones d'ombres se présentent, je me demande si Icare N'écoute pas une voix venant de l'arme.

 

Ely aura une mission à risque à réussir.

 

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QUARTIER GENERAL

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        Les jours qui suivirent leur première scéance d'entraînement, Ren et Eyleen ébauchèrent un plan pour entrer dans la tour d'Elinor, se basant sur l'expérience du sabreur qui, lors de son premier essai, avait revêtit l'uniforme et le masque d'acier d'une sentinelle d'Elaris. Chaque matin, Eyleen s'invitait dans ce qu'elle appelait la salle de méditation pour reproduire les postures executées par Ren, découvrant dans cette danse lente et gracieuse un effet de relaxation innatendue.

Chaque geste du Seiho possède un parfum et un flux différent. Lui enseigna-t-il. Ensemble, ils permettent de conduire l'énergie vitale pour aiguiser le corps. Le but de l'exercice était de vider son esprit en se laissant guider par les différents enchaînements, telle une lame guidée par une conscience invisible. Au bout du troisième jour, Eyleen connaissait les mouvements par coeur et pouvait pleinement apprécier cette sensation de paix intérieure, tout en ayant l'impression de pouvoir déplacer des montagnes par la seule force de son esprit. La méditation était encore plus intense lorsqu'elle la faisait nue, mais Ren en fut si outré en la voyant se déshabiller qu'elle dû garder ses sous-vêtements pour lui éviter une crise de pudeur.

 

- Tu le fais bien torse nu. Lui avait-elle fait remarqué.

- Ce n'est pas la même chose !

- Dis... Tu serais pas vierge par hasard ?

- Bien sûr que non ! S'était-il interloqué, aussi rouge qu'une tomate.

- Souviens-toi du marché. Il ne te reste plus qu'un seul mensonge.

 

Eyleen était devenu particulièrement douée pour embarasser Ren, et encore plus pour l'agacer. Cependant, ses instants de supériorités étaient rapidement oubliés lors des scéances d'entraînement éprouvante dans le Dojo, qui se soldait toujours par la victoire écrasante du sabreur, qu'elle n'avait toujours pas réussi à atteindre après quatre jours de durs efforts. Malgré cette ombre au tableau, Eyleen avait apprit énormément sur la façon de manier un sabre. Elle avait corriger sa prise sur la poignée, qui contrairement à ce qu'elle pensait ne devait être tenu que par le pouce et l'index, les autres doigts n'excerçant qu'une légère pression qui s'intensifiait uniquement lors d'une frappe. Ren lui avait également enseigner trente points essentiels du corps, précisant ceux qui permettait de tuer un homme quelque que soit sa taille où sa force.

 

- En serrant le poing autour de la jointure de ton index, un coup contre la tempe de ton adversaire sera mortel. Récitait le sabreur en effectuant délicatement le geste sur Eyleen. Une frappe doigts tendus dans le cartilage thyroïde va provoquer quand à elle un étouffement sur le moyen où long terme, parfois mortel si le coup entraîne un enflement de la luette. Le plus simple vu que tu sais bien utiliser tes pieds, c'est une frappe dans le plexus solaire. Le réseau de nerfs qui le compose provoquera une paralysie. Par contre la légende de la paume dans le nez n'enfoncera pas d'os dans le cerveau, et même si cela s'avérait être vrai, j'ai déjà vu un guerrier se battre avec une flèche en travers du crâne une bonne heure avant de rendre l'âme.

 

Ren expliquait les différentes manières de tuer à main nue comme s'il parlait du temps qu'il faisait. Eyleen n'avait aucun doute quand au fait qu'il les avait déjà utilisé en combat réel. Après chaque entraînement, il lui demandait également quelle était la deuxième chose qui lui avait permi de vaincre Darian, mais elle avait cessé de lui répondre pour demeurer silencieuse, évitant ainsi de se tromper. Puis Eyleen rentrait à l'appartement prendre un bain avant de revenir au laboratoire d'alchimie  pour travailler sur la composition de ses graines et ses feuilles de Noctaril, désormais transformées en une pâte élastique noire, qu'elle chauffa au bain de sable pour la réduire en poudre compacte. Ren rassembla également de nouveaux ses officiers, et sur les dix sergents de la Troisième Division, seul trois n'avaient pas préparé leur stratégie. Parmis eux se trouvait sans surprise Kiteo, Ezraât, un grand Jelakim albinos dans une tunique blanche et sans manche, ainsi que l'homme aux yeux dissimulés sous ses cheveux frisés et la moitié de son visage sous le col de son manteau sombre, Orba Telsokan. Le capitaine garda ses trois guerriers digne de confiance pour congédier les autres, feintant de vouloir les réprimander pour leur insubordination.

 

- Ils sont plus nombreux qu'on le pensait. Regretta Kiteo en frottant son crâne parsemé de cicatrices.

 

Ren déchira en morceaux les parchemins griffonés de tactiques des sept sergents soupçonnés d'être à la solde d'Icare pour ensuite dévoiler son véritable plan.

 

- C'est pour ça que vous gérez un tiers des effectifs. J'étais à peu près certain qu'il était impossible de vous acheter. Ils doivent désormais se douter que nous allons changer notre stratégie, et c'est pour cela que nous allons la conserver.

 

Un sourire éclaira les visages des sergents, et Eyleen leur exposa ce qu'elle avait préparé avec Ren aux cours des derniers jours, de plus en plus confiante dans son rôle de lieutenant.

 

- Comme nous n'avons toujours pas de réponses de la part du Maréchal Kriphos, il convient de dire que la Division sera assignée à Elaris. Nous allons donc profiter de votre refus d'obtempérer aux ordres du Capitaine pour vous punir.

 

Kiteo éclata de rire, et même Ren ne put s'empêcher d'étirer le coin de ses lèvres.

 

- Donc, reprit-elle, votre punition consistera à mener vos Aërims en randonnée dans les montagnes d'Urkab.

- Un exercice de recrue ? Releva Ezraât, perplexe.

- C'est un châtiment plutôt faible. Accorda Orba. J'imagine qu'il cache autre chose.

- En effet. Poursuivit Eyleen. Vous traverserez les montagnes d'Urkab pour vous rendre à Yildun, sur la rive du lac Celeno. Nous vous rejoindrons là bas avant de partir pour Nera.

- J'ai débloqué une somme importante pour la rénovation du laboratoire. Développa Ren. Utilisez là pour loger vos hommes dans la ville et tentez de vous procurer des chevaux. Quand à toi Ez, j'aimerais que tu te rendes auprès de Valdir pour découvrir ce qu'il compte faire avec la Première Division.

- Pourquoi moi ? Protesta le sergent. Ce n'est pas parce que je suis originaire de Jelaka que le capitaine en charge de ce royaume me dévoilera ses intentions.

 

Une veine d'agacement gonfla sur la tempe du guerrier métisse face au silence de ses camarades, qui voyaient au contraire une bonne raison de le charger de cette mission.

 

- Ce cliché... Soupira-t-il. Je n'ai jamais adressé la parole à ce type.

- Je suis sûr que tu trouveras un moyen. Lui assura Ren. Tout devrait être prêt d'ici une semaine, donc pour l'instant contentez-vous de sortir d'ici comme si je vous avais passé un savon.

 

Les trois officiers franchirent la porte de leur salle de conférence la mine dépité et à grand renfort de jurons, laissant le capitaine et sa lieutenant à leurs réflexions. Eyleen noua ses cheveux flamboyants en chignon, se renfrognant en détaillant le visage soucieux de Ren.

 

- Qu'est-ce qui t'arrive ? Lança-t-elle. Il n'y a aucune raison que ce plan échoue.

- La présence de Valdir à Elaris ne présage rien de bon. Souffla sombrement le sabreur. Sa mission devait normalement s'étendre sur plusieurs mois.

- Elle consiste en quoi ?

- Le pouvoir d'Enkidu, l'actuel souverain de Jelaka, se limite à la capitale portuaire de Khem.  Le reste du royaume est décomposé en une multitude de clans qui se battent entre eux, et il en a toujours été ainsi. Une telle situation est problématique pour la politique d'Elaris et le rôle de Valdir est d'unir le peuple de Jelaka sous la bannière de leur roi.

 

Eyleen trouva la mission lourde en responsabilité pour un capitaine de l'armée Neutre. Elle se rappela alors la véritable nature de celui-ci, évoqué par Ren.

 

- Il possède l'un des Sept non ? Quel genre de sabreur est-il ?

- Je n'ai fait que le croiser. Il est beaucoup plus jeune que nous et semble agir directement sous les ordres d'Icare. Son sabre est unique en son genre.

- Développe.

- Il s'agit de deux canons d'avant-bras en or. De simple pièces d'armures.

- Je n'appel pas ça un sabre. Constata Eyleen. Peut-être qu'il le cache.

- Peut-être...

 

Les jours suivants s'enchaînèrent à toute vitesse, et ils entamaient le début de leur deuxième semaines à Elaris. Ren s'était entretenu avec le Maréchal pour appliquer la sanction à ses trois sergents, qui devaient partir pour les montagnes d'Urkab dès que le capitaine en donnerait l'ordre. Leur départ servirait non seulement à aider la reine Yilda, mais également à mettre en place leur infiltration au sein d'Elinor. Zakary Kryphos et la Chambre du Conseil allaient certainement se douter que la punition cachait quelque chose, captant ainsi leur attention au-delà des murs de la cité, offrant par la même occasion une meilleure chance à Eyleen de ne pas se faire repérer. Ezraât se préparait quand à lui se rendre au quartier général de la division de Valdir, sous prétexte de vouloir rejoindre ses rangs. Eyleen avait également terminé ses préparations au laboratoire et toucha son premier salaire, une somme rondelette qu'elle dépensa en grande partie dans des décorations, parmis lesquelles de nombreuses plantes, remplissant désormais l'appartement sous le regard impuissant de Ren.

Si la forêt te manque tu n'as qu'à le dire. Gromela-t-il en détaillant la collection de citrus des bois, ficus miniature, plants d'orangers et pots de fleurs éparpillé dans son salon.

 

- J'ai commandé un canapé aussi. Précisa Eyleen avec un grand sourire.

 

Comme toujours, le seul point noir demeurait son entraînement au sabre, qui se soldait toujours par une défaite cuisante. Ren la combattait désormais à arme égale, et bien qu'elle avait été impressionné par ses capacités à main nue, ce n'était que peu de choses comparé à son talent au maniement du sabre. Un grouffre séparait leurs compétences respectives alors que le sabreur retenait consciemment ses coups, hormis lorsqu'il brisait l'arme d'Eyleen, aux rares moments où elle était à deux doigts de l'atteindre. Elle avait tenté tout ce qui était en son pouvoir, passant parfois plus d'une heure à tourner autour de Ren, utilisant l'ennuie pour percer sa défense. La tentative du cri continuel pour lui casser les oreilles avaient également échoué, tout comme la fois où elle lui avait jeter sa petite culotte pour le décontenancer. Eyleen terminait ses scéances exténuées et abattue, retenant sa colère lorsque Ren lui posait son agaçante question.

 

- Comment tu as vaincu Darian ?

 

Elle avait décidé de l'ignorer jusqu'au huitième jour depuis le début de leur entraînement, après un échange particulièrement éprouvant où la pointe de son sabre frola la joue du capitaine après qu'elle soit parvenu à parer pour la première fois l'une de ses attaques. Elle se retrouva l'instant suivant étalée sur les matelas du Dojo, explosant d'un rire sans joie face à son impuissance totale contre un adversaire aussi talentueux.

 

- Comment tu as vaincu Darian ?

- Par chance ! S'écria Eyleen en se relevant d'un bond. Un coup de chance ! Répéta-t-elle en jetant son arme au sol. Que veux-tu que je te dise Ren ? Je pensais sincèrement mourir, c'est pour ça que j'ai...

 

La phrase demeura en suspend tandis que son coeur se serrait dans sa poitrine. Son corps se détendit comme lorsqu'elle effectuait ses mouvements dans la salle de méditation, et elle réalisa ce que Ren avait tenté de lui faire comprendre. Elle ramassa son sabre pour le tenir devant elle, croisant le regard sombre de son adversaire de ses yeux bleus, dont l'éclat de saphir venait subtilement de changer. Ils entamèrent une ronde, chacun cherchant le bon moment pour passer à l'offensive. Ren fit le premier pas, frappant de taille pour la forcer à parer. Eyleen commençait à le connaître et ne fit pas l'erreur de répondre à la provocation, se contentant d'esquiver d'un pas chassé. Elle reconnaissait désormais une vrai attaque d'un simple leurre, observant avec calme chaque geste du sabreur, de ses imperceptibles mouvements d'orteils jusqu'au battement de ses cils, calquant sa respiration sur la sienne. Les cloisons du Dojo donnaient l'impression de se resserrer pour les enfermer dans un espace confiné, empêchant toutes tentatives de fuite. Ren la surpassait à tous les niveaux, et même si elle pouvait désormais tenir plus d'une dizaine de secondes d'enchaînements, Eyleen finissait toujours par perdre. Toujours.

 

Il était temps de mettre en pratique ce qu'elle avait comprit, et cette révélation se mua en un simple coup d'estoc au coeur, passablement exécuté et certainement suicidaire en combat réel. Comme prévu, Ren repoussa son arme et plongea la sienne en visant sa poitrine, en plein dans le plexus solaire. Une attaque dangereuse, même avec de simple sabre en bois. Eyleen ne paniqua à aucun moment, et sa main libre attrapa instinctivement la lame du sabreur pour la dévier sous sa clavicule. Si elle fut d'acier, ses doigts aurait certainement été tranchés et son poumon transpercé. Tandis que ce geste instinctif s'exécutait sans qu'elle ne l'ait commandé, la main qui tenait son sabre resserra sa prise pour s'abattre impitoyablement sur le cou de Ren. Celui-ci libéra un projectile qui se figea dans le plafond, sectionnant son arme en deux avant qu'elle ne le touche. Il stoppa son sabre à un cheveux de la peau d'Eyleen pour lui éviter une douleur inutile. S'il n'avait pas utiliser l'une de ses plumes, Ren aurait perdu ce combat. Il n'avait pas triché par peur de souffrir, mais parce que le coup qu'elle porta à cet instant lui aurait brisé les cervicales.

 

- Ton entraînement est terminé. Déclara-t-il après l'avoir saluer avec respect.

- J'ai vaincu Darian car j'ai accepté de l'idée de mourir... Souffla Eyleen sans ressentir la moindre allégresse, les yeux rivés sur son sabre brisé.

- En effet. Un sabreur ne doit pas fuir la mort. Lui enseigna Ren. Elle doit devenir son allié. Une fois débarassé de cette peur, ton esprit sera entièrement concentré sur la victoire, et non la survie.

 

Eyleen comprenait désormais ce qui différenciait un excellent combattant d'un homme ne craignant pas la mort. Une infime variante, aussi véloce qu'un courant nerveux, et pourtant décisif au moment où les deux risquaient de perdre la vie. L'un dirigeait sa conscience pour à la fois survivre et vaincre, tandis que l'autre souhaitait simplement vaincre. Eyleen n'avait pas commandé à sa main de dévier le sabre de Ren, tout son être cherchait simplement à atteindre son cou.

 

- Comme lors de son duel contre Darian, où elle n'avait pas songé un seul instant à couper ses cheveux, mais simplement plonger sa dague dans le corps du mercenaire.

- Notre instinct nous pousse insconciemment à survivre. Réalisa-t-elle.

- Si tu considères ton corps et ton âme comme deux entitées disctinctes, tu es en mesure de dépasser tes limites physiques. Confirma Ren. Même si ça ne dure qu'une fraction de secondes, c'est ce qui fait toute la différence lors d'un combat. J'ai longtemps crû qu'il s'agissait de la véritable force, mais après avoir vu la façon dont tu as convaincu les habitants d'Hekario à se battre pour une cause, j'ai réalisé qu'être capable d'influencer le coeur des gens est de loin le plus grand des pouvoirs.

 

Eyleen sentit ses joues s'empourprées tandis qu'elle étirait ses lèvres dans un sourire timide. Sa réaction la prit au dépourvue et elle s'empressa de reprendre contenance, bien qu'elle devina un début de changement dans la personnalité de Ren.

 

- Dans ce cas, maintenant que tu m'as rendu plus forte, c'est à moi de respecter ma part du marché.

 

L'entraînement terminé, Ren et Eyleen paufinèrent les derniers détails de leur plan jusqu'au coucher du soleil. Kiteo et Orba préparèrent leurs hommes à partir dans les montagnes d'Urkab à l'aube afin d'accomplir leur punition, tandis que l'unité d'Ezraât était divisé entre les effectifs des deux sergents. Le guerrier albinos se rendit dans le quartier général de la Première Division, ayant pour consigne d'en apprendre plus sur les agissements de Valdir avant de rejoindre ses troupes au village d'Yildun. Ren avait dérobé deux accoutrements de sentinelle, dont les masques métalliques se révélaient fort pratique pour cacher leur identité. Eyleen quand à elle détailla son équipement alchimique, soigneusement préparé afin de mettre toutes les chances de son côté.

 

- Mes aiguilles tranquilisantes endormiront les gardes, et en cas de problème la poudre de Noctarîl dégagera un écran de fumée noire. Je peux aussi l'utiliser si je suis repérée.

- Si cette poudre plonge les environs dans l'obscurité du risque d'être désavantagé non ? Remarqua Ren en examinant les petites balles sombres sur la table du salon.

- C'est pour ça que j'ai ces graines luminaires. Enfin, c'est seulement si je me trouve dans une situation sans issue.

 

Ils dégustaient une tasse de thé aux fleurs de cerisiers, profitant de leur dernière nuit à l'appartement. Ce dernier avait complètement changé de visage depuis l'arrivée d'Eyleen, qui l'avait entièrement redécoré selon ses goûts à grand renfort de plantes multicolores et de tableaux. Elle rangea toutes ses préparations dans une bourse en cuir, délaissant son sac en bandouillère qui risquait de la faire remarquer.

 

- Je t'accompagnerais jusqu'à l'entrée de la tour d'Elinor pour surveiller les allées-venues. Rappela Ren. Tout ce que tu as à faire est de voir à quoi ressemble l'arme et comprendre son fonctionnement. Si ça te prend trop de temps on s'en tient au plan B.

- Je la scelle dans le tronc d'un Beorg. Son écorce est plus dur que l'acier ce qui devrait ralentir les plans d'Icare.

 

Eyleen ne possédait qu'une graine de ce type, que l'on trouvait dans la Forêt des Cèdres au Sud de Jelaka, et conçu pour le bâton par son père. Elle avait lut dans les notes de Reïko que son élaboration nécessitait cinq ans, et la moindre erreur forçait l'alchimiste à répéter l'opération depuis le début.

 

- Une fois fait on rejoint les autres à Yildun pour partir à Nera. Poursuivit le sabreur. Si nous parvenons à rendre la reine victorieuse, elle nous aidera surement à lutter contre Icare.

- Après tout c'est à cause de ses manigances que son royaume est en proie à la guerre. Confirma Eyleen.

- De plus, Alestan et l'autre sabreur se trouva à la capitale d'Elnath. Je ne peux pas dire avec certitude qu'ils se rangeront de notre côté, mais tes possibles découvertes sur l'arme pourraient nous donner un argument de poids afin de les impliquer.

- Et pour ce qui est de Masamune ?

 

Ren marqua une pause pour boire une gorgée de thé, ses yeux sombres fixant pensivement un point invisible. Eyleen avait beaucoup de mal à cerner le rôle de ce forgeron légendaire, visiblement à l'origine de toute cette histoire.

 

- Ce n'est plus qu'un vieil homme qui attend paisiblement la mort. Souffla le sabreur.

- Je pensais qu'il était immortel.

- Il le fut, j'en ai aucun doute. Mais je crois qu'un évènement a bouleversé sa vie, et depuis il se contente d'apporter une aide indirecte à ceux qui souhaitent changer ce monde.

 

Ils allèrent se coucher sur ses mots, et bien qu'elle était préoccupé par la tâche qui l'attendait le lendemain, Eyleen finit par trouver le sommeil. Elle fit un cauchemar pour le moins étrange, où le ciel s'obscurcissait tandis que des vagues gigantesques recouvraient les montagnes, les plaines et les déserts, emportant dans leur destruction les forêts, les villes et leurs habitants. Les paroles de la chanson des Sept sabres accompagnaient cette vision d'apocalyse, fredonné sur un air mélodieux et empli de tristesse.

 

Du levant au couchant,

A l'est du temps, A l'ouest des chants.

Par le feu, l'eau, l'air et la terre,

Des ténèbres à la lumières,

Jusqu'au Néant.

L'unité devient mouvement,

Puis énergie et matière.

Joie, amour, peur et colère.

Il s'emmêle puis se démêle.

Il est vivant et mortel.

Elle est l'essence éternelle.

Corps et âme.

Homme et femme.

Ainsi naissent les sentiments.

 

" Les sentiments naissent du coeur."

 

Des cris forcèrent Eyleen à se redresser en sursaut. En chemise de nuit, elle bondit hors de son lit pour se précipiter vers leurs origines, dans la chambre de Ren. Des bruits d'impacts la firent tressaillir, et en poussant la porte elle évita de justesse une plume acérée qui alla se figer dans le couloir.

 

- Ren ! L'interpella-t-elle.

 

Le sabreur se débattait dans ses draps trempés de sueurs, en proie à de terribles tremblements tandis qu'il jetait au hasard ses projectiles dans la pièces. Ignorant le danger, Eyleen s'empressa de le retenir par les épaules pour l'immobiliser, répétant son nom jusqu'à ce qu'il finisse par ne plus bouger. Il releva lentement ses paupières, fixant avec étonnement son visage inquiet avant de réaliser qu'il se trouvait dans sa chambre, aux cloisons percées de plumes.

 

- Que s'est-il passé ? Questionna-t-il sans comprendre.

- C'est à moi de te le demander. Rétorqua Eyleen.

 

Ren retrouva peu à peu ses esprits, et les traits de son visage anguleux s'affaissèrent en une expression sinistre.

 

- Les sept sabreurs étaient réunis. Se remémora-t-il. Il y avait une grande bataille, et une vague recouvrant le monde.

- J'ai également rêvé d'une vague... Murmura Eyleen. Sans doute parceque je me trouvais à proximité. Et les Sept étaient ensemble ? Tu as vu leurs visages ?

- Autour d'un coeur. Confirma-t-il. J'ai seulement reconnu ceux que j'ai déjà croisé.

- Les sentiments naissent du coeur.

- De quoi ?

- Le chant. Développa-t-elle. Le dernier vers parle des sentiments. Les sentiments naissent du coeur.

 

Les pièces du puzzle commençaient à s'assembler dans l'esprit d'Eyleen, et si la chanson avait été écrite par Masamune, ce dernier avait forcément dissimulé une information importante qui leur permettrait de comprendre le fonctionnement de l'arme.

 

- On dit que le coeur est la demeure de l'âme. Précisa Ren.

 

Eyleen s'installa près de lui sur le matelas, son cerveau en plein effervescence. Si elle parvenait à décrypter le chant, elle était certaine qu'un simple coup d'oeil sur l'arme lui permettrait de trouver un moyen de la détruire.

 

- Les sentiments naissent du coeur, le coeur est la demeure de l'âme. Résuma-t-elle. L'âme est l'essence éternelle.

- La chanson parle d'homme et de femme.

- Principe féminin et masculin. En déduit Eyleen, mettant à profit son raisonnement alchimique. Un principe d'attraction, ou d'opposition.

- La gravité. Réalisa Ren. Des récits décrivent Elaris comme une cité volante.

- Bien vu ! Le félicita-t-elle. Mais si c'est une arme, il doit y avoir une opposition. Les premiers vers évoquent les composants de la pierre philosophale, et donc des sept sabres. Le feu, l'air, l'eau, la terre, les ténèbres, la lumière et le néant. Ensemble il forme une unité qui en mouvement devient énergie et matière.

- Joie, amour, peur et colère. Récita le sabreur. Les deux premiers sont opposé aux deux autres. Et ce sont des sentiments.

 

Ils touchaient au but, Eyleen en était certaine. Ils avaient trouvé les vers correspondant au principe d'attraction, liée à la gravité, et ceux d'oppositions, liés aux sentiments.

 

- Ainsi naissent les sentiments... Réfléchit-elle. Une fois les fragments de pierre réunis le coeur serait donc alimenté par une énergie en rapport avec la gravité. Non, je crois qu'on fait fausse piste. De plus on a cette partie : " Il s'emmêle puis se démêle ", que je ne comprend pas.

- Moi non plus... Soupira Ren. J'ai également entendu ces mots dans mon rêve : Ce qui fut brisé sera réunifié. Les Sept de jadis ne feront plus qu'un, alors l'unité du commencement entraînera sa fin.

 

Eyleen aurait préféré qu'il n'ajoute pas plus de pièces au puzzle qu'elle tentait de résoudre, sans compter qu'ils n'avaient pas le temps de s'amuser à décortiquer chaque élément qui se présentait à eux.

 

- On réfléchira à tout ça hors d'Elaris. Proposa-t-elle avec sagesse. Je suis certaine de trouver des réponses après avoir étudié l'arme.

 

Ils laissèrent leurs suppositions de côté pour effectuer leur exercice matinal dans la salle de méditation, puis après avoir répété plusieurs fois leur plan d'infiltration dans la tour Ren se rendit au quartier général de sa Division pour ne pas attirer l'attention. Eyleen prépara de son côté des provisions pour leur prochain voyage, griffonnant de temps à autre une hypothèse sur le mécanisme de l'arme qu'elle s'empressait de rayer à chaque nouvelle réflexion. L'après-midi touchait à sa fin lorsqu'elle rejoignit Ren au camp, ce dernier inquiet de ne toujours pas avoir de nouvelles d'Ezraât.

 

- Il doit tenir à ne pas revenir sans informations. Le rassura Eyleen.

 

Kiteo et Orba étaient quand à eux partis à l'Est de la Terre Neutre au levé du soleil, ce qui leur ferait atteindre la ville d'Yildun le lendemain en milieu de journée. Le sabreur rangeait les uniformes dérobés aux sentinelles dans un sac quand un corbeau apparut à l'une des fenêtres du bâtiment des officiers, cognant son bec contre la vitre pour attirer leur attention. Eyleen laissa le sombre volatile entrer pour récupérer un rouleau de parchemin accroché à sa patte. L'oiseau s'envola aussitôt et elle déplia le message qui ne comportait pas le moindre mot. Ren s'approcha dans son dos pour jeter un oeil par dessus son épaule, devinant la raison de ce mystère.

 

- De l'encre invisible.

 

Ils s'installèrent à la table ronde pour roussir le papier à la chaleur d'une chandelle, ce qui révéla des lettres écrites hâtivement par un expéditeur familier.

 

Radis, Ely,

 

Je suis en route pour Dürkador avec la princesse d'Elnath et son chevalier. Le royaume veut passer une alliance avec le Roi Östen afin de pousser Ademar à abandonner la guerre. Je suis certain que l'un des généraux de la reine est un traître et que la vie de la souveraine est en danger. Il se peut qu'il soit l'un des Sept.

 

J'ai un mauvais pressentiment concernant la tournure des évènements, donc si vous comptez aider Elnath, rejoignez la reine à la forteresse de Lugnasad. Si tout se passe comme prévu, elle se trouvera là-bas. Partez immédiatement d'Elaris après avoir reçu ce message. Je vous retrouverais au coeur de la bataille, soyez sage.

 

                                                                                                                                Alestan

 

P.S : Envoyer cette lettre m'a coûté une trois pièces d'argent, vous pouvez me rembourser en envoyant le paiement au palais d'Abal ö Bhel ou attendre que l'on se retrouve.

 

Eyleen laissa brûler le parchemin, à la fois heureuse d'obtenir des nouvelles du vagabond et soucieuse de son avertissement. Ren sembla intensément réfléchir, tout aussi préoccupé par ces nouvelles peu rassurantes.

 

- Elnath veut unir ses forces à Albieros. Résuma-t-il. Le traître en question doit agir sous les ordres d'Icare, ce qui confirme mes hypothèses sur le deuxième sabreur.

- La conflit va s'étendre à quatre royaumes. Lâcha sombrement Eyleen. Pourquoi la reine veut en arriver à cette extrémité ?

- Pour faire réagir Elaris. Révéla Ren. Elle ignore que la Terre Neutre a provoqué cette guerre. On devrait laisser tomber l'infiltration et rejoindre les autres à Yildun.

- On ne laisse rien tomber.

 

Elle ne doutait pas que la situation de la reine était critique, mais Eyleen ne pouvait pas quitter la cité sans en avoir percé son lourd secret. Ils décidèrent de s'en tenir au plan pour se rendre à l'Oros Florseïs à la nuit tombée.

 

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Deux chapitre bien conséquent !

 

On continue à suivre le duo Ren et Ely qui s'affirment un peu plus dans sa nouvelle vie en tant que lieutenant, mais aussi en rapport au lien entre les deux qui s'épaissit de jours en jours. On remarque même les changements chez Ren petit à petit.

 

Si Ely cherche à devenir plus forte via Ren, ce dernier cherche à gagner en ayant un coeur plus adouci, une bonne façon que la complicité entre les deux devient plus fort.

 

J'aime déjà bien les 3 plus fidèles sergents de Ren, bien que parmi eux il devrait peut être y avoir un traître, enfin rien n'est sûr pour le moment. En tout cas Ren a mis en place une belle stratégie, après reste à savoir si ça sera utile face au calculateur Icare qui doit avoir plusieurs coups d'avance.

 

Les phases d'entrainements d'Ely furent bien décrite et narré, petit à petit elle a gagnée en assurance, vitesse, et aussi détermination, ça démontre déjà qu'elle sera bientôt une porteuse de lame, bien que je pense qu'elle devrait rester une alchimiste :P.

 

Bref j'attends la suite et une histoire d'amour entre Ren et Ely bientôt ?

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LA TOUR D'ELINOR

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        Les pinnacles dorés de l'Oros Florseïs étaient éclairées par le halo bleuté des cristaux de la ville, le sommet de la haute tour d'Elinor perdu dans l'obscurité tandis que Ren et Eyleen entraient dans le vaste hall de l'hexagone, baigné dans la lumière éclatante de ses lustres. Ils se dirigèrent vers le grand bureau circulaire où trois des six jeunes femmes habituelles renseignaient les visiteurs. Le lieu était moins fréquenté qu'en pleine journée, mais Eyleen fut surprise de croiser autant d'officiels à une heure aussi tardive. La fragile pyramide politique d'Elaris devait certainement nécessiter un entretien continuel pour ne pas s'effondrer. Ren se plaça derrière une femme aux cheveux sombres et frisés, visiblement contrariée de la réponse qu'elle venait d'obtenir.

 

- Je souhaite simplement parler au sénateur Alkadia !

- Madame Elesias. Soupira la secrétaire, visiblement exaspérée. Le sénateur est un homme occupé...

- Je n'ai plus de nouvelles depuis deux semaine ! Je ne peux pas lui écrire pour des raisons de sécurité... Je souhaite seulement demander au sénateur si mon mari est en bonne santé !

- Je promet de transmettre vos coordonnées. Votre conjoint se nomme Klein c'est bien ça ?

 

L'hôtesse griffona des informations sur une feuille avant de se tourner vers le colombier, faisant partir le message par pigeon voyageur à travers l'un des couloirs du grand hall. La femme la remercia sèchement avant de lui tourner le dos, et Eyleen croisa brièvement ses yeux bleus, rougis par les larmes qu'elle avait dû versé plus tôt. Etant donné la véritable nature du sénateur Alkadia, l'épouse de ce Klein avait peu de chance de revoir son mari. Ce fut au tour de Ren d'annoncer la raison de sa visite, un rendez-vous avec le service budgétaire des cinq divisions, simple prétexte pour justifier leur présence. Il invita Eyleen à le suivre dans le couloir sur leur droite, passant devant deux sentinelles pour s'enfoncer dans l'allée circulaire, au sol couvert d'une mosaïque bleutée aux motifs sinueux, identique à celle de l'étage. Ils laissèrent passer un groupe d'hommes et de femmes en tunique haut de gamme pour se glisser dans les toilettes, enfilant les uniformes des gardes d'Elaris par dessus leurs vêtements. Eyleen se sentait mal à l'aise derrière le masque d'acier couvrant son visage, ses mouvements limités par l'épais manteau noir qui avait pour seul avantage de dissimuler son bâton, le sabre courbé d'Hakim et la dague de son père.

 

- J'aime la façon dont ça te met en valeur. Plaisanta Ren.

- Je vais mourir de chaud là-dedans...

Ils rabattirent la capuche de leur accoutrement pour déambuler dans le couloir de l'Oros Florseïs, imitant au mieux la démarche militaire des gardes de la cité. Ils avaient parcouru assez de chemin pour effectuer la moitié d'un arc de cercle, se trouvant exactement à l'opposé du hall, au Nord de l'Hexagone. Quatre soldat d'Elaris surveillaient une double décorée de feuilles dorées, leurs masques inexpressifs se tournant dans leur direction tandis qu'ils approchaient.

 

- Nous prenons la relève. Annonça Ren.

- La relève ? L'interrogea l'une des sentinelles d'une voix méfiante. Il n'y a pas de relève avant l'aube.

 

Eyleen glissa une main dans sa bourse pour saisir deux aiguilles tranquillisantes, au cas où le sabreur ne parvenait pas à duper les gardes.

 

- La consigne vient directement du sénateur Alkadia. Insista le sabreur.

- Nous n'avons pas eût de...

 

Le poing de Ren s'abattit d'un geste vif contre la tempe du soldat, qui tomba raide mort sur le sol. Il en dénuqua ensuite un deuxième avant qu'il ne lance l'alerte, et Eyleen en profita pour enfoncer ses aiguilles dans le cou des deux restants, qui s'effondrèrent instantanément. Elle fit ensuite le guet tandis que Ren cachait les corps dans l'un des bureaux vides aux alentours, puis ils se positionnèrent de chaque côté de la porte, prenant ainsi la place de leur malheureux prédécesseurs.

 

- C'est pas un peu louche que tu restes seul ici ? Fit Eyleen après qu'un ambassadeur soit passé devant eux sans leur accorder le moindre regard.

- Je pourrais en profiter pour jeter les plantes qui ont changé mon appartement en forêt tropicale, mais je préfère d'attendre sagement.

 

Elle étira un large sourire derrière son masque, réalisant à quel point Ren avait changé au cours des derniers jours. Sans surprise l'entrée de la tour d'Elinor était vérouillée, ce à quoi Eyleen avait prévu une solution plus rapide que le crochetage. Ren surveilla ses arrières tandis qu'elle glissait une petite graine dans la serrure, collant ensuite son bâton sur cette dernière jusqu'à ce qu'un déclic se fasse entendre. Elle retira ensuite la semence, qui après avoir poussée chaque goupille du loquet, était devenu une réplique parfaite de la clef de la porte.

 

- On se voit très vite. Souffla Eyleen.

- Sois prudente.

 

Elle referma le battant derrière elle, se tournant pour découvrir l'intérieur de la tour d'Elinor. Plongée dans la pénombre, le lieu était éclairé par les flammes vascillantes des torches, disposées le long des imposantes colonnes et des murs de calcaires. Leur lumière n'était pas assez forte pour dévoiler la hauteur du plafond, mais ce dernier devait s'élever à plusieurs dizaines de mètres des dalles du sol, comme pouvait en témoigner les gigantesques vitraux qui luisaient faiblement à la lueur des étoiles. Ces derniers commençaient là où se terminait le toit de l'Oros Florseïs, représentant une histoire qu'Eyleen reconnue comme étant celle évoquée par la Fin des Cycles du Sautherenerom. Aux scènes de guerres et de misères suivaient l'arrivé d'un roi entouré de lumière, puis de trois serviteurs élaborant une pierre rouge. Ils offraient ensuite cette dernière au souverain, et une ville céleste faisait son apparition au-dessus des champs de bataille. Les vitraux décrivaient alors un peuple en liesse, puis l'aura du roi passa du blanc au noir, tandis que des hommes, femmes et enfants se trouvaient enchaînés. Des images de révoltes, puis à nouveau la guerre. Alors la cité des cieux envoya un rayon doré sur une population, et la montagne de squelettes de la scène suivante fit tressaillir Eyleen. Un bruissement dans les hauteurs éveilla tous ses sens en alerte, et elle laissa échapper un soupir de soulagement en voyant passer une chauve-souris sans doute dérangée par sa présence. Eyleen mit fin à sa contemplation pour se diriger vers un escalier en colimasson, comme lui avait décrit Ren. Elle retira son masque pour savourer avec plaisir la fraîcheur des lieux, prenant une grande inspiration avant d'emprunter les marches. Elle s'enfonça prudemment dans les fondations de la tour, l'air se refroidissant à mesure qu'elle descendait. Eyleen ne s'attendait pas à mettre autant de temps, cessant de compter les marches après avoir atteint le millier. Elle s'intéressa alors à l'enduis qui recouvrait les torches, de nature alchimique et faisant perpétuellement brûler les flammes pour éclairer le grand escalier l'amenait dans les profondeurs d'Elaris. Elle ne croisa aucune sentinelle et ses muscles commençaient à se crisper lorsqu'elle parvînt finalement au bout des marches.

 

- Nous y voilà. Chuchota-t-elle.

 

Eyleen ressentit une étrange excitation la parcourir de la tête aux pieds, bien que l'obscurité totale et la brise frissonnante de l'endroit n'avait rien de rassurant. Elle devait se trouver à plusieurs centaines de mètres sous la tour, se demandant si une barrière invisible allait l'empêcher d'avancer plus loin, comme ce fut le cas pour Ren. Eyleen glissa une graine luminaire dans l'encoche de son bâton, effectuant une rotation de la section centrale avant d'appliquer une pression sur la partie supérieure. Une bulle translucide s'en échappa pour s'élever dans l'air, dégageant une intense lumière fluorescente qui dévoila aux yeux d'Eyleen une vision époustouflante.

 

- Dommage que tu ne peux pas voir ça Ren...

 

Ce qu'il avait prit pour une caverne se révélait être un gigantesque mécanisme sphérique, dont chaque rouage et engrenage se trouvait être en or pur. L'escalier qu'avait emprunté Eyleen débouchait sur une bordure qui faisait le tour de la sphère, et un pont de pierre à quelques pas de sa position menait sur une plateforme centrale, un vaste disque traversé dans son axe par une colonne de quartz, dont les extémitées retenait un cercle d'argent, englobant la structure et lui même relié à un deuxième anneau perpendiculaire. Eyleen se trouvait face à un gyroscope monumental, d'une splendeur sans égale et dont la conception humaine était difficile à concevoir. Admirer un tel mécanisme se mettre en mouvement devait être spectaculaire, mais l'émerveillement d'Eyleen s'estompa rapidement en réalisant qu'il s'agissait ni plus ni moins que de l'arme destructrice d'Elaris.

 

Malgré son apparence exceptionnelle, le gyroscope renseignait simplement la nature gravitationnelle de l'arme. Eyleen s'empressa de franchir le pont pour rejoindre la plateforme, et son estomac se noua lorsqu'elle porta son regard dans le vide en contrebat, dont elle ne voyait pas le fond. Elle utilisa une nouvelle graine luminaire, repliant cette fois-ci la partie inférieure de son bâton pour éclairer les profondeurs. Elle observa une longue minute la lueur descendre rapidement jusqu'à disparaître de son champ de vision, sans jamais toucher le sol. Eyleen remarqua cependant que le gouffre était couvert de cristaux de quartz, dont la particularité était de conduire parfaitement les flux d'énergie, tout comme l'or qui composait le mécanisme de l'immense salle. Ne perdant pas plus de temps, elle se dirigea vers la colonne de cristale pour découvrir avec étonnement un espace creux, dans lequel flottait un organe desséché. Un coeur. Eyleen comprit alors le fonctionnement du mécanisme, trouvant par la même occasion le moyen de détruire l'arme. Elle s'empressa de saisir la dague de son père pour en plonger la pointe vers l'organe mort, la lame se réduisant subitement en miette avant de pouvoir le toucher. Eyleen en fut cruellement attristée, mais son désarrois n'était rien comparé à la voix enrobé de miel qui s'éleva dans son dos, faussement déçu.

 

- Si seulement s'était aussi simple.

 

Eyleen se tourna lentement pour faire face au sourire séduisant d'Icare Alkadia, son visage anormalement parfait et sa soyeuse chevelure blanche retombant avec grâce sur sa veste de soie immaculée. Il n'était pas armé, et rien dans son expression ne laissait deviner ses réelles intentions. Une sueur froide descendant le long de son échine, Eyleen savait qu'un simple regard suffisait pour tomber sous son emprise. Peut-être était-elle déjà victime d'une illusion, et qu'un poignard se trouvait sous sa gorge sans qu'elle ne puisse le voir. Tout en cherchant rapidement un échappatoire, elle évita soigneusement de croiser les yeux d'Icare, la garde de sa dague brisée toujours serrée entre ses doigts tremblants. Ce dernier savourait sa détresse, visiblement satisfait de se trouver en tête à tête avec elle.

 

- Ne soyez pas si apeurée lieutenant. La rassura-t-il. Vous seriez déjà morte si je ne tenais pas à vous garder en vie.

 

Eyleen tenta de rétorquer sans y parvenir. Ses lèvres tremblotaient pitoyablement tandis que son cerveau tournait à plein régime pour se sortir de cette dangereuse situation, sans compter que le sénateur pouvait certainement lire ses pensées. Elle envisagea d'utiliser la poudre de Noctarîl pour créer une diversion, mais elle refusait l'idée de fuir sans avoir sceller au préalable l'arme d'Elaris. Icare effectua un pas dans sa direction, la forçant à se coller instinctivement contre le pilier de quartz.

 

- Vous êtes talentueuse Eyleen. Susurra-t-il. Intelligente et forte. Une alchimiste d'exception étant donné la vitesse à laquelle vous avez compris le mécanisme de ce chef d'oeuvre. Ajouta-t-il en désignant le gyroscope éclairé par la lueur fluorescente de la graine luminaire. J'ai de bons espoirs quand au fait que vous accepterez de rejoindre ma cause.

- Plutôt mourir. Cracha Eyleen en retrouvant l'usage de la parole. Vous êtes un monstre.

 

Le sénateur émit un rire contenu avant de prendre un grande inspiration, ses bras se croisant dans son dos tandis qu'il la dévisageait avec intensité.

 

- Il s'agit de l'opinion de votre capitaine. La corrigea-t-il. Opinion que vous et d'autres partagent sans avoir la moindre idée de qui je suis.

- Je ne préfère pas savoir.

 

Elle devait gagner du temps. Pour une raison inconnue, Icare ne semblait pas l'avoir plongé dans une illusion. Eyleen glissa subrepticement ses doigts vers sa bourse, estimant le temps nécessaire pour plonger les environs dans l'obscurité, ce qui lui permettrait d'utiliser son bâton pour confiner l'arme dans le tronc du Beorg. Si le sénateur se doutait de ses intentions, il n'en laissa rien paraître.

 

- Je ne suis qu'un humble serviteur de la paix. Le remède de l'avarice qui frappe notre espèce. Une maladie qui confond amour et désir.

- Vous manipulez les gens comme des pions. Le contra Eyleen d'un ton glacial. Vous parlez de paix mais vous êtes à l'origine de la guerre qui embrase les peuples de l'Est.

- Contrairement à ce que vous semblez croire, je ne manipule pas la Chambre du Conseil. Précisa Icare. C'est de là que vient votre erreur de jugement. Le conflit actuel n'a été engendré que par la cupidité et l'avidité d'une poignée de gens au pouvoir. Je n'ai fait qu'agiter quelques sucreries devant ces enfants gâtés, aux yeux plus gros que l'estomac. Cette engeance fétide issue de la naïveté des peuples. Une caste qui agit en toute impunité, responsable de l'état fragile de ce monde, d'un esclavage voilé, volant l'honnête pour valoriser le fourbe. Lieutenant, vous m'accusez d'être à l'origine d'une guerre entamée bien avant ma naissance. Je n'ai fait que la révéler au grand jour.

 

Eyleen avait stoppé son geste. Consciemment ou non, elle commençait à écouter avec attention le discours du sénateur, qui ressemblait à peu de choses près à celui de Ren. Icare essayait sans doute de la ranger de son côté, mais en apprendre plus sur l'ennemi pouvait se révéler bénéfique si elle parvenait à s'en tirer vivante. Elle leva les yeux pour les plonger dans ceux de l'homme séduisant, découvrant avec surprise que ces derniers n'avaient pas des iris en spirale comme lors de leur première rencontre, juste une teinte écarlate identique à ses propres cheveux.

 

- Vous savez parler. Avoua-t-elle avec une note de défis. Mais vos actes prouvent que vous faîtes parti de cette caste que vous haïssez tant.

 

Le sourire d'Icare frémit légèrement, et il s'approcha pour n'être plus qu'à un pas d'Eyleen, si proche qu'elle pouvait contempler chaque détail de son visage lisse au teint maladif, dépourvu de défauts.

 

- Mes actes ? Releva-t-il avec une lueur dangereuse dans le regard. Ce n'est qu'à travers d'âpres sacrifices que je suis parvenu à me mélanger à cette bande de vers sans âme. Le temps est désormais venu d'ôter les fruits pourris du panier avant qu'ils ne soit trop tard, et la seule chose capable d'une telle prouesse se trouve en ce lieu.

 

Eyleen tressaillit lorsque le sénateur lui ôta tendrement son manteau dérobé aux sentinelles, tendant une main pour lui saisir avec douceur le menton. Ses longs doigts étaient aussi froid que la glace, tout comme ses lèvres lorsqu'il déposa un baiser sur les siennes, sans qu'elle ne puisse faire le moindre mouvement. L'acte lui laissa l'impression d'avoir été violé, et Eyleen lutta pour ne pas fondre en larme. Icare la dépassa pour tourner autour de la colonne de quartz, lui laissant sans la moindre inquiétude  l'opportunité de s'échapper.

 

- Pardonnez ma hardiesse. S'excusa-t-il. Résister à la tentation de séduire une femme de votre envergure est au-delà de mes compétences. Je n'ai jamais été très doué avec la gente féminine. Je pense que cela est liée à ma triste jeunesse. Ma santé et mon corps fragiles m'ont valu beaucoup de moqueries auprès de mes congénères.

- J'imagine que tout à changé quand vous êtes tombé sur l'un des sabres de Masamune. Devina Eyleen en contenant difficilement sa haine.

- En effet. Voilà près d'un siècle que je suis devenu le propriétaire de Zagan, et désormais son fragment bat dans ma poitrine tandis que mon coeur dépérit dans cet endroit.

 

La révélation révéla à Eyleen l'élément manquant du puzzle. Elle avait comprit le mécanisme, et bien que sa conclusion sur le moyen de le démanteler était la bonne, elle n'avait pas envisagé que le sénateur serait allé aussi loin. Sa supposition sur Icare et sa capacité à lire les pensées fut par la même occasion confirmée.

 

- Perspicace. La félicita-t-il. Ce n'est pas le coeur qu'il faut détruire.

- C'est vous... Murmura-t-elle sombrement.

- La première fois que je suis arrivé ici, j'ai été assez sôt pour croire qu'en remplaçant le coeur d'Azaël par le mien je réactiverais l'arme. Regretta le sénateur. Je n'avais pas alors saisit l'intégralité des paroles de la chanson. Ou plutôt, je n'avais pas saisit pourquoi il s'agissait d'une chanson.

 

Eyleen n'avait réalisé ce détail que très récemment, et pourtant celui-ci était la clef de voûte du dispositif. Le fond du chant, simple liste d'ingrédients, n'avait aucun sens sans sa forme. Profitant d'un instant d'innatention d'Icare, elle pensa de toutes ses forces aux paroles de la mélodie tout en saisissant la poudre de Noctarîl, qu'elle serra dans ses doigts.

 

- Un chant résonne. Lâcha-t-elle sans songer à ce qu'elle tenait dans sa main, de peur que le sénateur découvre son dessein. Il en est de même pour l'arme, en résonnance avec le noyau de la terre, d'où le gyroscope, un instrument en rapport avec la rotation terrestre. Ce lieu a été conçu pour relié le coeur de l'homme à celui du monde. L'or et le quartz du mécanisme traduisent ce lien par un flux d'énergie qui s'emmêle et se démêle à l'infini.

- Impressionnant. La félicita Icare. Cette arme est effectivement l'aboutissement le plus parfait des connaissances alchimiques. La pierre philosophale n'est que peu de chose en comparaison.

- Mais sans elle le mécanisme est incapable de fonctionner. Lança Eyleen en déposant sa dague pour saisir son bâton. Elle contient les ingrédients essentiels à la connection des deux coeurs. Sans les sept fragments, la résonnance est impossible. Votre but est voué à l'échec.

 

Le sénateur caressa délicatement l'organe décharné, comme s'il s'agissait de la chose la plus précieuse en ce monde.

 

- Je n'ai au contraire jamais été aussi proche ma destinée.

 

Eyleen comprit soudain pourquoi Icare ne cherchait pas à la manipuler. Pourquoi il conversait tranquillement avec elle tout en sachant qu'elle ne se rangerait jamais de son côté. Elle avait deviné et sa gorge se noua douloureusement.

 

- Ren.

 

D'un mouvement vif elle jeta la poudre de Noctarîl à ses pieds qui explosa dans une épaisse fumée noire, glissant dans l'encoche de son sceptre la graine de Beorg. Eyleen frappa l'extrémité du bâton contre la colonne de quartz, et celle-ci se recouvrit d'une écorce grîsatre qui disparut dans l'obscurité grandissante. Prenant ses jambes à son cou, elle s'élança vers le pont qui reliait la structure du gyroscope au grand escalier, brisant une semence luminaire dans sa main afin d'éclairer faiblement son chemin. Le rire d'Icare résonnait dans son dos tandis qu'elle montait quatre à quatre les marches de la tour d'Elinor, priant pour que Ren soit toujours sain et sauf. Les muscles d'Eyleen hurlaient de douleur sous l'effort surhumain qu'elle accomplissait, tout en jetant rapidement des coups d'oeil dans son dos au cas où le sénateur ce serait lancé à sa poursuite. Après une montée interminable, elle retrouva la porte dorée de l'Oros Florseïs qu'elle franchit d'un coup d'épaule, débouchant dans le couloir étincelant sous le regard ahurit de Ren, qu'elle serra subitement dans ses bras.

 

- Qu'est-ce que tu...

- Icare ! S'écria Eyleen en le relâchant. C'est un piège !

 

Le sabreur retira son masque, jetant l'épais manteau des sentinelles au sol pour dégainer sa lame bleutée. Le voir ainsi déterminé sans céder à la panique apaisa le coeur d'Eyleen, en proie à tant d'émotions qu'elle craignait de perdre la tête à tout instant. Constatant son état fragile, Ren lui prit la main pour l'entraîner à sa suite le long du couloir, et ils ne rencontrèrent aucune résistance jusqu'à leur arrivé dans le grand hall de l'Oros Florseïs, où une petite armée de gardes sans visage les attendaient.

 

- Reste derrière moi.

 

Eyleen saisit le sabre courbé d'Hakim pour s'élancer à la suite de Ren en direction de la centaine d'hommes qui leur barrait le passage. Là où tout le monde constatait une situation sans issue, le sabreur discernait au premier regard l'infime probabilité de s'en sortir et s'accrochait à cette chance de toutes ses forces. Eyleen observa sans espoir les rangs des sentinelles d'Elaris se refermèrent sur eux comme la mâchoire d'un requin, et parmi la multitude d'épées, hallebardes, lances et poignards qui s'entrechoquèrent pour se jeter sur eux, la voix de Ren retentit tandis qu'il rengainait Azaku.

 

- Enlaces moi !

 

Eyleen obéït sans discuter, se laissant guider par le sabreur dans une valse mortelle, réduisant cruellement les premières lignes ennemis dans une tempête de cris affolés. D'innombrables projectiles filèrent à une vitesse déconcertante vers leurs adversaires, tourbillon de plumes aiguisées qui se figeaient sans répis au travers des gorges ennemis. Ren ne manquait jamais sa cible, créant une telle confusion chez l'ennemi que leur nombre écrasant tourna rapidement en leur défaveur. Les gardes s'empêtraient dans les cadavres grandissant, incapable de contrer la furie mortelle du capitaine de la Troisième Division. Le contre-coup d'une attaque aussi dévastatrice se fit rapidement ressentir lorsque Ren mit fin à leur ronde pour brandir à nouveau Asaku, les manches de son manteau réduites en charpies pour laisser apparaître d'impressionnantes entailles le long de ses bras. Le chaos qui règnait désormais au sein du hall avait débloqué un passage vers la sortie. Ne prêtant pas attention à ses plaies béantes, Ren fonça à travers l'ouverture en mettant en pièce tous ceux qui osaient les approcher, aidé cette fois-ci par Eyleen qui défendit impitoyablement leurs arrières à l'aide du sabre d'Hakim. Ils parvenaient au but lorsqu'une dizaine de sentinelles pointèrent dans leur direction d'étranges objets métalliques se terminant par un canon, poussant Ren à la couvrir lorsque retentit plusieurs détonations. Elle le sentit frémir, et un sentiment de terreur la submergea lorsqu'elle détailla son visage crispé de douleur.

 

- Ren ?

 

Il voulu lui répondre, mais une toux laissa échapper un filet de sang le long de ses lèvres. Il la lâcha pour s'élancer sur les tireurs, et Eyleen à sa suite, ils exécutèrent froidement le groupe de tireurs avant qu'ils ne puissent recharger leurs armes. L'état de Ren l'inquiétait au plus haut point, mais malgré ses blessures celui-ci l'entraîna à travers les portes de l'Oros Florseïs. Leur course se stoppa brutalement en découvrant un bataillon complet face à l'édifice hexagonal, et Eyleen eût l'impression que la terre s'ouvrait sous ses pieds, serrant la main de Ren en comprenant que leur dernière chance de fuir venait de s'envoler. Devant eux, parfaitement alignés, se tenait des guerriers n'appartenant pas à la garde d'Elaris, mais à la Première Division, comme pouvait en témoigner leurs amples tuniques beiges, habituellement portée dans les plaines arides de Jelaka. La silouhette d'Ezraât se démarqua du premier rang, sa haute stature s'avançant d'un pas avant de s'immobiliser. Le sergent avait été torturé, les oreilles coupés et ses orbites vides les fixant sans les voir, sa voix tremblante conservant sa dignité malgré la souffrance qui y perçait.

 

- Pardonne-moi capitaine.

 

Eyleen sursauta lorsque le tranchant d'une main traversa le cou d'Ezraât pour le décapiter. Sa tête roula dans leur direction tandis que son corps s'effondrait mollement, laissant apparaître un adolescent, son visage juvénile souriant à pleine dents sous ses cheveux dorées, une longue frange retombant sur le côté de son crâne. Il portait une veste brune et sans manche par-dessus son torse nu, sa maigreur faisait paraître son sarouel beaucoup trop large pour lui, mais personne n'aurait osé, ne serait-ce que penser, se moquer du jeune homme. Deux pièces d'armures en or couvraient ses avant-bras, et sans ôter l'expression de joie de son visage, il essuya le sang d'Ezraât dans la tenue d'un de ses hommes avant de pointer Ren du doigt.

 

- Je savais que tu arriverais jusqu'ici !

 

Eyleen pouvait sentir la main du sabreur trembler dans la sienne avant qu'il ne lâche prise pour essuyer le liquide vermeil au coin de ses lèvres.

 

- Valdir.

 

 

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Très bon chapitre !

 

Les aventures de Ren et Ely continuent de plus belle à travers les cités d'Elaris, le passage sur leur rêves commun fut une fois de plus bien maitrisé. Cependant je commence à croire que le sort que réserve le coeur dépend des sentiments que ressentiront les sabreurs maudits au moment crucial. Si il pense aqu bonheur, ça sera bénéfique sinon le chaos.

 

L'arme comme déviné se trouve bien au coeur de la cité dans le gouffre et la surprise est de voir Icare débarqué devant Ely. Elle ne pourra pas faire grand chose face à lui, elle se fera retourné le cerveau.

 

J'attends la suite !

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VALDIR

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Les traits du garçon se crispèrent d'excitation à l'appel de son nom. Il posa l'un de ses pieds nu sur le corps sans vie d'Ezrâat, toisant Ren et Eyleen de ses yeux pétillants.

 

- Tes hommes m'ont presque échappé dans les montagnes. Se plaigna-t-il, contrarié. Heureusement que celui-ci à tout déballé quand j'ai commencé à lui éplucher la peau.

 

Il ponctua sa phrase en écrasant la tête du guerrier, qui éclata dans un craquement atroce pour répandre des os et de la cervelle sur la place bordant l'Oros Florseïs. Le corps d'Eyleen se raidit d'horreur et elle détourna le regard pour croiser le visage impassible de Ren, dont la fureur endiguée au plus profond de son être menaçait de le submerger à tout instant. Leur plan avait lamentablement échoué. Il ne faisait aucun doute que Kiteo, Orba et leurs troupe avaient péris avant d'atteindre Yildun. Les sentinelles du grand hall s'approchèrent dans leur dos, mais la présence de Valdir sembla les dissuader d'attaquer.

 

- Ne t'en fais pas, je les ai punis. Annonça-t-il avec légerté. Après tout c'est désormais mon rôle en tant que Maréchal. Je n'aurais jamais crû que Kriphos me choisirait ! Moi ! Enfin, c'était ton nom dans le testament mais il l'a modifié juste avant son accident... J'espère que tu m'en veux pas.

 

Un souffle qui n'avait rien à voir avec la brise nocturne s'éleva. Un courant chaud et froid au parfum d'orage, dont la pression étouffante fit frissonner tous ceux qui étaient présent. Les cheveux flamboyants d'Eyleen flottèrent vers le sabre azuré de Ren, qui vibrait dangereusement en aspirant l'air autour de sa lame. Les projectiles qu'il avait encaissé pour la protéger se délogèrent de leurs plaies pour tomber sur le sol.  Elle en comptabilisa six en tout, sa gorge nouée en imaginant le calvaire éprouvé silencieusement par Ren jusqu'ici. Gravement blessé et sans doute abattu par la mort de ses officiers les plus fidèles, ses longues années de labeurs venaient d'être réduit à néant. Si seulement ils avaient écouté le conseil d'Alestan pour fuir d'Elaris, au lieu de s'accrocher à leur stupide mission. Il n'y avait plus d'espoir, et pourtant Eyleen ne put s'empêcher d'en éprouver une faible étincelle en observant la silouhette fière et le visage noble de son compagnon qui, malgré leur situation désespérée, se préparait à combattre.

 

- Ely. Souffla-t-il avec une douceur déconcertante. Je suis désolé de t'avoir impliqué.

 

Des larmes perlèrent aux yeux d'Eyleen en comprenant ce que Ren voulait faire.

 

- Ne dis rien... Le supplia-t-elle.

- Je compte sur toi pour fuir dès que l'occasion se présentera. Poursuivit-il en l'ignorant.

 

Il ne pouvait pas lui demander une chose pareille. Pas après tout ce qu'ils avaient traversé ensemble.

 

- Non.

- C'est un ordre Ely. Je te rejoins dès que j'en ai fini ici.

- C'était ton dernier mensonge...

 

Elle se détestait de pleurer à un tel moment. Pourquoi devait-elle éprouver des sentiments pour ces sabreurs égoïstes ? Et pourquoi ces derniers l'abandonnaient quand elle le réalisait ?

 

- C'est mignon. Commenta Valdir en écartant ses bras secs, comme pour les enlacer. Montre moi ta danse capitaine Raigîn ! Montre-la moi et peut-être que je laisserais filer cette fille !

 

Ren l'ignora pour plonger son regard sombre dans celui d'Eyleen. L'air se densifiait autour de son corps élancé, et lorsqu'elle tenta de le toucher une barrière invisible l'en empêcha.

 

- Retrouve la reine.

 

Eyleen s'écarta de lui, et ses bras se levèrent instinctivement devant son visage lorsqu'une rafale balaya les environs, soulevant un nuage de poussière et de débris qui tourbillonèrent autour du sabreur. Son manteau noir se déchira pour dévoiler deux grandes ailes noires, majestueuses et composées de plumes d'aciers acérées. Le torse nu parcouru de cicatrices et des impacts de balles, Ren se mit en garde face à Valdir, dont la vision plongea celui-ci dans une extase proche de la folie.

 

- L'Ange Déchu ! Jubila-t-il. C'est décidé. Quiconque ose nous interrompre sera châtié !

 

L'adolescent frappa dans ses mains, hochant frénétiquement la tête pour rabattre sa longue frange blonde derrière son crâne. Il plaça ensuite une main contre sa poitrine en présentant l'autre paume à Ren, qui murmurait pour lui-même, les paupières closes.

 

- Hurle le vent. Vesse brise de tempête. Souffle et expire, poumons des Ages. Que ta fureur soit mienne.

 

Révélant ses pupilles ténébreuses, les ailes de Ren le propulsèrent à une vitesse fulgurante à la rencontre de son jeune adversaire. Azaku brilla mortellement avant de traverser le torse de Valdir, sans que celui-ci n'ait eût le temps de réagir. Ce fut le début d'un échaînement étourdissant qui l'empêcha tout simplement d'effectuer le moindre geste. Des plumes fondirent par dizaine sur Valdir tandis que Ren le tailladait inlassablement. Un nouveau battement d'ailes les propulsa à plusieurs mètres dans les airs, et le sabreur termina sa multitude de frappes par une puissante estocade qui envoya Valdir s'écraser brutalement contre les dalles de la place, pulvérisant ces dernières dans l'onde de choc qui suivit le coup de grâce, la fine lame bleutée enfoncée férocement dans le coeur de l'ennemi.

 

Subjuguée, Eyleen devina que Ren ne pouvait voler que sur de courtes distances, sans doute à cause de la trop grande densité de ses plumes. Agenouillé contre son adversaire, les doigts resserrés sur la poignée de son sabre après cette offensive imparable, Ren ne cria cependant pas victoire. La pointe de son sabre avait été stoppé à un cheveux de la poitrine de Valdir, qui retenait l'acier entre ses mains. Malgré ses vêtements en lambeaux, pas la moindre goutte de sang n'était visible sur son corps, qui avait laissé son sourire insolent de côté pour afficher une expression redoutable.

 

- C'est tout ?

 

Ren tendit le bras pour lui envoyer une quantité phénoménale de projectiles au visage, dont les traits juvéniles disparurent sous la masse des plumes tranchantes. Valdir prit le sabreur au dépourvu en lui assénant un coup de pied, qu'il contra instinctivement avec le coude. Cependant, le surnom de cuirassé que l'on donnait au jeune capitaine de la Première division ne décrivait pas seulement sa résistance hors du commun. Sa force prodigieuse était capable de stopper un boulet de canon à bout portant, et les os de Ren en firent l'expérience en se brisant aussi aisément que de la porcelaine. Ses ailes se replièrent pour l'éloigner, et le sabreur constata sombrement son membre broyé tandis que Valdir se relevait sans aucune trace de blessures. Eyleen ressentit une terreur s'immiscer dans chaque pore de sa peau, un gouffre se formant dans sa poitrine lorsque l'adolescent désigna les dommages qu'il venait d'infliger.

 

- Tu as l'air surpris Ange Déchu. Tu pensais réellement que tes plumes pouvaient percer une peau aussi dure que du diamant ? Je suis sûr que ta copine doit être déçu.

 

Ren jeta un regard en direction d'Eyleen, fronçant les sourcils en voyant qu'elle avait saisit son bâton. Il lui intima de ne pas bouger d'un simple mouvement de tête, mais elle refusait de le laisser mourir sous ses yeux. Valdir se tourna vers elle pour lui esquisser un sourire écoeurant.

 

- Tu veux nous rejoindre ?

 

Ren profita de la diversion pour lui porter une estocade dans le dos, mais le jeune capitaine dévia la lame de justesse à l'aide de son armure, pour enfoncer son poing dans l'estomac du sabreur. La puissance du coup lui fit régurgiter une quantité effroyable de sang pour le projeter douloureusement sur le sol. Eyleen cria son nom en se précipitant à son secours, plongeant son bâton dans le sol pour faire apparaître ses lianes, qui s'enroulèrent solidement autour des jambes de Valdir. Consciente que les armes ordinaires n'avaient aucun effet sur lui, elle glissa une nouvelle graine dans l'encoche de son sceptre avant de viser le torse du garçon, qui éclata de rire en se débarrassant facilement de ses entraves. Eyleen s'accroupit pour éviter de justesse un crochet mortel, saisissant son sabre courbée pour parer le tranchant de la main qui s'abattait sur son épaule. L'acier vibra si fort qu'il se fissura, tout comme les os du bras d'Eyleen. Valdir l'attrapa alors par le col de sa veste pour la balancer sur les dalles, s'amusant à répéter le geste une deuxième fois pour ensuite marcher tranquillement vers elle, replaçant sa frange d'un mouvement de tête avant de lever un pied au-dessus de son visage.

 

- Bouillit, bouille, écrabouille. Chantonna-t-il. Bouillit, bouille de partouille !

 

Il comptait faire la même chose qu'avec Ezraât, mais son geste fut interrompu par la charge de Ren, qui le plaqua au sol avant de lui enfoncer la pointe d'Azaku dans la gorge. Valdir croisa ses deux pièces d'armure dorée pour parer l'attaque, et Eyleen réalisa que malgré sa réputation invincible, le garçon évitait soigneusement les coups d'estocs du sabreur. Il tenta de porter un nouveau coup de pied, cette fois-ci contrer par l'une des ailes de Ren qui, tout comme Eyleen, avait comprit la façon de percer l'armure invisible leur adversaire. Les soldats continuaient d'observer le combat sans faire le moindre geste, et Icare ne s'était toujours pas montré, sans doute occupé à défaire son précieux coeur de l'emprise du Beorg. S'épuisant à vue d'oeil, Ren portait inlassablement ses estocades pour ne laisser aucun répits à Valdir. Eyleen saisit l'occasion pour apporter son soutient, s'immobilisant dans sa course lorsque Valdir parvînt à s'emparer de la lame azurée d'une main, enfonçant les doigts de l'autre sous la clavicule de Ren, qui poussa un cri de rage en aglutinant des plumes autour de son bras brisé, créant ainsi une longue cimeterre qu'il abattit férocement sur l'épaule de Valdir pour la perforer dans un jet écarlate. Ce dernier hurla de douleur, expérimentant sans doute pour la première fois un supplice charnel. Il repoussa Ren qui évita la chute d'un battement d'aile. L'aiguille de son bâton prête à libérer un poison mortelle, Eyleen profita d'une ouverture pour se jeter sur Valdir, dont le visage creusé et déformé par la haine lui avait ôté toute trace d'humanité. Elle observa impuissante l'extrémité de son sceptre frôler la blessure infligée par Ren d'un cheveu. Valdir frappa alors du tranchant de sa main, aussi redoutable que pouvait l'être l'un des sept sabres de Masamune, traversant l'avant bras d'Eyleen, qui observa avec stupeur son membre tranché sur le sol, ses doigts toujours resserré sur son bâton des merveilles. En état de choc, elle hurla à s'en briser la voix en serrant son moignon ensanglanté, sauver de justesse d'une nouvelle attaque par Ren, qui la prit dans ses bras pour l'éloigner d'un mouvement d'ailes en direction du cercle des soldats de la Première Division.

 

- Arrêtez-les !

 

Valdir criait des ordres dans leur dos tandis qu'ils se dirigeaient vers les premières lignes. La vision d'Eyleen se troubla lorsque Ren enfonça les rangs des guerriers en repliant ses puissantes ailes autour d'eux. L'effort lui fit lâcher prise et ils s'écroulèrent au milieu des ennemis, qui reculèrent de frayeur en voyant le sabreur se relever malgré son corps rompu de toutes parts, sa tresse ayant lâché pour libérer sa longue chevelure ténébreuse sur ses épaules. Ils s'écartèrent de plus belle lorsqu'il se mit en garde d'une main, Asaku défiant quiconque oserait s'approcher de leur position. Valdir bouscula les soldats sur son passage afin de les rejoindre, son épaule meurtrie expulsant un liquide écarlate qui glissait le long de son torse chétif.

 

- C'est ce que je craignais. Siffla-t-il, terriblement contrarié. Tu cherchais juste à offrir à cette fille une occasion de fuir.

 

Il jeta son avant-bras tranché à leurs pieds, et Eyleen lutta pour ne pas perdre conscience. Pour la première fois depuis le début du combat, Ren s'exprima d'un ton sans réplique.

 

- Laisse-la partir.

- Dire que je me faisais une joie de t'affronter...

 

Valdir plongea sa main dans la poitrine du sabreur, ses doigts enfoncés à mi-chemin dans la cage thoracique lorsque la pointe d'Asaku lui traversa le poignet, stoppant brutalement l'attaque. Les deux combattants tressaillirent sans afficher le moindre signe de faiblesse, et Ren cracha un filet de sang avant de réitérer sa demande.

 

- Laisse-la partir, et je finirais ce duel comme il se doit.

- Non...

 

Sa plaie béante comprimé contre son ventre, Eyleen protesta faiblement en se redressant tant bien que mal. Valdir afficha une moue de dégoût, hésitant à accéder à la requête de Ren.

 

- Le duel est déjà terminé. Contra-t-il. J'ai gagné.

- Permet-moi d'en douter.

 

La pointe d'Asaku se brisa alors pour tomber sur le sol, révélant une profonde balafre qui déchira le torse de Valdir. L'adolescent écarquilla les yeux de douleur et de surprise, réalisant qu'il s'agissait des conséquences de la première attaque du sabreur. La lame perdit un nouveau fragment, faisant apparaître une nouvelle entaille toute aussi impressionnante sur le flanc du jeune capitaine, dont les traits se crispèrent nerveusement.

 

- Personne n'échappe à la morsure d'Asaku. Souffla Ren.

 

L'image de l'arme aspirant l'air environnant revînt à la mémoire d'Eyleen, et le surnom de Lame Fantôme venait alors de prendre tout son sens. Chacun des coups de l'Ange avait en réalité atteint son adversaire, qui en payait désormais les conséquences. L'acier se fissura à nouveau pour révéler une longue estafilade qui traversa le visage de Valdir, lui arrachant un terrible hurlement. Le cri se mua alors en rire frénétique, et son expression bestiale fit reculer d'un pas les soldats qui les encerclaient.

 

- Tu es merveilleux ! MERVEILLEUX !

- Laisse mon lieutenant quitter cette ville. Lui ordonna Ren, impassible. Laisse-la partir et nous terminons ce duel. Refuse et nous mourrons tous les deux.

 

Les paroles du sabreur résonnèrent avec tant d'assurance qu'elles firent douter Valdir. Son sourire s'estompa pour détailler la lame azurée, et il s'adressa après une longue hésitation à ses hommes pour leur donner une nouvelle consigne.

 

- Escortez-là jusqu'à la porte Sud.

 

Deux soldats saisirent Eyleen qui tenta vainement de se débattre, son coeur chutant lourdement dans son estomac tandis qu'on l'éloignait de Ren. Elle ne comprenait pas pourquoi il refusait d'achever Valdir pour venir avec elle. Il avait gagné. Pourquoi restait-il au milieu de tous ces ennemis ? Les choses ne pouvaient pas se terminer ainsi.

 

- Ren ! L'appela-t-elle faiblement.

- Je te rejoint dès que j'en ai terminé.

- On avait dit trois. Tu ne peux plus mentir...

- J'avais croisé les doigts. Avoua-t-il en esquissant un sourire.

- Ne me laisse pas...

 

La silhouette de Ren rétrécissait à mesure que les guerriers l'entraînait à travers les rues d'Elaris, et Eyleen éclata en sanglot lorsqu'il disparu de son champ de vision. Elle fut traînée jusqu'au pont qui l'avait mené pour la première fois dans cette cité maudite, et après l'avoir jeter à terre, les deux hommes dégainèrent leurs sabres courbées, semblable au sien. Ils ne comptaient pas la laisser partir, mais Eyleen n'en avait plus rien à faire. Elle souhaitait au contraire rapidement en finir pour se débarrasser de la souffrance intolérable qui torturait son corps et son esprit. Les soldats levèrent leurs armes, et au moment de les abaisser une silhouette encapuchonnée surgit de l'un des rebords du pont pour jeter une pierre dans leur dos. L'inconnu bondit pour frapper l'objet à l'aide d'un marteau, créant dans une gerbe d'étincelles dorées deux cristaux translucides qui s'allongèrent pour perforer le ventre des deux hommes. Il termina par leur briser le crâne avant de rejoindre Eyleen, ôtant sa capuche pour détailler sa terrible blessure.

 

- Il faut rapidement te soigner.

 

C'était un jeune homme aux cheveux courts et sombres, un visage bienveillant et des yeux verts qui l'observaient avec inquiétude. Il rangea son marteau de forgeron à sa ceinture  avant de saisir l'un des sabres de ses victimes, découpant sa veste pour lui faire un garrot.

 

- Ren... Balbutia Eyleen, qui avait de plus en plus de mal à rester consciente.

- On ne peut plus rien pour lui. Fit gravement l'inconnu avant de la prendre dans ses bras.

- Laissez-moi... Qui...

- Je m'appelle Yin, le disciple de Masamune.

 

Eyleen aurait aimé rire avec ironie, mais son regard se perdit dans le ciel étoilé tandis que son sauveur l'éloignait d'Elaris pour se diriger vers les montagnes d'Urkab.

 

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Excellent chapitre !

 

J'ai adoré la narration, le descriptif et le dialogue de ce dernier chapitre. La tension et le suspense que dégageait l'échange entre Ely et Icare était vraiment intense du début à la fin.

 

On se rencontre que ce dernier n'est pas un machinéen, il le fait pour une raison encore obscure, j'ai déjà de connaitre son passé surtout qu'il a plus de 100 ans, donc il en a vécu, on peut supposer que Alestan a le même âge que ce dernier ?

 

De plus Icare et la machine sont liés, et je me rends compte que plus je lis ton histoire il y a une touche de fullmetal alchimist, c'est peut être de là que vient ton inspiration pour ton histoire 8).

 

Et la suite n'en est que plus belle avec la confrontation face aux nombreux soldats et la venue de ce mystérieux Valdir un simple enfant à l'allure dérangé et redoutable.

 

J'attends la suite !

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Excellent chapitre !

 

Ce chapitre fut magistral de bout en bout ! Le duel entre Valdir et Ren était vraiment grandiose et intense malgré sa courte durée. On ressentait vraiment la puissance des coups, la rage de Ren ainsi que la folie de Valdir, un personnage vraiment terrifiant.

 

Ely s'est montrée bien courageuse face à ce monstre, mais sa témérité l'a amenée à perdre un membre et peut être la vie de Ren. Quand au mystérieux élève de Masamune ce dernier nous l'a caché. Il détient peut être la lame de la terre, vu son marteau :P et je me demande ce qu'adviendra de la lame de Ren si il est véritablement mort ?

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Je suis content que la confrontation t'ai plu ! Et le mystérieux élève est déjà bien connu ^^, il s'agit de Yin ! Le même Yin qui croisa la route d'Alestan sur le pont d'Agashita, celui-là même qui récupéra sa chère Sora !

 

Et le sabre lié à la terre est détenu par Valdir, ce qui lui confère une résistance hors du commun. Un corps plus dur que le diamant.

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OMG j'avais même pas fait attention, parce que je m'attendais pas à le revoir aussitôt qui plus est en ayant gagné autant en maîtrise de combat, le choc ! C'est ce qui m'a empêché de le reconnaître ><.

 

Et pour Valdir j'avais deviné que c'était le détenteur de la lame de la terre, puissant le type malgré quelques failles dans sa défense.

 

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LA MURAILLE DE GRENDËL

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Deux jours s'étaient écoulés depuis la chute de l'Hansa et de Royngär, son brave capitaine. William, Caëlis et Loreleï se laissaient guider par Alestan qui, après les avoir sorti de la forêt d'Orcynie, les avaient mené jusqu'à la ville d'Orcyn afin de panser leurs plaies. Ils trouvèrent un médecin pour soigner la princesse, et malgré les avertissements de celui-ci, insistant pour leur imposer au minimum une semaine de repos, ils poursuivirent leur périple jusqu'à la muraille de Grendël, longeant le Nord des plages de sables blancs d'Argos pour atteindre la forteresse d'Holmgaard. William portait Caëlis dans ses bras puissants malgré les protestations de cette dernière, qui refusait d'admettre qu'elle avait échappé de peu à la mort, sans compter ses difficultés à respirer, problématique pour parcourir de longues distances sans faire la moindre pause. Le chevalier gardait lui-même une vilaine cicatrice sous les pointes de ses cheveux cuivrés, conséquence de l'impact d'un débris qui manqua de lui perforer le crâne. William devait admettre que la cadence imposée par Alestan était difficile à suivre, même pour lui, pourtant plus endurant que la moyenne. Le vagabond avait nettoyé et rafistolé sa longue cape blanche à Orcyn, s'éclipsant dans les rues pour dérober quelques vivres supplémentaires à leur voyage.

 

Bien que l'état fébrile de la princesse le préoccupait, William était davantage inquiet pour Loreleï, dont la perte de Roy l'avait profondément affecté. La jeune femme silencieuse gardait des yeux constamment rougis, résultat des larmes qui coulaient sans fin sur ses joues colorés. Lors de leur deuxième halte, sur le versant d'une colline dénudée qui offrait une vue magnifique sur le rivage de la Mer Intérieure, Caëlis était resté auprès de Loreleï tandis que William et Alestan préparaient le dîner. La princesse lui avait parlé avec douceur, et malgré le mutisme de la pilote, cette dernière se laissa prendre dans les bras de Caëlis, plongeant son visage dans la soyeuse chevelure d'églantine pour libérer son chagrin. Ce fut la dernière fois que Loreleï pleura, et les deux jeunes femmes nouèrent depuis cette nuit-là une forte amitié. William profita de se trouver seul avec Alestan pour évoquer certains sujets sensibles, bien que son ami demeurait distant depuis qu'ils s'étaient écrasés dans la forêt d'Orcynie.

 

- Au fait, tu as réfléchis à la vision ?

- Non, et je ne compte pas y réfléchir.

- Je peux en parler à Caë alors ?

 

Alestan passa une main dans ses cheveux en bataille avant de tourner les yeux vers lui. Le feu de camp se reflétait avec fascination dans son oeil argenté, qui donnait l'impression de voir au-delà des vêtements et la chair.

 

- Comme tu veux. Lâcha-t-il.

 

William le trouva particulièrement songeur et surtout peu bavard, ce qui était plutôt inhabituel. Les récents évènements avaient chamboulé leurs plans, et le rêve qu'ils avaient partagé la veille de leur départ ne semblait être qu'un lointain souvenir.

 

- Qu'est-ce qui t'arrive d'un coup ? On dirait que tu déprimes.

- Je me demande juste... Commença le vagabond, avant de se rétracter. Peu importe. On avance pas assez vite. On aurait dû atteindre Holmgaard dans l'après-midi.

- On est tous épuisé. Le tempéra William. Crois-moi, j'aimerais déjà être à Dürkador pour signer cette alliance. Je veux juste en finir avec ce voyage pour retourner aux côtés de la reine.

 

Il leva son regard ambré vers les constellations scintillantes, somptueuses dans le ciel nocturne limpide et sans lune. Après avoir mit sur le feu des saucisses et des brochettes de poivrons, Alestan l'imita tout en surveillant la cuisson.

 

- Regarde comme elles brillent. Souffla-t-il. N'est-ce pas suffisant ? Même si notre monde venait à disparaître, les savoir là-haut, éblouissantes et immuables, me suffit amplement.

- Je vois... Sourit William. Alors pourquoi nous aider si tu te fiches du destin d'Alesta ?

- Je souhaite que les gens qui me sont chers se trouvent à mes côtés lorsque viendra la fin.

 

Le chevalier ne savait pas s'il devait se mettre en colère où demeurer silencieux après de telles paroles. Alestan donnait l'impression de savoir quelque chose qu'il refusait de partager.

 

- Tu parles comme si notre cauchemar allait se réaliser.

- C'est le cas. Assura-t-il, le ton grave. Ces sabres, cette guerre et tous les évènements de ces dernières années. Tout a été soigneusement orchestré bien avant notre naissance. Plus nous nous opposons à ce dessein et plus nous en accélérons le processus.

 

William détâcha ses yeux de la voie lactée pour dévisager le vagabond, incroyablement calme malgré ce qu'il venait d'annoncer. Le coeur lourd, le chevalier remarqua qu'Alestan ne regardait pas les étoiles, mais les ténèbres qui les séparaient. Avait-il perdu tout espoir, et ce depuis bien longtemps ? Qu'en était-il de cette fille qu'il recherchait ? Peut-être qu'il voulait simplement la retrouver pour vivre les derniers soubressauts d'Alesta en sa compagnie. William refusait d'accepter cette vision des choses.

 

- Désolé mais ton souhait ne se réalisera pas. J'empêcherais cette fin. Promit-il en resserrant ses doigts écaillés sur le sabre éclarlate. Je réduirais l'ennemi en cendre, quel qu'il soit.

- J'en attendais pas moins d'un idiot de ta trempe.

 

Alestan étira le coin de ses lèvres avant d'annoncer que le dîner était prêt. Caëlis et Loreleï les retrouvèrent puis ils se ressérèrent les uns contre les autres pour s'endormir à la chaleur des flammes. Ils partient dès l'aurore pour atteindre la muraille de Grendël au début de l'après-midi, un rempart fait d'une pierre inconnue aux teintes d'obsidiennes, assez large pour acceuillirent un batallion complet et s'élevant à plus d'une dizaine de mètres. Le mur commençait d'une falaise de la Mer Intérieure pour remonter sur des centaines de kilomètres jusqu'aux chaînes d'Helka, en faisant la ligne de défense la plus impressionnante des cinq royaumes.

 

- Je ne vois pas de portes. Commenta William tandis qu'ils approchaient de l'immense édifice.

 

Caëlis lui avait demandé de la poser à terre pour contempler avec respect l'oeuvre que l'on attribuait au roi Grendël, bien qu'en vérité ce dernier n'avait fait que restaurer les vestiges d'une époque oubliée, comme pouvait en témoigner la matière mystérieuse employée à sa construction. Une pierre lisse et brillante, d'un noir de jais, dont les carrières d'extractions demeuraient à ce jour inconnue.

 

- On raconte qu'il s'agit de l'oeuvre des Fées. Leur enseigna la princesse. Une muraille composée d'un cristal que l'on trouverait uniquement sur l'île du Jardin des Gemmes.

- Où se trouvent-elle désormais ? Questionna William qui adorait ce genre d'histoire.

- Elles ont ouvert une maison close à Bismaga. Le renseigna Alestan.

 

Caëlis lui donna un coup de poing de l'épaule, rejoignant Loreleï qui esquissa pour la première fois depuis la perte de Royngär un sourire timide. Le vagabond les guida jusqu'à l'ébauche d'un chemin, aux pavés délités par de la mauvaise herbe et qui s'arrêtait abruptement aux pieds de la muraille. Les quatre compagnons demeurèrent face à l'obstacle, levant les yeux pour chercher un signe de vie sur les hauts remparts.

 

- Tu as déjà franchis la muraille par le passé, non ? Lança William au vagabond.

- En remontant la Route du Nord. Précisa-t-il. Et contrairement à ici il y avait une porte.

- Lili ? Interrogea Caëlis en voyant Loreleï poser une main contre la surface noire.

 

Ils observèrent la jeune femme palper le mur jusqu'à découvrir une rainure, qui remontait jusqu'à mi-hauteur du rempart pour dessiner les contours d'une entrée. Tandis qu'elle continuait son examination, Alestan colla ses mains autour de sa bouche pour indiquer leur présence à pleine voix.

 

- Ouvrez ! La princesse d'Elnath souhaite entrer au royaume du Cygne ! Y'a quelqu'un ? Soldats d'Holmgaard ! Nous avons deux jeunes femmes en détresse prête à tout pour entrer ! Leurs mensurations sont plutôt convainqu...

 

La princesse lui colla un nouveau coup pour le faire taire, et ils réfléchirent à une façon de passer la muraille sans perdre trop de temps. Parmi les solutions qu'ils trouvèrent, la plus réalisable consistait à retourner sur leurs pas pour traverser la Mer en bateau, une option qu'ils ne pouvaient malheureusement pas se permettre.

 

- Je peux peut-être faire fondre la pierre. Proposa William.

- Il te faudra des jours pour en venir à bout. Contra Caëlis. Et ça pourrait être considéré comme une attaque envers Albieros.

- Si on fait une échelle humaine ? Tenta Alestan.

- Il nous faudrait deux autres personnes pour que ça marche. Constata le chevalier.

 

Un grondement assourdissant les firent sursauter, et ils se tournèrent d'un seul mouvement vers Loreleï, qui s'était entaillé la main pour faire couler son sang dans l'une des fentes du rempart. Le bloc de pierre noire délimité par les rainures s'enfonçait lentement dans le sol pour dévoiler un passage à travers le mur, où le chemin se poursuivait, cette fois-ci bien entretenu, jusqu'à la forteresse d'Holmgaard.

 

- Bien joué Lili ! La félicita Caëlis.

- Comment as-tu fait ? L'interrogea Alestan.

 

Loreleï toucha sa plaie avant de désigner son coeur, effectuant ensuite un ample mouvement pour englober la muraille de Grendël. Elle les pointa ensuite du doigt en hochant négativement la tête, ses longs cheveux bouclés aux couleurs de pailles virevoltant au courant d'air qui s'engouffrait dans le passage.

 

- C'est bien pensé. Comprit la princesse.

- Tu peux nous éclairer ? Lança William, qui tout comme le vagabond, n'avait rien deviné.

- La porte s'ouvre seulement pour un habitant d'Albieros. Expliqua Caëlis. J'imagine qu'il faut être originaire du royaume, et ne pas avoir de mauvaises intentions.

 

Loreleï confirma, et ils passèrent la muraille qui se referma derrière eux. La forteresse d'Holmgaard se dressait au loin, un château aux dimensions titanesque qui s'élevait telle une île au milieu de la steppe de Nebra Trundholm. Ses remparts se confondaient avec la grisaille de cette région d'Alesta, au climat humide et froid pourtant considéré comme étant relativement agréable par les Albiens, ces derniers habitués à des températures extrêmes qui plongeaient leur royaume dans un hiver rigoureux la moitié de l'année.

 

- Il s'agit de l'endroit où nous devions atterrir. Rappela Caëlis.

- Espérons qu'ils nous attendent toujours... Souffla William.

 

La lumière du jour déclinait lorsque le petit groupe arriva aux abords de la forteresse à l'architecture excentrique. Il s'agissait d'un chevauchement de tours pointues, de bastions et de murs épais bordés de canons, qui donnaient l'impression d'avoir été assemblés sans logique, le tout maintenu dans un étrange équilibre offrant à la structure une apparence fantastique. C'était comme si Holmgaard avait été construit au fil des siècles par différents propriétaires, chacun ajoutant sa contribution sans toucher aux précédentes. A mi-chemin depuis la muraille, William porta la princesse qui manquait de souffle, Alestan et Loreleï en tête pour atteindre les portes avant la tombée de la nuit. Ils arrivaient au but lorsque le vagabond leur fit signe de s'arrêter, portant la main sur son sabre ténébreux en scrutant la base de la forteresse. Le chevalier déposa Caëlis pour l'imiter, échangeant sa place avec Loreleï afin de défendre les deux jeunes femmes en cas d'attaque.

 

- Tu vois quelque chose ? Chuchota-t-il à l'adresse d'Alestan.

- Je n'en suis pas certain.

 

William remarqua alors un point de lumière disparaître, apparaissant de nouveau plus proche dans un flash pour répéter l'opération tout en zigzaguant dans leur direction. La chose se déplaçait cependant trop vite pour qu'il puisse discerner quoi que ce soit.

 

- Qu'y a-t-il ? Demanda Caëlis, soucieuse de les voir aussi alarmé.

- Tenez-vous prêt. Souffla Alestan.

 

La lueur laissait des traces lumineuses à chaque déplacement, qui s'estompaient derrière son passage. William pouvait désormais entrevoir brièvement une silhouette à chaque apparition, et il comprit qu'ils étaient directement visé par cette dernière. Il jeta un coup d'oeil à Loreleï et Caëlis, en pleine confusion tandis qu'elles observaient à leur tour le phénomène.

 

- Will ! L'interpella subitement Alestan.

 

Le vagabond dégaina Kusanagi lorsque la chose apparut dans un éclat éblouissant devant lui, parant un coup dans un tintement métallique avant que le rayonnement ne s'évapore avec un sifflement perçant. Suivant les traînées de lumière du regard, William perçu un nouveau flash à plusieurs mètres de distance, détaillant à nouveau les contours d'une personne. La vision s'évanouit pour surgir en une fraction de seconde dans son dos, poussant le chevalier se protéger instinctivement de son bras d'écailles pour contrer la lame qui manqua de le décapiter. Une tempête de cheveux d'or le contourna, et William laissa la fureur de son sabre enflammer son adversaire, dont la lumière brilla avec tant d'intensité qu'il en fut aveuglé. Le feu dévora du vide, et une main le fit tressaillir en se posant sur son épaule, le laissant sans voix en découvrant une jeune femme en équilibre au-dessus de lui. Elle l'utilisait comme appui pour se mettre en poirier, plongeant la pointe de sa lame blanche dans le creux de son cou.

 

" Tu vas mourir gamin... "

" La ferme. "

 

William dû cependant laisser la sombre conscience de Berham lui donner un coup de main, et une colonne de flammes ardentes grimpa le long de son corps pour acculer son adversaire. Celui-ci abandonna son attaque pour fondre sur Alestan, dont les traits du visage s'étaient affaissés, comme s'il venait de se faire poignarder. Il repoussa une estocade avant d'effectuer un mouvement de recul, desserrant sa prise sur Kusanagi qui rebondit sur le sol, le laissant désarmer devant les regards abasourdis de ses compagnons.

 

- Je rêve... Balbutia-t-il.

 

Face à cette réaction, leur adversaire cessa ses déplacements instantanés pour apparaître aux yeux de tous. Une chevelure dorée descendait en cascade sur une cape sombre, un cygne blanc brodé sur l'épaule. William fut ébloui par son visage, à la peau si pâle qu'elle semblait briller d'une lumière intérieure, et aux traits si délicats qu'il crû voir l'une de ces fameuses fées dont parlait Caëlis. L'inconnue les observait avec curiosité, ses yeux argentés soudainement attiré par Alestan, se plissant comme si elle essayait de se souvenir de quelque chose. Alors son sabre, d'une blancheur immaculée, tomba à son tour sur le sol, et le nom qu'elle prononça faiblement les cloua sur place.

 

- Alestan.

 

Ce dernier esquissa un pas dans sa direction, hésitant tandis qu'il affichait une expression que William ne l'avait jamais vu arboré. Une joie intense et de la gratitude, un sentiment que le vagabond lui-même avait oublié.

 

- Nëa... C'est bien toi ?

 

Après un court instant de battement, elle se précipita dans les bras d'Alestan, qui l'enlaça d'abord avec tendresse, avant de la serrer avec passion. Caëlis et Loreleï s'approchèrent pour se trouver aux côtés de William, qui réalisait seulement l'identité de cette jeune femme, intimement liée à son passé. Il s'agissait de celle que le vagabond avait cherché toute sa vie, et qu'il venait finalement de retrouver aux pieds d'Holmgaard.

 

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On retrouve la team Alestan.

Ça fait plaisir de les revoir après leur courte absence. Même si la dernière tragédie fut très éprouvante pour eux, au fil des jours ils se sont refait petit à petit.

 

Bien que Al semble perdu dans ses pensées, qu'est ce qui le perturbe ainsi ?

 

On découvre le royaume d'Alberios qui est fort jolie et dont son background est toujours fantastique.

 

Ah et que dire de la fin totalement surprenante la femme que recherchait Al depuis toutes ses années se trouvait dans ce lieu. En plus d'être super forte, agile et rapide elle semble avoir un lien plus qu'amicale avec Al. 

 

Elle doit être la détentrice de la lame Lumière.

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HERITIERE

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Eyleen se réveilla au milieu de la nuit dans un cri terrifiant. Elle fit un geste pour ôter une mèche écarlate et trempée de sueur de ses yeux, un vide se formant dans ses entrailles en constatant le moignon au niveau de son coude, désormais cautérisé sous une épaisse couche de bandages. Plusieurs secondes lui furent nécessaire pour réaliser qu'il ne s'agissait pas d'un cauchemar, mais bien de la réalité. Valdir lui avait tranché l'avant-bras, la dague de son père était brisé et son bâton perdu, tout comme le sabre d'Hakim. La Troisième Division n'était plus, et Ren s'était sacrifié pour lui permettre de s'échapper. Eyleen plaqua la main sur sa bouche, s'empêchant de vomir sur les draps jaunit d'un lit étranger. Elle se recroquevilla jusqu'à ce que la nausée s'atténue, enfouissant son visage dans un des coussins pour laisser couler ses larmes jusqu'à sombrer à nouveau dans le sommeil. Elle avait perdu le compte du temps, ne sachant pas si trois heures ou trois jours s'étaient écoulé depuis qu'un homme mystérieux l'avait sauvé aux portes d'Elaris.

 

Un certain Yin, élève de Masamune. Eyleen avait été soigné puis laissé dans cette chambre d'auberge, où elle n'avait fait que pleurer et dormir sans jamais toucher à l'eau et la nourriture qu'on lui laissait sur la table de chevet. Elle ne ressentait pas le besoin de boire ou manger. Elle n'était pas certaine de ressentir à nouveau quoi que ce soit. En vérité, son seul désir était d'être seule, pour ne pas dire mourir. Quelle honte d'avoir une telle pensée, une insulte envers celui qui lui avait permise d'être encore en vie. Celui qui lui avait enseigné à accepter la mort pour devenir plus forte. Quelle ironie. Une armée n'était pas suffisante pour venir à bout de Ren Raigîn, mais la présence d'Eyleen l'avait pourtant mené à sa perte. Un cruel constat qui la plongeait dans une abysse de chagrin et de regrets. S'il n'avait pas eût à se soucier de sa protection, le sabreur aurait pu fuir aisément. Elle maudissait Icare, Valdir, les politiciens d'Elaris et surtout sa propre faiblesse. Eyleen ruminait tristesse et colère dans un cycle vicieux, incapable d'affronter à nouveau le monde. Une faible lumière perçait au travers des rideaux de sa chambre lorsque quelqu'un frappa à la porte, et elle fit mine de dormir en écoutant des pas s'approcher du lit pour débarasser son repas intouché de la veille, le remplaçant par un nouveau avant de lui toucher délicatement l'épaule.

 

- Ne faites pas semblant. Fit-il avec douceur. Je ne quitterai pas cette pièce tant que vous ne mangez pas.

 

Eyleen entrouvrit un paupière pour croiser le regard parsemé d'éclat de jades qui la fixait avec compassion. Un jeune homme aux cheveux courts et sombre, le visage fin au teint légèrement cuivré et vêtu d'un kimono vert pâle, deux croissants de lune brodés sur la poitrine. Il lui tendit un bol de soupe encore fumant qu'elle observa sans bouger, se résignant après une longue minute à briser le silence malaisé qu'elle avait imposé.

 

- Pourquoi...

 

Eyleen l'avait interrogé d'une voix rauque et lointaine, découvrant que parler dans son état actuel lui demandait beaucoup plus d'effort qu'elle ne l'imaginait. Yin reposa le récipient sur la table de chevet pour lui présenter un verre d'eau, qu'elle accepta de prendre entre ses doigts fébriles. Le liquide humidifia ses lèvres sèches pour s'écouler avec délice le long de son œsophage, soulageant sa gorge tandis qu'elle se désaltérait avec avidité.

 

- Pourquoi tu m'as aidé ?

- Alesta a besoin de vous.

 

La réponse provoqua un rire désespéré et incontrôlable chez Eyleen, qui manqua de s'étouffer avec son eau. Elle ne s'attendait pas à connaître de nouveau la saveur de l'humour, bien que celle-ci se trouvait être particulièrement amer.

 

- J'aurais décidément tout entendu... Souffla-t-elle après avoir récupéré ses esprits. Personne a besoin d'une infirme en pleine dépression.

- Vous l'avez vu n'est-ce-pas ? L'arme ?

 

Eyleen se rembrunit, les souvenirs de la tour d'Elinor ressurgissant dans sa mémoire tel un couteau retourné dans la plaie. Elle avait effectivement vu quelque chose et en avait payé le prix.

 

- Aucune importance. Lâcha-t-elle sombrement. Où sommes-nous ?

- L'auberge du Lac de la ville d'Yildun. Révéla Yin. Trois jours ce sont écoulés depuis votre combat.

 

Son regard se porta sur le membre estropié d'Eyleen, qui saisit le bol de soupe tiède pour en avaler de longues gorgées. Elle sentit son estomac se remplir pour lui redonner des forces, la bouillie de légumes lui donnant l'impression d'être en réalité un met divin aux saveurs innombrables et raffinées. Yin remarqua la flamme de saphir renaître dans le regard d'Eyleen, qui commençait à éprouver un furieux désir de se venger.

 

- Merci pour tout mais je dois retourner à Elaris. Articula-t-elle, la bouche pleine après avoir mordu à pleines dents dans un quartier de fromage. J'ai laissé des choses précieuses derrière moi.

- Je regrette mais ce ne sera pas possible.

 

Une ombre passa sur le visage du jeune homme, et malgré son apparence inoffensive il semblait prêt à la retenir par la force si nécessaire. Eyleen se rappela la façon dont il s'était débarrassé des deux soldats, détaillant le marteau de forgeron à sa ceinture pour réaliser par la même occasion qu'elle se trouvait face à l'un de ses confrères.

 

- Tu peux toujours essayer de m'en empêcher.

 

Elle ôta les draps pour sortir du lit en sous-vêtement, manquant de tomber en tentant de se tenir sur ses jambes tremblantes. Elle trouva ses vêtements soigneusement pliés sur une commode, entreprenant de s'habiller tandis que Yin détournait le regard. La tâche se révéla extrêmement difficile avec son bras gauche, en particulier pour une droitière. Après s'être longuement battu pour enfiler son pantalon, Eyleen n'eût d'autre choix que demander à contrecoeur l'aide du jeune homme. 

 

- Tu es alchimiste ? Demanda-t-elle pour briser le silence embarrassant qui accompagnait les gestes hésitant de Yin.

- J'essaye. Je suis encore novice en la matière

 

Une fois vêtue Eyleen retrouva la bourse qui contenait ses graines alchimiques, découvrant qu'il lui restait également une aiguille imbibée de sédatif. Elle s'en empara discrètement avant de faire appel au jeune homme pour lui passer sa veste, enfonçant la pointe dans le poignet de ce dernier d'un mouvement vif. Yin écarquilla les yeux en comprenant ce qu'elle venait de faire, ses doigts agrippant solidement le bras d'Eyleen pour l'empêcher de partir.

 

- Je suis désolée. S'excusa-t-elle.

 

Yin desserra sa prise pour s'évanouir sur le plancher de la chambre, entamant un sommeil profond qui allait certainement lui laisser un douloureux mal de tête. Eyleen lui fouilla les poches pour en tirer un peu d'argent, suffisamment pour se payer une traverser du lac Celeno afin de rejoindre la Terre Neutre au plus vite. Elle déboucha sur un tapis usé qui couvrait le couloir de l'auberge, fermant la porte sur son passage pour descendre au rez-de-chaussée. Dépassant quelques peintures, qui meublaient le hall du bâtiment en bois, Eyleen marcha rapidement devant quelques clients bavardant au bar, tandis que le gérant essuyait ses verres en se mêlant aux conversations.

 

Elle déboucha dans la rue sans rencontrer de difficulté, plissant les yeux en rencontrant la clarté du soleil, chaleureuse en ce début de matinée. Eyleen éprouvait un peu de remords pour avoir ainsi abandonné l'homme qui avait prit soin d'elle, mais tout ce qui comptait désormais à ses yeux était de retrouver Ren, en espérant qu'il soit toujours en vie. Yildun était une petite cité portuaire, renommée en grande partie grâce au lac Celeno, qui voyait passer de nombreux navires marchants empruntant l'Anthénor depuis la Baie des Sirènes, pour descendre le long de l'Elkêom jusqu'à l'archipel de Tane. Eyleen traversa les étals nauséabondes d'un marché aux poissons, se mêlant à la foule pour rejoindre les quais du lac. Un long bâtiment de pierre accueillait de nombreux commerçants, l'un des pôles de négociations entre ces derniers et les marins d'Alesta, qui abritait également les dessertes des passeurs faisant traverser leurs clients d'Elnath jusqu'en Terre Neutre. Eyleen cherchait une embarcation lorsqu'un vieil homme se présenta devant elle, les mains dans le dos et ses yeux gris la dévisageant avec une rare intensité. Son visage respectable était parcouru de rides profondes, une barbe blanche finement tressée retombant sur un kimono identique à celui de Yin, autant de détails qui éclairèrent Eyleen sur son identité.

 

- Je l'avais pourtant prévenu d'être vigilant. Plaisanta-t-il en étirant le coin de ses lèvres.

 

Elle imaginait le célèbre forgeron beaucoup plus stricte, et surtout plus vigoureux que l'ancêtre qui se tenait devant elle. Il était impossible de donner un âge à Masamune, mais son regard dévoilait à ceux qui savaient le déchiffrer une idée de son incroyable longévité. Un homme ayant vu défiler des siècles de changements, de guerres, d'espoirs et de drames, disposant d'une connaissance au moins égale à l'ensemble des bibliothèques du monde.

 

- Je n'ai pas le temps de discuter avec vous. L'avertit Eyleen. Je dois...

- Retrouver l'homme que tu aimes. Termina Masamune avec gravité. Je comprend. Le comptoir d'Ahri propose des prix assez compétitifs pour traverser le lac.

 

Eyleen demeura immobile, désormais hésitante face au vieux maître. Elle se demanda comment il avait deviné qu'elle parviendrait jusqu'ici, mais le plus surprenant fut de voir Masamune dévoiler ce qu'il tenait dans son dos, à savoir le bâton des merveilles de son père. La voix d'Eyleen se chargea d'une émotion mal contenue.

 

- Comment avez-vous fait ?

- Un simple échange. Répondit le maître. Je me suis rendu à Elaris pendant que Yin s'occupait de ta blessure.

 

Sur ces mots il lui rendit le précieux sceptre, qu'elle saisit fébrilement en ressentant une joie intense, mêlée d'incompréhension. Masamune venait d'éveiller tout son intérêt, et un long moment s'écoula avant qu'elle n'essaye de formuler la question qui lui tenait le plus à coeur.

 

- Est-ce que... Ren... Est-il...

- Il est en vie. La rassura-t-il, bien que son expression s'était assombri. Le cas de Ren parmi les Sept est unique, et le tuer aurait fait perdre à Icare un temps précieux.

- En vie...

 

Le soulagement d'Eyleen était tel qu'elle en avait le tournis. L'étau qui comprimait son coeur venait de se desserrer, bien que Masamune ne lui disait pas tout.

 

- Il n'est pas venu avec vous ? Demanda-t-elle en cherchant la silouhette du sabreur parmi la foule.

- Ren est actuellement enfermé au plus profond des geôles d'Orkadûr.

 

Le sentiment d'apaisement qu'avait ressentit Eyleen s'estompa aussi rapidement qu'il était apparu. C'était la première fois qu'elle entendait le nom de cette prison, mais le visage soucieux du père des sept sabres légendaire lui provoqua un frisson désagréable, sans pour autant entacher sa détermination.

 

- Où se trouve cet endroit ?

- Dans une ancienne mine de fer, au Nord d'Elaris. L'informa Masamune. Je peux également t'assurer qu'il n'existe que deux moyens de libérer Ren Raîgin.

- Quels sont-ils ?

- Le premier est d'offrir la victoire à la reine Yilda.

 

Le vieux maître marqua une pause, son regard aux coins ridés concentré sur celui d'Eyleen, une abyme argentée difficile à soutenir.

 

- L'autre solution est d'aider Icare à réunir les sept fragments.

 

Aucun des choix proposés par Masamune ne lui convenait, et dans chacun des cas Ren risquait d'être prisonnier plusieurs mois dans ce lieu terrible. La deuxième option était tout simplement inenvisageable, ce qui faisait de la première l'unique façon de sauver son compagnon. Il s'agissait ni plus ni moins du plan élaboré par Ren et Eyleen, soldé par un échec cuisant face à l'esprit calculateur d'Icare.

 

- Pourquoi vous êtes-vous rendu à Elaris ? L'interrogea-t-elle, soudain méfiante.

 

Masamune l'invita à la suivre jusqu'aux quais d'Yildun, donnant la raison de son déplacement tandis qu'ils marchaient le long d'un pont flottant pour observer l'immensité du lac Celeno, d'un bleu turquoise semblable aux yeux d'Eyleen, sa surface parsemées de reflets étincelants comme d'innombrables diamants.

 

- J'ai usé du peu d'influence qu'il me restait pour retirer temporairement Daëdra du conflit. Révéla-t-il. La Chambre du Conseil, où plus simplement le sénateur Alkadia m'a accordé cette faveur à une condition.

 

Le regard du maître se perdit dans les cimes enneigées d'Urkab, au-delà desquelles se trouvait la vallée de l'étoile. Comme Ren l'avait dit, Masamune donnait l'impression de n'être qu'un simple vieil homme.

 

- Une condition ?

- Peu importe l'issue de la bataille, je serais mort une fois qu'elle sera terminée.

 

Eyleen ne s'attendait pas à ce type d'arrangement. Elle ne connaissait pas suffisamment le maître pour être attristé par cette décision, mais la nouvelle risquait cependant d'être différente pour Ren et Alestan, qui considéraient certainement le vieil homme comme leur famille.

 

- Vous n'êtes pas obligé de respecter l'arrangement.

- Icare n'est pas le seul à avoir repousser les limites du corps.

 

Masamune écarta le col de son kimono, dévoilant sur sa poitrine une cicatrice en forme de croissant de lune. Après tout ce qu'elle avait vu et apprit au cour des dernières semaines, Eyleen comprit rapidement ce que le maître voulait dire.

 

- Vous lui avez donné votre coeur...

- Pour donner une chance de victoire au peuple d'Elnath. Avoua-t-il. Je lui ai également rendu son sabre, Zagan, en échange de cette merveilleuse création de Reïko.

 

Eyleen resserra la prise sur son bâton, son estomac se contractant en apprenant que Masamune connaissait son père. Elle ne put s'empêcher de penser que le vieil homme avait commis une terrible erreur, mais sa curiosité l'emporta sur ses inquiétudes.

 

- Vous l'avez connu ?

- Ce n'était qu'un enfant. Sourit-il en tournant son intense regard vers elle. Encore loin de devenir l'alchimiste le plus talentueux de sa génération. Je connaissais surtout son maître, Apolys Ruan. Un homme que tu as également croisé, où plutôt son souvenir.

- Je ne connais aucun Apolys. Lui assura Eyleen.

- C'est vrai qu'on l'appelait déjà le vieux Paul autrefois. Plaisanta Masamune. Et par autrefois, j’entends l'époque où nous avons conçu le Coeur d'Elaris.

 

Le corps d'Eyleen se raidit, le souffle coupé après une telle révélation. Le voile de mystère du vieux Paul, ou plutôt Apolys Ruan, venait brusquement d'être soulevé.

 

- Est-ce que mon père savait pour l'arme ?

- Il n'aurait jamais conçu une merveille aussi puissante que ton bâton sans cette connaissance. Connaissance transmise par Apolys, qui était un prodige de l'alchimie par voie végétale. Je pense pour ma part avoir percé tous les secrets de la voie minérale. Et désormais te voici Eyleen, la dernière héritière de cet art, tout comme Yin, mon élève.

 

Une désagréable impression envahit Eyleen, qui réalisait peu à peu qu'Icare n'était pas le seul à avoir étalé ses plans sur le long terme. Masamune et le sénateur semblait jouer une partie d'échecs à l'échelle d'Alesta, chacun usant de sa stratégie pour faire tomber le roi adverse.

 

- J'ai le sentiment que vous me demandez de rejoindre votre cause. Souffla-t-elle. Icare a été beaucoup plus direct.

 

Masamune éclata de rire, et Eyleen eût l'impression d'être plongé dans une cascade de lumière. Ses doutes furent balayés en comprenant qu'il n'y avait pas la moindre trace de mauvaises intentions chez le vieux maître, qui lui toucha l'épaule dans un geste chaleureux.

 

- Si aucun des camps ne t'attire tu vivras certainement une vie heureuse. Prédit-il avant de détourner son regard du lac pour contempler la cité d'Yildun. Nous avons tous le choix, ce qui est à la fois notre plus grande force et notre plus grande faiblesse. Certains croient au libre arbitre et d'autres au destin, ce qui revient à dire que tu peux vivre soit dans un drame, ou soit dans une tragédie. En vérité nous sommes lié à un destin commun décidé par le libre arbitre de chacun. Nous sommes un et nous sommes tout. Tout ça pour dire Eyleen, que de ton choix en découlera un évènement qui influera sur la vie de tous.

- Vous m'embrouillez...

- Pour faire plus simple, que veux-tu ?

 

La question prit Eyleen au dépourvue. Que voulait-elle exactement ? Pour le moment, elle ne souhaitait qu'une chose.

 

- Je veux sauver Ren.

- Tu sais donc ce qu'il te reste à faire.

 

Le maître s'apprêtait à partir lorsque Eyleen se rappela d'une chose l'ayant préoccupé lors de son premier jour à Elaris, la première fois qu'elle rencontra le sénateur Alkadia.

 

- Pourquoi Alestan doit se tenir à distance d'Icare ?

 

Masamune s'immobilisa pour lentement se tourner vers elle. Une étrange lueur brillait dans ses yeux argentés, comme si la question avait éveillé un souvenir qu'il refoulait au plus profond de lui.

 

- Car l'un d'eux provoquera la fin de notre Cycle, et encore aujourd'hui, j'ignore lequel.

 

Il se détourna pour s'éloigner dans la foule, laissant Eyleen sur les quais d'Yildun. Peut-être que Masamune savait dès le début qu'en éveillant sa curiosité il parviendrait à lui faire prendre une décision. Elle contempla une dernière fois les montagnes d'Urkab, faisant parvenir une promesse silencieuse jusqu'aux cellules d'Orkadûr.

 

" Attends-moi."

 

 

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TROISIEME ARC - FIN

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Bon chapitre !

 

Ely a pris du temps pour se remettre du drame dernier, mais avec l'attention et les soins de Yin elle s'est rétablie assez vite et c'est tant mieux, bien qu'elle soit privée d'un membre à jamais. Yin s'est fait prendre au dépourvu par Ely, mais cette dernière tombe sur Masamune le doyen du monde, que dire qu'il dégage toujours autant de mystère, d'assurance et de charisme.

 

Il a mis son coeur en jeu pour retrouver l'arme du père d'Ely encore plus surprenant qu'il se connaissait ainsi que le vieux Paul qui était le maitre de son père, une révélation étonnante. Maintenant on peut dire que tout se met en place un peu plus pour la suite de l'histoire, et tout dépendra du choix d'Al ou d'Icare pour le destin du monde.

 

Je sens que Al mourra à la fin de l'histoire...

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Je commence à rattraper le tout. J'ai encore quelques semaines de retard comme à mon habitude... Et toi tu continues à pondre des chapitres avec une bonne dynamique comme à ton habitude.

 

Le début de l'arc 3 est assez particulier car ton style l'est aussi. Chaque arc est centré sur un personnage, et donc sur une histoire qui nécessite une exposition. Du coup, avec William, je  m'attendais à ce que l'histoire débute rapidement, mais tu m'as surpris de bien des manières. On savait qu'Alestan finirait par arriver, mais quelle surprise de voir que William et lui sont meilleurs amis. Ajoutons à ça son lien avec la famille royale, tu as eu deux fois plus de choses à introduire mais c'est réussi car tout semble normal.

 

On a l'impression que l'on connait le trio Caelis - William - Alestan depuis le début de l'histoire alors qu'ils ont été introduit dans cet arc. J'ai adoré le début de l'arc, jusqu'à la virée en perce-neige à laquelle je me suis arrêté. Et même si j'ai trouvé une partie de cette série un peu lente pour en venir aux faits, je suis content d'avoir encore quelques éléments que tu nous donnes.

 

On a une idée de ce que tu avais déjà dit. Les Sept Sabres et leur porteurs ne doivent absolument pas se rencontrer s'ils ne veulent pas détruire le monde. Pourtant, leur rencontre est inévitable. Le rêve que tous ont partagé laisse songer qu'ils font partie d'un tout. Donc, il se pourrait qu'ils aient des pouvoirs pouvant dépasser la simple utilisation de leurs sabres... Peuvent-ils communiquer entre eux ? Peuvent-ils lire dans les pensées des autres ? Voilà les questions que je me pose.

 

Pour Alestan, on voit que la pipe appartient à la fille de Masamune. Cela reste à confirmer mais William est au courant de l'histoire.

 

La guerre arrive, j'espère que ça ne soldera pas par une tragédie mais on ne sait jamais. Il faut vraiment que je rattrape tout ça.

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Salut Kaname !

 

Je tenais à terminer le troisième arc avant de faire une petite pause " correction ". L'introduction de William me faisait un peu peur, et même si je pense pouvoir améliorer l'ensemble, je suis content que tu n'es pas été choqué par la présentation du trio. Mais je suis surtout reconnaissant d'avoir ce genre d'avis fort utile :

 

j'ai trouvé une partie de cette série un peu lente pour en venir aux faits

 

C'est ce que je craignais en l'écrivant, et lorsque je ferais une relecture approfondis je pense que certaines phrases disparaîtront. J'en suis encore à la réécriture du deuxième arc, et les critiques me permettent de peaufiner le récit afin d'être le plus clair possible tout en réduisant les passages "inutiles" et en améliorant la fluidité de la lecture. (Et en corrigeant les erreurs bien sûr ^^). Donc encore merci, et n'hésite pas à être franc =)

 

En effet les Sept font partie d'un tout, intimement lié au destin de notre monde. Ils sont à mon sens une allégorie de l'Origine de toutes choses. Une vision alchimique et poétique de la Génèse en somme. Je vois bien une connexion mentale entre eux, pas forcément contrôlable hormis pour un en particulier. La guerre sera le sujet centrale du quatrième arc, qui marque la moitié de la Légende des Sept Sabres. La fin est écrite en tout cas  :)

 

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  • 2 weeks later...

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LA LEGENDE DES SEPT SABRES

 

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QUATRIEME ARC

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Le plateau d'Algoreb était une région aride parsemée d'oasis florissante, dernier rempart avant les portes du désert d'Armënia, dont la chaleur était si intense qu'aucun être vivant n'osait si aventurer. Située à l'Est des Landes du Tigre, ces terres mystérieuses voyaient ses populations migrer près des côtes au fil des années, conséquence des tempêtes de sable titanesques qui y sévissaient régulièrement. Contrairement aux autres royaumes d'Alesta, Jelaka n'était pas seulement gouverné par un seul roi, mais une multitude de chefs qui s'affrontaient inlassablement depuis des temps ancestraux. Le pouvoir du souverain se limitait au vaste territoire de Khem, cité portuaire considérée comme étant la capitale des Jelakim, bien qu'un tel terme n'existait tout simplement pas dans le vocabulaire de ces derniers. Ils étaient avant tout un peuple guerrier, chevaucheur de tigres à dent de sabre, dont la férocité tenait à distance le reste du continent. Les seuls personnes assez téméraires pour se rendre au royaume du désert éternel étaient les marchands d'esclaves, qui transitaient par le chemin d'Or jusqu'aux mines de diamants d'Adamant et celles d'or d'Höyük. Cette dernière avait une renommée particulièrement terrifiante, et tout à fait justifiée pour ceux ayant eût l'occasion d'apercevoir les corps faméliques et les expressions torturées des milliers de mineurs enchaînés, dont l'espérance de vie dépassait rarement les trente ans. Leur maître les affamait et les battait  aussi bien par nécessité que par plaisir, ne voyant en eux que de simples animaux tirant le minéral précieux tant convoité des entrailles de la terre. La principale préoccupation de ses êtres dépourvus d'humanité consistait à renouveler fréquemment leurs effectifs, qui avaient la fâcheuse tendance à mourir prématurément dès la venue des fortes chaleurs.

 

C'est à cette période que les convois d'esclaves affluaient par le Chemin d'Or, vendant à bon prix leurs malheureux prisonniers  qui faisait le bonheur de leur marchand. Gaïk était l'un d'entre eux à la tête d'une dizaine d'hommes, deux associés et huit mercenaires, ainsi que de ses sept caravanes durement gagné, tirées par des chevaux depuis la ville de Senora pour ensuite être échangé par des chameaux à Warka. L'embonpoint de Gaïk, appréciable au Nord d'Ademar, se révélait relativement contraignant au Sud d'Algoreb. Ses amples vêtements ne suffisait pas à se protéger de l'air sec et de la chaleur étouffante, insupportable pour celui qui n'était pas habitué à voyager dans cette région du continent. Il transpirait à grosses gouttes tandis que le convoi s'apprêtait à quitter l'oasis d'Oueili, au creux de la vallée désertique d'Adamant, dont la mine se trouvait à quelques kilomètres de leur position. Gaïk épongeait son visage tandis qu'il conversait avec son riche client, un Daër l'ayant grassement payé pour les quinze bougres qu'il lui avait vendu au prix de groupe. La plupart des propriétaires de mines n'étaient pas originaire de Jelaka, ces derniers ne trouvant aucun intérêt dans la collecte de minerais précieux, de faible valeur comparé à l'eau et aux terres fertiles. Gaïk discutait justement de ce point avec son acheteur, Saito, un homme de petite taille qui louchait en lui exposant sa théorie sur l'infériorité raciale des Jelakim.

 

- On a fait une expérience il n'y a pas si longtemps. On a privé un groupe de mineurs d'eau et de nourriture pendant une semaine. Ensuite, nous avons confronté les survivants à un choix : D'un côté des rations et des gourdes pour étancher leur soif, de l'autre trente onces de diamant. On leur a dit qu'on leur offrait ce qu'ils choisiraient, paperasses à l'appuis. Ces idiots se sont rués sur la bouffe sans même accordé un regard aux diamants ! S'esclaffa-t-il. Ils aurait pu acheter leur liberté mais ces singes ont préféré écouter leur instinct !

- Tant mieux. Lui assura Gaïk. Si ces animaux étaient capable de réfléchir ce serait mauvais pour les affaires.

- Bien dit. Je vois qu'il vous reste encore de la marchandise, vous continuez jusqu'à Höyük ?

- Dernière étape avant un retour bien mérité.

 

Son client jeta un œil vers les caravanes, trois roulottes pour Gaïk et ses hommes ainsi que quatre grandes cages, dans lesquelles s'étaient entassés des miséreux en haillons au cours du voyage. deux d'entre elles étaient désormais vide, et une douzaine d'esclaves se partageaient les autres restantes.

 

- Il me reste encore un peu de budget pour reprendre un ou deux jeunes. Un investissement sur le long terme ne fera pas de mal.

 

Gaïk passa un tissu sur son visage trempé de sueur avant de le guider à contrecœur vers les caravanes. Son acheteur des mines du Dragon d'Or lui avait déjà réservé une commande l'an passé et le reste de sa marchandise faisait pile le compte. Il laissa cependant Saito y jeter un coup d'oeil par politesse tandis que ces hommes préparaient leur départ. Ils examinèrent les prisonniers derrière les barreaux, argumentant sur les qualités physiques et le prix de chacun jusqu'à ce que le Daër porte son attention sur un garçon, le plus jeune de son convoi. Il ne devait pas avoir plus de six ou sept ans, le corps couvert de traces de coups et si maigre que le voir fermement accroché aux barres de sa cage en les observant avait quelque chose d'obscène. Une épaisse touffe de cheveux noirs et crasseux encadrait son visage creusé, une expression sauvage déformant ses traits juvéniles.

 

- Celui-là à l'air plein d'énergie.

- Je vous le déconseille. L'avertit Gaïk. Il a mordu plusieurs de mes gars jusqu'au sang, et aucune punition n'est parvenue le discipliner.

- Regardez-moi ce regard. Roucoula Saito. De quoi donner des frissons. C'est vous qui lui avez infligé cette blessure ?

 

L'enfant possédait en effet une cicatrice sur l'oeil droit, ayant sans doute provoquée la dépigmentation de l'iris qui luisait désormais d'une froide lueur argenté. Ceux qui l'avaient vendu à Gaïk et ses hommes disaient l'avoir trouvé dans un village en ruine près des Terres Gelées. Il était apparemment le seul survivant, accroché avec tant de forces aux cadavres de ses parents que les bandits furent obligé de l'assomer pour l'emmener. Personne ne sût ce qu'il s'était réellement passé, mais on racontait que le lieu avait été bâtit sur l'une des portes du Royaume Souterrain, et que les morts l'avait franchit une nuit pour massacrer tous ces gens.

 

- Non, il était déjà comme ça. Répondit Gaïk en passant sous silence l'origine du jeune esclave.

- J'aimerais vous le prendre. Combien ? Lui demanda Saito.

- Je préfère vous prévenir, il est borgne. Et muet.

- Ce n'est pas un problème. Lui assura son client. Donnez-moi votre prix.

 

Gaïk pensait que l’handicape du garçon aurait suffit pour dissuader le Daër, mais alors qu'il s'apprêtait à avouer que le reste de sa marchandise était destinée à un autre client, Saito fit l'erreur de s'approcher un peu trop près des barreaux. L'enfant lui saisit férocement les cheveux pour l'attirer contre la cage d'acier, et lorsque l'homme tenta de se dégager il s'empara de ses doigts boudinés pour y enfoncer les dents. L'esclavagiste hurla de douleur et Gaïk fut forcé d'appeler deux de ses hommes pour frapper le garçon jusqu'à ce qu'il lâche prise. La bouche pleine de sang, ce dernier recula au fond de la cage, où cinq autres prisonniers avaient observé la scène sans broncher.

 

- L'enfant de chienne ! S'écria Saito en compressant sa main ensanglantée. Je vais le tuer !

- Je vous avais prévenu. Lui rappela Gaïk.

- Dégagez de mes terres ! Dégagez !

 

Les caravanes s'éloignèrent des palmiers de l'oasis d'Oueili peu après l'incident, une longue traînée de poussière stagnant derrière le convoi tandis qu'il se dirigeait au Sud d'Algoreb pour atteindre les Portes du Désert. Alors que les esclaves brûlaient dans leur prison sous un soleil de plomb, Gaïk vida une gourde sur son visage replet, inscrivant les comptes de la journée sur son registre, tout en rayant le nom de Saito de sa liste d'acheteurs. Bien que le garçon venait de lui faire perdre un client, il lui avait rendu service. Ils firent une halte à la tombé du jour, les hommes se réunissant autour d'un grand feu alors que la température chutait abruptement au milieu de l'étendue infinie des dunes de sable. Après avoir jeter leurs restes aux esclaves, Gaïk et ces deux associés payèrent la moitié de leur salaire aux mercenaires qui l'accompagnaient, effectifs indispensables dans cette région du monde. Cette nuit-là, un vent frais se leva malgré l'absence du nuage dans le ciel. La lune était pleine, sa lumière estompant celles innombrables des étoiles. Gaïk se réveilla en sursaut lorsque l'un de ses hommes frappa à la porte de sa roulotte pour signaler une présence. La compagnie se réunie autour des braises incandescentes, interrogeant l'esclave qui leur assura avoir vu une ombre se déplacer près du convoi.

 

- Si jamais tu nous fais tourner en bourrique je t'assure que tu vas le regretter. Le menaça Gaïk.

 

L'un des mercenaires poussa alors une exclamation étouffée en indiquant une brume glisser dans leur direction. Les chameaux se débattaient nerveusement tandis qu'ils observèrent sans voix un voile ténébreux, plus sombre que le vide entre les étoiles, s'étendre autour d'eux pour les plonger dans un brouillard inquiétant jusqu'à la taille. Plus personne n'osa parler, et Gaïk sentit son sang se glacer lorsque l'obscurité forma des bras pour les enlacer, une vision cauchemardesque qui arracha des cris terrifiés aux plus courageux d'entre eux.

 

- Gaïk ! Le ciel nous puni ! Sanglota l'un de ses associés.

- Ce n'est pas le ciel...

 

Une voix féminine avait prononcé ces mots, émergeant de l'ombre et enveloppée dans une cape blanche. Il s'agissait d'une femme à la beauté éblouissante, de longs cheveux dorée retombant en cascade autour de ses épaules et la peau aussi pâle que la lune. Son visage était fier, et ses yeux aussi froids et mortels qu'une lame de glace, aux iris gris comme un ciel d'hiver.

 

- Mais les ténèbres. Termina-t-elle.

 

La brume s'écartait de son chemin, et Gaïk remarqua que celle-ci provenait du sabre de cette femme, expirée par l'acier d'un noir de jais. Immobile, l'esclavagiste contempla leur bourreau les exécuter un à un, bien qu'aucune trace de sang ne s'échappa des blessures de ses victimes. Les hommes tombaient simplement sur les genoux, le regard vide et de la bave aux lèvres, comme si leur souffle vital les avaient abandonné. La femme ôta l'âme de Gaïk en dernier avant de rengainer sa lame, dispersant l'obscurité pour révéler onze corps inanimés. Elle les fouilla ensuite pour trouver un trousseau de clefs, libérant ainsi les prisonniers qui, transit de peur, s'enfuirent sans demander leur reste.

 

- Tu peux venir Nëa !

 

Une fillette, qui avait observé la scène depuis une dune aux alentours, s'empressa de la rejoindre pour la serrer dans ses bras.

 

- Maman ! Tu as tué tous les méchants ! La félicita-t-elle.

 

Après avoir caressé les cheveux dorés de sa fille, la femme visita chacune des roulottes pour finalement ressortir de la dernière avec un petit coffre. Elle le secoua pour faire tinter son contenu, le fruit de l’écœurant labeur des esclavagistes, poussant un long soupir en détaillant le cadenas qui s'ouvrait à l'aide d'une combinaison.

 

- Merde... J'aurais dû en interroger un.

- Attention, attention ! Tu as dis un gros mot !

- Désolé ma chérie. S'excusa-t-elle. On va devoir attendre d'être chez papi Mune pour qu'il ouvre le trésor.

 

Un bruit de pas dans le sable lui fit lâcher le coffre pour saisir la poignée de son sabre, ses doigts se relâchant légèrement en observant un garçon aux cheveux hirsutes se diriger vers le corps du plus gros des esclavagistes. Dans ses haillons, l'enfant famélique enfonça alors son poing dans le visage de l'homme, répétant inlassablement le geste jusqu'à ce que la femme stoppe son poignet dans son élan.

 

- Il ne peut plus rien te faire.

 

Le garçon dégagea son bras pour ramper loin d'elle, grondant comme un animal sauvage sans la quitter des yeux. Il devait avoir le même âge que sa fille, et son corps meurtrie lui serra le coeur.

 

- Comment tu t'appelles ? Lui demanda-t-elle avec douceur.

 

Il demeura silencieux, son regard passant de la mère à sa fille sans savoir si elles étaient amies ou ennemies. Cette dernière s'approcha alors de lui pour tendre sa petite main, nullement effrayée par l'apparence farouche du jeune esclave.

 

- Moi c'est Nëa. Se présenta-t-elle. Ma maman s'appelle Elya. N'ais pas peur, on est des chasseuses de méchants.

 

Elya étira ses lèvres avec fierté en voyant sa fille agir de la sorte. Le garçon donna dans un premier temps l'impression de vouloir se jeter sur celle-ci pour l'attaquer, avant de commencer à hésiter, comme s'il percevait l'innocente honnêtetés dans la voix de Nëa. Elya détacha alors la gourde de sa ceinture pour rejoindre les deux enfants, la déposant aux pieds du garçon qui s'empressa de l'ouvrir pour boire à grande gorgée.

 

- Tu as quelque part où rentrer ? Une famille ?

 

Il les regarda comme si le dernier mot lui était complètement étranger. Cependant, l'expression sauvage disparue comme neige au soleil pour le faire ressembler à un simple garçon perdu, attendrissant le cœur d'Elya.

 

- Il peut venir avec nous maman.

- S'il le veut, oui, il peut venir avec nous.

 

Sa fille approcha alors sa main de l'enfant pour la saisir délicatement, et ce dernier se laissa être relevé sans cesser de les dévisager. Lorsque Nëa desserra ses doigts il ne la lâcha pas, gardant au contraire sa prise comme s'il craignait de se perdre.

 

- C'est triste de pas avoir de nom. Lui fit-elle. Je vais t'appeler... A... Alestan !

- Voyons Nëa, tu as juste repris le nom du continent. Lui reprocha affectueusement sa mère.

- Mais c'est bien ! Protesta-t-elle. Comme ça on peut dire que toute la terre est sa maison !

- Seulement s'il est d'accord alors.

 

Le silence qui suivit fut rompu par l'éternuement de l'enfant, qui leva ensuite les yeux vers la lune, comme s'il ne les avait pas écouté. Elya récupéra le butin du convoi, le passant sous son bras pour prendre à son tour l'autre main du garçon, s'éloignant ainsi à travers l'océan de sable et ses vagues de dunes.

 

- On va prendre ça pour un oui... Alestan d'Alesta.

 

 

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Bon chapitre !

 

On découvre  le passé d'Alestan et au début je m'y attendais pas du tout que ce jeune garçon soit Al et que ça rencontre avec sa future petite amie s'est fait dans ses conditions surtout avec la mère de cette dernière.

 

On en apprend un peu plus surtout sur son nom. Bien qu'on ne sache rien sur ses vraies origines ou parents.

 

Bref j'attends la suite de l'arc  8).

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DOUTES ET PROMESSES

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La forteresse d'Holmgaard découpait l'horizon de ses multiples tours, le ciel gris perdant de sa clarté à l'approche de la nuit. Des lueurs apparaissaient sur le bastion Sud de la muraille de Grendël, lucioles bleutées et nébuleuses, mais Caëlis et ses trois compagnons  n'y prêtèrent aucune attention, ne pouvant détacher leurs regards d'une lumière en mouvement, qui filait droit vers eux. Alestan les avaient alerté, William à ses côtés tandis que la princesse et Loreleï, serrées l'une contre l'autre, observaient avec stupeur une silhouette éblouissante apparaître devant les deux hommes pour subitement les attaquer. Le vagabond détourna le tranchant d'un sabre de justesse avant que la chose ne disparaisse. Ce fut alors au tour du chevalier d'être acculé au point d'utiliser ses flammes pour repousser leur agresseur, dont l'agilité n'avait d'égal que sa vitesse. Ce dernier se trouva en équilibre sur l'épaule de William, une main en appuie et l'autre prêt à frapper, contractant l'estomac de Caëlis qui crût assister à la mort de son protecteur, avant de lâcher un soupir de soulagement lorsque celui-ci passa à l'offensive. La colonne de flamme dégagea une telle chaleur qu'elle fit roussir la pointe des cheveux d'églantine de la princesse, mais le brasier manqua sa cible qui assaillait à nouveau Alestan, jusqu'à ce que le vagabond lâche son sabre ténébreux, capitulant face à l'ennemi sous les regards effarés de ses amis.

 

- Je rêve... Balbutia-t-il.

 

Les traits de son visage s'était affaissés, ses yeux verts et argentés écarquillés comme s'il venait de voir un fantôme. Alors leur adversaire se révéla à eux, et sa beauté était telle qu'ils crûrent l'espace d'un instant voir une fée, ou encore une incarnation de la lune elle-même, comme pouvait en témoigner sa peau d'une pâleur surnaturelle et son regard d'argent vif. Sa longue chevelure formait une cascade de boucles dorées retombant sur sa cape noir, tel un ruisseau d'or dans le ciel nocturne. Une fille de lumière. Caëlis retînt sa respiration lorsqu'elle laissa son sabre, d'une blancheur immaculée, tomber à son tour sur le sol pour s'exprimer d'une voix hésitante, presque effrayée.

 

- Alestan.

- Nëa... C'est bien toi ?

 

La princesse ne s'attendait pas à ce que ces deux là se connaissent, et sa surprise fut décuplée lorsque la jeune femme se précipita dans les bras du vagabond, qui l'enlaça dans une étreinte passionnée. Loreleï jeta un regard interrogateur à Caëlis avant de l'aider à se relever pour s'approcher de William. Ils assistaient vraisemblablement à des retrouvailles longuement attendues, et la princesse ne put se retenir d'éprouver un brin de jalousie en voyant l'expression d'Alestan, si reconnaissante qu'il donnait l'impression d'avoir accompli l’œuvre de toute une vie. Contrairement à son chevalier, Caëlis ignorait que s'était le cas, et elle préféra attendre la fin de l'étreinte pour débuter son interrogatoire. Après une dernière caresse dans les cheveux sombre du vagabond, la fille de lumière s'écarta pour mieux le détailler, et son rire cristallin résonna dans la steppe de Nebra Trundholm.

 

- Tu as tellement changé. Souffla-t-elle.

 

Elle esquissa un sourire qui illumina davantage son visage aux traits harmonieux, son charme décuplé bien qu'il fut difficile d'imaginer plus belle femme sur terre. Alestan passa une botte sous son sabre pour l'envoyer en l'air, le récupérant au vol pour le rengainer avec adresse. Il ne pouvait s'empêcher d'étirer ses lèvres, en proie à un bonheur que ni Caëlis, ni William ne l'avait vu ressentir depuis qu'il le connaissait.

 

- Ce n'est rien comparé à toi. Répondit-il avec légèreté. Moi qui te cherchait sur terre, j'aurais dû commencé par fouiller les étoiles.

- Ton esprit est toujours aussi emmêlé que tes cheveux. Le taquina-t-elle. J'espère que tu ne lâches pas ton arme devant tous tes adversaires. Que fais-tu à pieds au beau milieu de la steppe ? Et qui sont ces gens ?

 

Ils se tournèrent vers eux comme s'ils venaient seulement de remarquer leur présence, ce qui contraria la princesse. Elle se doutait bien que ces deux-là avaient beaucoup de choses à se dire, mais leur mission passait en premier lieu, ce qui la poussa à éclaircir la situation avant d'être devancer par Alestan.

 

-Je te présente Caëlis, princesse et héritière du royaume d'Elnath. Le grand costaud c'est William, son chevalier, et la timide à côté c'est Loreleï, l'une des deux pilotes qui devaient nous conduire à Holmgaard par perce-nuage.

- Enchantée, moi c'est Nëa.

 

Sa cape sombre virevolta tandis qu'elle s'avançait pour leur serrer la main, ses yeux argentés les dévisageant avec assurance, ce qui permis à Caëlis de déceler une étrange lueur dans ces derniers, la même qui brillait parfois dans ceux d'Alestan. Un mélange de volonté inébranlable et de tristesse, une autre personnalités qui se dissimulait derrière un masque de faux-semblants.

 

- Pourquoi nous avoir attaqué ? La questionna William, une légère amertume dans son regard ambré, certainement dû au fait qu'il ait été obligé d'utiliser son pouvoir destructeur.

- Deux hommes armés qui se promènent avec deux belles femmes désarmées, sans compter que tu tenais la princesse comme s'il s'agissait d'une prisonnière. Il ne m'en faut pas plus.

 

Nëa alla récupérer son sabre pour le ranger dans le fourreau enneigé qui pendait à sa hanche, dévoilant sous sa cape une tunique blanche brodée de motifs d'argents. La grâce de ses gestes et son visage fier intimidaient légèrement Caëlis, sans compter l'audace avec laquelle elle avait répondu à William, dont la stature imposante inspirait généralement le respect.

 

- Mais je suis contente d'être tombé sur vous. Enchaîna Nëa. J'étais censée accueillir l'héritière d'Elnath à Holmgaard pour l'escorter jusqu'au roi Östen, et comme vous n'arriviez pas je me voyais déjà forcée de partir à votre recherche sur le territoire d'Ademar.

- Nous escorter ? Releva Caëlis bien qu'elle devinait en partie la réponse.

 

La femme aux boucles dorées indiqua le cygne brodé sur son ample vêtement et entouré de douze étoiles, l'emblème du royaume d'Albieros, la terre des dompteurs du ciel.

 

- Je suis membre de la garde personnelle du seigneur Östen.

 

Caëlis échangea un regard avec William avant de se tourner vers Loreleï, qui se contenta de hausser les épaules. La princesse fut satisfaite de constater que ses deux compagnons avaient des doutes concernant cette Nëa, contrairement à Alestan qui semblait toujours sous le choc de leurs retrouvailles.

 

- Tu étais à Dürkador. Lâcha-t-il avec une pointe de tristesse.

- Depuis un peu plus d'un an. Précisa-t-elle. J'ai toujours espéré...

- Désolé de vous interrompre, trancha Caëlis, mais nous avons une alliance à passer et nous avons déjà perdu trop de temps. Si tu es notre guide, je propose de se mettre en route dès que possible.

 

Nëa et Alestan mirent fin à l'intense regard qu'ils échangeaient pour se mettre en mouvement, et leur groupe se dirigea vers la forteresse d'Holmgaard sous la brise mordante de Nebra Trundholm. Bien que la marche compressait douloureusement la poitrine de la princesse, conséquence de sa blessure lors du crash de l'Hansa, elle cacha sa souffrance pour ne pas paraître faible en compagnie de leur guide. Cette dernière étira un grand sourire lorsque le vagabond passa la main dans ses cheveux, évoquant chez elle un souvenir marquant.

 

- Tu as gardé cette manie.

- Je n'y fais même plus attention. Avoua Alestan.

- Tout ça parce que maman t'avait coupé les cheveux si courts que tu n'arrêtais pas de les chercher sur ta tête.

- C'est à cause de toi. La corrigea-t-il. Tu m'avais dis qu'ils pousseraient plus vite si je les caressais.

 

Caëlis ne se doutait pas qu'ils se connaissaient depuis leur enfance, retenant même une exclamation lorsque Nëa évoqua une mère qu'il semblait avoir en commun. Étaient-ils frère et sœur ? Pourquoi avaient-ils été séparé si longtemps ? Ces questions demeuraient sans réponse, et Alestan n'avait jamais parlé à qui que ce soit de son passé avant que la princesse et son chevalier ne le trouve au seuil de la mort, au cours de cette lointaine journée d'hiver, dix ans plus tôt. Aux côtés de Caëlis, William se risqua à en apprendre plus sur le lien qui unissait le vagabond et leur guide.

 

- Vous avez grandi ensemble ?

- Alestan est mon époux.

- QUOI ?

 

Leurs voix s'étaient unis dans l'effarement, et leurs expressions choqués se muèrent en agacement lorsque Nëa se mit à rire joyeusement.

 

- Je vous fais marché. Les rassura-t-elle. Il ne vous a rien dit ?

 

Ils se tournèrent vers le vagabond qui regardait distraitement vers l'ombre grandissante de la forteresse. Face à son silence, leur guide décida d'éclairer leur lanterne en plaçant une main contre sa joue, comme si elle leur dévoilait un secret.

 

- Ça ne m'étonne pas, il reste muet quand il s'agit de lui. D'ailleurs, il n'a pas dit un mot les six premiers mois, après que ma mère et moi l'avons trouvé. Une bête sauvage, enfin... Un petit lionceau en quête d'amour...

- Je t'entends Nëa. Protesta Alestan. Ne leur raconte pas n'importe quoi.

- Comment ça vous l'avez trouvé ? L'interrogea Caëlis, qui ne pouvait s'empêcher d'être curieuse à ce sujet.

 

Le visage gracieux de la jeune femme s'assombrit et elle leur donna l'impression de ne pas vouloir dévoiler la réponse, jusqu'à ce qu'elle croise le regard consentant du vagabond.

 

- C'était un esclave qui s'apprêtait à être vendu aux mines d'Höyük. Révéla-t-elle. Alors que nous passions près du convoi, ma mère a tué tous ces pourris de marchands pour leur voler leur butin. Tous les prisonniers ont fuit, sauf Alestan.

- Ta mère était mercenaire ? Demanda William, visiblement avide d'en savoir plus à ce sujet.

 

Caëlis avait la nette impression que son chevalier en savait plus qu'il ne le laissait penser, et elle se promit de lui tirer les vers du nez dès que l'occasion se présenterait.

 

- Mercenaire ? Répéta Nëa avec mépris. Ma mère était Elya Muramasa, fille de Meïlys d'Ademar et de l'immortel Masamune, forgeur des Sept sabres légendaires et frère d'Agata Muramasa, le fondateur du royaume de Daëdra.

 

Un silence étouffant pesa ses paroles, et Caëlis eût l'impression d'avoir été frappé en plein visage. Elle qui avait apprit les lignées de chaque dynastie d'Alesta savait que Meïlys était la soeur du père d'Arthmar, actuel souverain d'Ademar. Fils unique, ce dernier n'avait pas de descendance malgré son âge avancé, ce qui faisait de cette fille l'héritière du royaume. Il y avait également une chance, aussi infime soit-elle, qu'elle puisse prétendre au titre de princesse de Daëdra, ce qui faisait de Nëa Muramasa la descendante des deux plus grands ennemis d'Elnath. Les deux plus grands ennemis de Caëlis. Soit cette femme se trouvait par le plus grand des hasards au service d'Östen par une suite d'évènements aléatoires, soit une machination qui dépassait l'entendement était à l'oeuvre pour contrecarrer les plans de la princesse.

 

- Donc... Tu es la petite fille de Masamune. Résuma William, loin d'imaginer un complot longuement préparé.

- Nous sommes arrivé. Les coupa Alestan, dont le regard indiquait clairement la fin du sujet.

 

Ils faisaient désormais face aux imposantes portes de fer d'Holmgaard, plusieurs soldats les observant silencieusement depuis les hauteurs des remparts. Caëlis souhaitait poursuivre l'interrogatoire de Nëa, notamment pour savoir si elle se trouvait à Albieros de son plein gré, mais cette dernière poussa la princesse à revenir sur la raison de leur présence.

 

- Nous pouvons passer la nuit ici où partir immédiatement pour Dürkador.

- Je ne veux pas retarder davantage ma rencontre avec Östen. Affirma Caëlis.

 

Leur guide les invita à attendre son retour, et tandis qu'elle s'éloignait à l'intérieure de la forteresse, Alestan se décida finalement à les rassurer.

 

- Vous pouvez lui faire confiance. Nëa et sa mère ont passé leurs vies à rendre ce monde meilleur.

- Al, tu ne l'as pas vue depuis plus de dix ans.

- Caë... Intervînt William, qui pressentait les tensions à venir.

- Ne dis pas que j'ai tord Will. Si j'ai bien deviné tu l'as cherché toutes ces années, et comme par hasard tu la retrouves au milieu de nul part ? Sans compter qu'elle possède l'un des sabres de son grand-père, sabre désormais au service d'Albie...

- Tu sous-entends quelque chose ?

 

La voix d'Alestan avait brusquement refroidit l'atmosphère, mais ce n'était rien comparé à son regard. Caëlis sentit les larmes lui monter aux yeux en croisant l'expression meurtrière de ceux du vagabond, l'homme qu'elle aimait malgré tous ses efforts pour ignorer ses sentiments. La princesse ne le reconnaissait plus en cet instant, et sans William la situation aurait certainement dégénéré.

 

- A quoi vous jouez tous les deux ? Gronda-t-il en s'interposant. Vous trouvez qu'on a pas assez souffert ces derniers jours ? Caë, si Alestan fait confiance à cette fille alors je ne vois pas pourquoi on devrait douter de sa parole. Il ne s'est jamais trompé que je sache. Quand à toi Al, si tu n'enlèves pas tout de suite cette expression de ton visage je t'assure que je te grille sur le champs.

 

Les paroles du chevalier firent l'effet d'un électrochoc, comme si elles les avaient brutalement ramené à la réalité. Le stress et la souffrance de Caëlis la mettait dans un état de tension continuel, et aucun d'eux n'avait eût l'occasion de se reposer depuis l'attaque d'Ademar. Loreleï s'approcha pour poser respectueusement sa main sur le bras de William, hochant la tête pour approuver ses dires avant de leur tendre son poing, la bague en forme de tête de mort visible à son annulaire, celle qui avait appartenu à Royngär.

 

- Excuse-moi Caë, je comprends tes inquiétudes. Souffla Alestan. Qui suis-je pour te juger ?

- Un idiot. Un idiot en qui j'ai confiance.

 

Alors William retira la chaîne autour de son cou pour serrer la pièce d'or d'Abelion entre ses doigts d'écailles, posant son poing contre celui de Loreleï. Caëlis arracha l'un de ses cheveux d'églantine pour les imiter, puis leurs regards se porta sur Alestan, qui saisit la pipe en ivoire dissimulé dans sa poche pour sceller leur promesse formuler par le chevalier.

 

- Quoi qu'il arrive, veillons les uns sur les autres.

 

Nëa fit son retour accompagnée de trois chevaux à l'encolure arquée et aux jambes puissantes, pur sangs d'Albieros à la tête fière et aux grands yeux expressifs. Elle les présenta à tour de rôle, commençant par celui à la robe blanche qui se trouvait être la plus grande des montures.

 

- Voici Iyo, qui conviendra parfaitement à monsieur flamme.

 

William s'approcha de l'étalon pour lui caresser le museau tandis que Nëa introduisait à Caëlis et Loreleï leur jument, à la robe grise et luisante, pour finir par son étalon noir, dépourvu de selle et à l'allure indomptable.

 

- Lawi pour ces demoiselles, et ce gaillard se nomme Hikohononiniginomikoto.

- Hikonokoquoi ? Répéta Caëlis, incrédule.

- Hikohononiniginomikoto. Précisa Nëa. Hiko si tu préfères.

 

Alestan arborait un grand sourire en observant leurs expressions mi-amusé, mi-confuse, habitué à l'excentricité de leur séduisante guide. Après s'être familiarisé avec leurs montures, William s'installa en solitaire sur la selle d'Iyo tandis que Caëlis se tenait derrière Loreleï sur Lawi. Le vagabond s'empressa de monter le premier sur Hiko, qui se cabra dans un hennissement puissant pour le jeter à terre. Nëa éclata de rire avant de l'aider à se relever.

 

- Il a un mauvais caractère.

 

Après avoir répartit la charge de leurs provisions, Alestan se plaça derrière leur guide et ils prirent la tête de leur groupe pour se diriger vers l'Ouest d'Albieros, trottant dans un premier temps avant d'augmenter l'allure de leurs montures. Les pur sangs originaires de la steppe de Nebra Trundholm étaient les chevaux les plus rapides et les plus endurants d'Alesta, reconnaissable par leur queue au port relevé qui les dotaient d'une apparence noble et fière.  Ils chevauchèrent une grande partie de la nuit uniquement guidé par le regard aiguisé de Nëa, que Caëlis soupçonna d'être capable de voir dans l'obscurité après avoir contourné plusieurs obstacles invisible aux yeux de tous. Loreleï prouva également ses talents de cavalière, beaucoup plus à l'aise sur sa monture que William, qui donnait plus l'impression d'être guider par Iyo au lieu de l'inverse. Nëa leur accorda une halte quelques heures avant l'aube, et ils établirent leur campement au milieu des ruines d'un ancien bastion, dont seul une partie des murs d'enceintes et quelques colonnes renversées couvertes de végétation avaient résisté aux dommages du temps. Ils en profitèrent pour se restaurer et amasser quelques informations sur le roi Östen auprès de leur guide aux cheveux d'or.

 

- Cet homme est de la pire espèce. Révéla-t-elle sombrement. Tout lui est dû et son égo est démesuré. J'ai cessé de compter les fois où il m'a fait des avances.

 

Caëlis en fut grandement affectée, réalisant que l'alliance était loin d'être un succès. Lorsqu'elle révéla la proposition de la reine, une promesse d'équiper chacune de ses principales cités de la technologie d'Albieros et de leur fournir une circulation commerciale illimitée sur leur territoire, Nëa afficha un sourire ironique.

 

- Il se fiche d'un tel accord. Croyez-moi, le prix sera beaucoup plus cher à payer pour obtenir son soutient. Les biens matériels ne l'intéressent pas.

- Son royaume ne fait pourtant que produire des choses matériels. Releva William, son regard perdu dans les flammes de leur campement. Pourquoi le protéger si tu le détestes tant ?

- J'enquête.

- Tu enquêtes ? Sur quoi ? L'interrogea Caëlis, certaine de ne pas aimer la réponse.

- Elle doit savoir. Rétorqua Nëa en désignant Loreleï d'un mouvement de tête.

 

Les pommettes de la pilote se colorèrent sous leurs regards, ses yeux en amande passant sur chacun d'eux avant d'esquisser plusieurs cercles sur son cœur, levant ensuite son poing pour le faire décoler dans les airs. Alestan fut le premier à comprendre ce qu'elle voulait dire par ce geste.

 

- Le Mercure. Rappelez-vous des paroles de Roy.

- L'un des secrets les mieux gardé d'Albieros. Cita Caëlis. Le liquide qui fournit l'énergie nécessaire aux cœurs des perces nuages.

- Pas seulement. Révéla Nëa. Ce Mercure est aussi utilisé pour alimenter les cristaux de lumière et la plupart des ateliers d'Albieros. Cette substance est produite à Svarog, une cité industrielle que je soupçonne d'être liée à des disparitions de masses. Il y a une vingtaine d'années, un phénomène étrange laissait des villages fantômes, où l'on retrouvait seulement une poignée de cadavres, trop peu comparé aux habitants qui les peuplait. Les gens ont commencé à croire que ces derniers étaient visité par les âmes damnées du Royaume Souterrain, et même quand toute cette histoire prit fin, ces croyances ont persisté.

 

Caëlis avait vaguement entendu parlé de ce mythe, mais l'associer à la production de ce fameux Mercure était un peu tiré par les cheveux. Cependant l'expression de Loreleï tendait à confirmer l'hypothèse de Nëa, tout comme celle d'Alestan, qui une fois encore ne semblait pas surpris par la révélation, comme si lui aussi en était arrivé à cette conclusion.

 

- De telles accusations risque de mettre en péril notre mission. Les avertit la princesse. Contentons-nous de convaincre le roi Östen avant d'éclaircir le fond de cette affaire.

- Je ne disais pas ça pour vous impliquer. Précisa Nëa. Je préfère simplement être honnête avec vous, et vous prévenir que si je trouve la moindre preuve contre Östen, je le tuerai sans hésitation.

- Tu ne mâches pas tes mots. Constata Caëlis.

- Toi non plus.

 

Pour certaines raisons, elle avait l'impression d'être en compétition avec cette femme, dont l'assurance imposait le respect. A l'image d'Alestan, elle semblait vivre selon ses propres règles sans accepter la moindre autorités, ce qui en faisait une personne à la fois influente et dangereuse. Cette Elya devait certainement disposer d'une aura hors du commun pour avoir élevée ces deux êtres indomptables. Caëlis aurait aimé poursuivre leur discussion, mais Alestan invita Nëa à le suivre à l'écart de leur campement pour disparaître de leur vue. Les minutes s'écoulèrent longuement en leur absence, si bien que la princesse décida d'aller espionner leur conversation, aussitôt réprimander par William.

 

- Laisse-les Caë, ils doivent avoir un tas de choses à se raconter.

- Tu l'as entendu comme moi, elle est prête à assassiner notre seule chance de défendre Elnath.

- Tu serais prête à passer une alliance avec un roi qui sacrifie ses sujets au nom du progrès ?

- Je suis prête à tout pour mon peuple.

 

Sur ses mots, Caëlis se dirigea discrètement vers l'endroit où  Alestan et Nëa s'étaient isolés, à l'angle d'un mur de pierre partiellement détruit et couvert de lierres. Elle s'approcha à pas feutrés jusqu'à percevoir des murmures inaudibles, qui se changèrent en mot, puis en phrases prononcées par la voix grave du vagabond.

 

- ... Chaque recoin d'Alesta. Dire que l'entrée de Dürkador m'a été refusé alors que tu te trouvais là... Je n'ai jamais cessé de te chercher depuis qu'il t'a enlevé.

- Je savais que tu étais toujours en vie. Je le savais car il était furieux d'avoir perdu le sabre de maman.

 

Nëa donnait l'impression d'avoir pleuré, et Caëlis se sentit soudain honteuse de les épiers ainsi. Elle s'apprêta à repartir lorsque sa honte se mua en un sentiment effroyable, qui la cloua sur place lorsque Alestan s'exprima avec gravité, nouant la gorge de la princesse.

 

- Je l'ai tué Nëa... J'ai tué Elya pour avoir cette chose.

 

Il y eût un tintement métallique, puis le crissement du métal suivit d'un silence étouffant. L'atmosphère se refroidit encore plus, jusqu'à ce que le vagabond rengaine sa lame ténébreuse.

 

- Alestan... Murmura Nëa. Pourquoi avoir porté ce fardeau toutes ces années ? Ce sabre noir... Je le déteste. C'est lui le responsable de sa mort.

- Lui et cet homme. Souffla-t-il sombrement. J'imagine qu'il t'a confié Serah pour s'assurer de ton allégeance.

- Il en possède cinq désormais. Plus rien ne peut l'arrêter.

- Est-ce qu'il t'a envoyé ici ?

 

Nëa marqua une pause avant de répondre, séchant sans doute ses larmes afin de reprendre contenance.

 

- Je me suis échappée dès que j'ai su comment contrôler mon sabre. J'ai voulu me rendre chez papi Mune mais c'est sans doute le premier endroit où l'on comptait me rechercher. Alors je me suis contentée de fuir, toujours plus loin, jusqu'à arriver ici.

- Il serait tellement heureux de te savoir en bonne santé. Souffla chaleureusement Alestan. Vous avoir perdu a brisé son vieux cœur.

- Nous lui rendrons visite ensemble ! Affirma Nëa. Une fois que j'aurais éclaircit cette affaire de Mercure.

 

Il y eût de nouveau un silence au cours duquel Alestan fouilla dans sa poche pour tendre un objet.

 

- Tu l'as gardé sur toi tout ce temps ?

- Elle te revient.

- Elle adorait ce truc... " Taillée dans la dent d'un tigre ! ".

- Et si on partait ? Proposa subitement le vagabond.

 

L'estomac de Caëlis se contracta, ses craintes se trouvant désormais confirmées. Sa mère l'avait pourtant prévenue à maintes reprises, mais la princesse avait toujours refusé d'admettre que celui qu'elle aimait n'éprouvait aucune attache en ce monde. Il avait finalement trouvé celle qu'il cherchait, et rien d'autre ne comptait à ses yeux. Nëa semblait surprise par la proposition, qu'elle ne prit pas au sérieux.

 

- Partir ? Où ?

- Loin d'ici. Loin de tout. Pourquoi pas au Jardin des Gemmes ? Ou l'archipel de Tane ? Nakatsu, ou encore les Terres Extérieures ! Pars avec moi.

- Peu importe où nous allons... Il finira par nous trouver. Il finit toujours par obtenir ce qu'il veut.

- Et si je parviens à le tuer ?

 

Caëlis dû tendre l'oreille pour saisir le murmure de Nëa, qui donnait l'impression de ne pas aimer l'offre d'Alestan sans pour autant la rejeter.

 

- Tu prendras sa place... Et le nom que je t'ai donné accomplira sa volonté.

 

La princesse se posait de nombreuses questions sur l'identité de l'homme qu'ils ne cessaient d'évoquer. Ce dernier semblait être responsable de leur séparation et sur le point d'accomplir un funeste dessein. Yilda avait souvent évoqué la malédiction des Sept sabres, et des conséquences terribles s'ils venaient un jour à être réunis. Caëlis se trouvait en présence de trois d'entre eux, et celui de cette jeune femme obéissait déjà à un autre maître. Était-ce la raison qui poussait Alestan à fuir loin de tout ? Quelle était la volonté de son nom ? La voix du vagabond la tirèrent hors de ses réflexions.

 

- Je ne vois pas d'avenir. L'obscurité qui se dresse devant moi m'empêche de le voir.

- Alors je serais ta lumière. J'éclairerais ton chemin dans ces ténèbres.

 

Caëlis en avait assez entendu, et elle s'éloigna le cœur lourd, ayant l'impression de n'avoir jamais réellement connu Alestan. Peut-être aurait-elle dû écouter William et ne pas épier leur conversation, mais le devoir d'une héritière était de connaître les intentions de ceux qui l'entouraient, surtout après la récente trahison de l'un des généraux d'Elnath. Elle avait toujours confiance en son ami, mais son chagrin demeurait dans le fait qu'il ne se battait pas pour les mêmes raisons qu'elle. L'alliance, le peuple d'Elnath, la guerre, la justice et la paix. Que le monde s'épanouisse ou qu'il brûle, Alestan demeurait comme le ciel nocturne qui observait l'humanité se débattre sans se soucier du vainqueur ou du perdant.

 

" Ou alors... Il savait que s'il venait à s'impliquer dans ce combat, des choses terribles risqueraient d'en découler. " Comprit soudainement Caëlis alors qu'elle rejoignait William et Loreleï. " Et si son destin n'était pas de nous aider mais de nous détruire, alors cela expliquerait pourquoi il cherche tant à fuir. "

 

- Tu en fais une tête.

 

Son chevalier, ami de toujours, l'observait de son regard ambré, ses cheveux de braises luisant aux flammes du campement. Loreleï était pour sa part étendue, des ombres dansantes sur ses formes généreuses tandis qu'elle caressait pensivement la bague de Roy. Caëlis éprouva alors un élan de gratitude pour William, qui malgré la peine et le remord le rongeant depuis qu'il avait assassiné le père de la princesse, demeurait positif et entièrement dévoué à ses valeurs.

 

- Je suis fatiguée.

 

Caëlis s'approcha de lui pour l'inviter à s'allonger, passant son bras de reptile autour d'elle pour poser sa tête contre son torse. Elle entendait son cœur battre en rythme, une chaleur supérieure à la normale s'échappant de son corps musclé. Les doutes de la princesse s'estompèrent en même temps qu'elle trouvait le sommeil. Son chevalier de feu la protégeait après avoir lui avoir enlevé son père, et le vagabond ténébreux pouvait désormais protéger la fille de lumière après lui avoir enlevé sa mère. Le destin des sabres maudits était en marche, et nul ne pouvait prévoir ce qui les attendait.

 

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Très très bon chapitre !e

 

On en apprend pas mal de choses sur Nae :o surtout la révélation sur son origine familiale et de son statut sociale qui est très dangereux et influent. Al a tué la mère de cette dernière pour s'emparer du sabre, Icare est le cerveau derrière toute cette grande machination qui décidera du sort du monde.

 

Cae a quand même souffert sentimentalement avec l'arrivée de la dulcinée de Al, et on voit qu'elle ne connaissait pas ce dernier si bien que ça. Bref pour le moment on ne sait où l'histoire de tout ces personnages nous mènera mais il y aura du tragique à venir assurément.

 

Ah et je te l'ai pas encore dit, mais j'aime bien les métaphores que tu fais dans tes chapitres, c'est bien réfléchi et trouvé ;).

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LA PORTE DU CYGNE

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Caëlis fut réveillée en douceur par William,  le chevalier l'aidant à se redresser tandis que les premières lueurs du jours éclairaient les vieilles pierres autour leur campement. Des brides de la conversation entre Alestan et Nëa lui revinrent en mémoire, le triste passé du vagabond et son désir de fuir affectant presque aussitôt son humeur. Elle arbora un visage neutre et aimable chaque fois que ses compagnons s'adressaient à elle, et nul ne se douta que son cœur était troublé. Après avoir déjeuner rapidement et rassemblés leurs affaires, ils chevauchèrent sous des nuages gorgées de pluies toujours plus loin vers l'Ouest. Caëlis serrait les dents à chaque accélération de Lawi, l'impression d'avoir un poignard figé entre les côtes à chaque secousse malgré les efforts de Loreleï pour la ménager. Hiko, le destrier noir de Nëa et Alestan, galopait loin devant eux telle une ombre emportée par le vent, tandis que William et Iyo fermait la marche, le chevalier désormais confiant sur son étalon. Ils essuyèrent une longue averse particulièrement éprouvante, observant parfois un éclair frapper les arbres solitaires de Nebra Trundholm dans un flash aveuglant. Les naseaux de leurs montures exhalaient une vapeur chaude, leurs robes humides luisantes comme des gemmes au milieu de la steppe. L'orage passa, et après avoir torsadée sa chevelure d'églantine pour l’égoutter, Caëlis fit de même avec les longs cheveux ambrés de Loreleï, découvrant par la même occasion un tatouage de l'emblème d'Albieros sur sa nuque. Nëa ralentit sa monture pour afin qu'ils se trouvent à porté de voix, sa peau pâle donnant l'impression de diffuser un halo bienveillant, contrastant avec la silhouette sombre d'Alestan.

 

- Nous sommes à mi-chemin de Dürkador. Les informa-t-elle. J'aimerais vous montrer quelque chose qui vaut le détour si la princesse est d'accord.

- De quoi s'agit-il  ? L'interrogea Caëlis, hésitante.

- Un vestige de l'ancien Monde. Il nous faudra simplement longer les falaises de la Mer Intérieure.

 

La princesse accepta la proposition, déviant ainsi leur route vers le Sud de la région. La végétation se raréfia à mesure que l'air se chargeait d'une odeur salée, une ligne infinie séparant l'horizon lorsqu'ils arrivèrent au bord des falaises de la côte. C'est du moins ce que pensait Caëlis avant de remarquer au loin un géant de bronze à moitié immergé dans l'eau, une lyre dans les mains et une couronne de fleurs sur la tête, cette dernière dirigée fièrement vers l'Ouest. Bien qu'ils leur fut difficile d'en saisir l'ampleur, la construction était en réalité immergée au trois quart sous les eaux, le titan chevauchant un destrier désormais invisible aux yeux des voyageurs.

 

- Il s'agit d'Eolyos. Les renseigna Nëa sur un ton respectueux. Ce gardien est tout ce qu'il reste du royaume d'Argos, le pays de mes ancêtres, si on met de côté les roches stériles de l'île des Larmes.

- Qu'est-il arrivé à ce peuple  ? Demanda Caëlis dans un murmure.

 

Ce fut Alesta qui souffla la réponse, son regard fixant l'endroit où le ciel se séparait de la terre, et les trois sabreurs donnèrent à cet instant l'impression de faire face à leur propre destinée, comme s'ils entrevoyaient à la fois le passé et le futur.

 

- Au temps des guerres séculaires, après avoir perdu tous ses fils au combat, le roi Azaël d'Argos commanda à trois de ses alchimistes les plus talentueux de mettre au point une arme sans égale, capable de forcer n'importe quel ennemi à déposer les armes. Ces derniers accomplirent sa volonté et dotèrent la capitale du royaume du Cœur des Chœurs, l'alliance de l'essence des Hommes et du Monde. L'arme était si extraordinaire qu'elle soumit dès sa première utilisation les seigneurs adverses à son terrible pouvoir. La paix revenue, Azaël souhaita unir chaque peuple sous une seule bannière. La sienne. La menace du Cœur des Chœurs lui permit de réaliser son souhait, puis le roi perdit peu à peu la raison. Il se proclama dieu, anéantissant tous ceux qui s'opposait à sa tyrannie, jusqu'au jour où ce fut son propre peuple qui se rebella. Alors Azaël, le Faux-dieux, dirigea son arme vers eux. Ce que nous appelons aujourd'hui la Mer Intérieure fut autrefois le glorieux royaume d'Argos, dont il ne reste plus que des plages et son Gardien de bronze.

 

Le récit imposa un silence pesant seulement perturbé par le sifflement de la brise maritime. Tous à Alesta connaissait la légende du Faux-dieu et de l'arme d'Elaris, mais seul un quart pensait qu'il s'agissait d'une histoire vraie, et dans ce quart, une maigre poignée de privilégiés connaissait le lourd secret de la Mer Intérieure. Caëlis et Loreleï venaient d'en rejoindre les rangs, William ayant déjà entendu parlé de l’événement par la bouche de Masamune, bien qu'il n'y prêta à l'époque aucune attention. La princesse avait cependant entendu dire que les descendants des argons possédaient encore aujourd'hui des iris argentés, tout comme Nëa, dont l'avertissement noua la gorge de Caëlis.

 

- Cette tragédie est sur le point de se répéter. Tout se décidera à l'issue de la bataille à venir.

- L'alliance est notre dernier espoir. Réalisa sombrement William.

 

Ils détaillèrent une dernière fois le géant à la lyre avant de se remettre en route, effectuant la dernière partie du trajet à vive allure, prouvant l'extraordinaire endurance des purs sangs de Nebra Trundholm. Ils s'accordèrent une halte à la nuit tombée pour récupérer leurs forces, et Caëlis fut attristé de constater à quel point Alestan semblait désormais distant, prétextant de vouloir inspecter les environs afin de s'isoler une grande partie de la soirée. Nëa, qui avait noué sa chevelure à l'éclat d'or en une tresse complexe, devina son désarroi sans grande difficulté tandis que William et Loreleï préparait le dîner.

 

- Tu es amoureuse de lui. Chuchota-t-elle avec un sourire énigmatique.

 

Caëlis sursauta, jetant de rapides coups d'oeil aux alentours par peur d'être écouté. Seule sa mère, et peut-être son chevalier, avaient deviné son secret, et elle craignait par dessus tout qu'Alestan l’apprenne par la bouche d'un autre.

 

- Pas du tout. Siffla la princesse en sentant ses pommettes se colorées.

- Je ne lui ai rien dit, ne t'inquiète pas. La rassura Nëa. Mais ça se voit comme le nez au milieu de la figure.

- Nous sommes simplement amis. Contra Caëlis, agacée.

- Les «  simples  » amis n'espionnent pas les conversations.

 

Cette fois se fut ses joues qui s'embrasèrent. Ainsi leur guide savait qu'elle les avait espionné l'autre soir dans les ruines. Caëlis s'en sentit profondément embarrassée, maîtrisant au mieux sa voix pour demeurer digne.

 

- Je voulais juste m'assurer de pouvoir te faire confiance.

 

Nëa sembla se retenir de rire, sans pour autant se moquer d'elle. Contrairement à la princesse, qui la considérait comme une rivale, celle qu'elle surnommait la fille de lumière ne donnait pas l'impression d'être en compétition. Son expression demeurait indéchiffrable, mélange de douceur et de compassion qui pouvait se changer à tout instant en fureur impitoyable.

 

- Tu ne peux pas. Lui avoua-t-elle. Et tu ne le dois pas. Tout comme tu ne dois pas continuer de souffrir en espérant gagner un jour le cœur de mon homme.

 

Les mots de Nëa coupèrent le souffle de Caëlis, aussi douloureux qu'un coup de poing et humiliant qu'une gifle. Qui était-elle pour lui dicter ainsi sa façon de gérer ses sentiments  ? Ignorait-elle qu'elle avait affaire à l'héritière du trône d'Elnath  ? Mais le plus blessant fut de l'entendre dire «  mon homme  », confirmant ainsi les crainte de la princesse.

 

- J'ignorais que vous étiez ensemble.

- Nous ne le sommes pas. La contredit Nëa.

- Tu l'as appelé mon...

- Car il est à moi. L'interrompit-elle. Je lui ai donné un nom. Je suis la première à l'avoir fait parlé. Il fut mon premier baiser, et je fus le sien. Je doute qu'il ait attendu de m'avoir retrouvé pour passer à l'acte mais il sera ma première fois. Il est le seul que j'ai jamais aimé, et le seul à même de me tuer.

 

L'enchaînement des paroles, aussi violent qu'un combat à main nue, laissa Caëlis livide. Cette fille était mentalement instable. Dangereuse même. Elle se demanda si Alestan le savait également, d'où la raison de son soudain renfermement. Au cours de son discours, Nëa la fixait sans la voir, ses yeux gris hallucinée, comme couverts d'un voile. Caëlis ne se démonta pas pour autant, n'éprouvant aucune crainte à l'égard de la jeune femme.

 

- Si tu le connais si bien tu devrais savoir qu'il n'appartient à personne.

 

Le visage habituellement séduisant de Nëa se transforma l'espace d'une seconde en expression effrayante, avant qu'elle ne reprenne contenance. La princesse réalisa que son apparence innocente cachait une toute autre personnalités, ce qui semblait être le cas pour chacun des Sept sabreurs. Quelque chose les dévorait à l'intérieur, révélant sous l'émotion leurs instincts les plus primaire. Nëa arborait de nouveau son sourire paisible, sans pour autant parvenir à éteindre la flamme glaciale de son regard.

 

- Tu ne te laisses pas démonter facilement. La complimenta-t-elle. Il est rare que je considère une femme comme mon égale. Peut-être arriveras-tu à le séduire un jour... Du moins qu'une moitié de lui. Mon grand père a bridé l'autre pour ralentir le processus.

- Quel processus ? Répéta Caëlis en se renfrognant.

- Tu le sais au fond de toi.

 

Sans plus d'explication, Nëa se redressa pour s'éloigner du camp, sans doute à la recherche d'Alestan. Caëlis n'avait aucune idée de ce qu'elle avait voulu dire, mais son esprit était désormais embrouillé et elle préféra rejoindre Loreleï et William, ce dernier affichant une expression soucieuse en la voyant arriver.

 

- Tu n'as pas l'air dans ton assiette. Lui fit-il remarquer.

- Je sais pas si le monde est fou où si c'est moi qui devient folle...

 

Son chevalier frotta sa mâchoire carrée en l'observant, ses yeux d'ambres brillant avec intensité. Tout en William respirait la force et l'honnêteté, de sa musculature impressionnante à son cou puissant, les traits doux de son visage et ses cheveux au charbon couvert de braises, sa voix grave et apaisante, qui avait le don d'alléger son cœur.

 

- Le fou n'a pas conscience de sa folie, et ce n'est pas ton cas. La rassura-t-il. Je sais que ces deux-là t'inquiète, et bien que je ne peux pas en être certain pour Nëa, je suis sûr qu'Alestan sait ce qu'il fait. Ses retrouvailles l'ont peut-être un peu secouées mais je pense qu'il s'était déjà préparé à cette possibilité avant notre départ. Je ne sais pas si c'est une bonne ou une mauvaise chose, mais je connais personne de plus calculateur que lui. Donc même si nous filons droit vers un piège ou une impasse, il doit avoir en réserve une douzaine de solutions pour nous en sortir.

 

Caëlis demeura silencieuse, se blottissant contre son chevalier pour le remercier d'avoir tenté de lui remonter le moral. Bien que le printemps s'écoulait à une vitesse affolante, il était comme un feu chaleureux dans l'hiver rude d'Alesta. La princesse souhaitait tout de même vérifier ce que Nëa entendait par " Processus. "

 

- Dis moi Will, qu'est-ce qui ce serait passée si tu n'avais pas appris à contrôler Berham ?

 

Il ne répondit pas tout de suite, l'invitant tout d'abord à relâcher son étreinte pour ensuite poser sa main écaillée sur son sabre, comme si l'évocation de son nom venait de le réveiller.

 

-  Je crois... Je pense que tu n'aurais jamais eût l'occasion de me poser cette question.

- Pourquoi ?

- Si cette lame m'avait possédé, Abal ö Bhel et Nera ne serait aujourd'hui plus qu'une plaine de cendre.

 

Les traits de Caëlis s'affaissèrent, et elle lutta pour demeurer impassible face à William. Si les flammes brûlaient, elle se demanda ce que pouvaient faire les ténèbres d'Alestan si elles n'étaient pas contrôlées. Ce dernier fit son apparition avec Nëa après que Loreleï leur fasse signe que le dîner était prêt, puis ils se reposèrent quelques heures avant de partir dans l'heure précédent l'aube. Ils chevauchèrent jusqu'à la fin de la matinée, regagnant la route du Nord pour apercevoir dans une éclaircie les contours étincelants de Dürkador, la cité aux dômes d'argent et aux multiples ports garnies de perce-nuages, berceau de la technologie la plus avancée d'Alesta. D'apparence froide et menaçante, d'innombrables tours étaient reliées par un pan de mur, la base arborant un revêtement d'acier pour former l'enceinte de la ville, mais ce qui attira l’œil des cinq compagnons fut la gigantesque porte qui les accueillirent. Deux blocs de métal forgé et décorés de gravures étaient encadrés par une arche de pierre s'élevant à plusieurs dizaines de mètres. Son sommet abritait la sculpture titanesque d'un oiseau au long cou tendu, les ailes écartés à leur paroxysme dans une figure invitant à la fois les amis à entrer et les ennemis à rebrousser chemin.

 

- La Porte du Cygne. Leur présenta Nëa.

 

Elle guida Hiko pour s'approcher des gardes, en armure étincelante et armés de la dernière invention des ingénieurs d'Albieros, surnommée crachflam par ses utilisateurs. Après avoir échangé quelques mots, l'un des soldats siffla deux fois, immédiatement suivit par un grondement assourdissant lorsque les gonds de la porte s'actionnèrent pour leur ouvrir le passage. William se mit au niveau de Loreleï et Caëlis pour rejoindre Nëa et Alestan, chuchotant à l'adresse de la princesse.

 

- Espérons que le roi soit plus hospitalier que sa ville.

 

 

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Bon chapitre !

 

Encore une fois on découvre de nouvelles contrées décrite d'une main de maître qui laisse rêveur et de plus l'histoire sur le faux dieux donne plus de richesse à l'oeuvre.

 

Quand à Nea et Caelis la rivalité entre les deux s'accentue et s'envenime. Après je comprends les arguments de Nae face à celle de Cae, mais seul Al décidera qui gagnera son coeur, enfin si il accepte d'ouvrir son coeur et ne meurt pas avant.

 

Bref j'attends la suite, et de découvrir ce fameux Roi.

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DIÔM DOREA

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L'atmosphère dans l'enceinte de la capitale d'Albieros contrastait radicalement avec celles sauvages et reculées des vastes steppes Nordique. Caëlis n'avait jamais contemplé une cité aussi propre et ordonnée, et ce malgré le va et bien continuel d'une population dense et visiblement fort occupée. La voie terreuse de la route du Nord avait laissé place à des rues et des avenues en marbre, plus pratique, plus propre, mais surtout beaucoup plus onéreuses à mettre en place que les pavés ancestraux de Nera. Ces longues allées rectilignes étaient bordées de lampadaires à cristaux, luminaires bleutées inventées au sein même de Dürkador, et désormais de plus en plus exporté dans les différents royaumes d'Alesta. Les cinq compagnons furent rapidement escortés par tout autant de soldats en armure brillante, Nëa en tête, se frayant un passage au milieu des convois et de la marée humaine qui envahissait les rues en ce début d'après-midi. Tout comme William, Caëlis détaillait avec curiosité les multiples dômes couvrant la majorité des bâtiments, aussi bien ceux appartenant au commerce et l'administration de la ville que les demeures des habitants. Ils remarquèrent qu'aucun édifice était d'apparence ancienne ou même détériorée, si bien que la princesse se demanda si Dürkador avait été détruite dans un incendie puis reconstruite récemment. Seule la Porte du Cygne qu'ils avaient passé plus tôt semblait dater de plusieurs siècles, et l'absence de monuments et d’œuvres d'arts laissa à Caëlis une étrange sensation. Une cité sans art était à son sens une cité sans âme. Le quadrillage mathématique des infrastructures et la présence militaire autour de chaque quartier avait poussé William à trouver le lieu inhospitalier, et Caëlis ne pouvait que rejoindre son avis. Cependant elle préféra demeurer objective et cessa de comparer Dürkador à la capitale des Elnaë, qui était de loin plus accueillante. Aucune parole ne fut échangée tandis qu'ils se laissaient guider vers le cœur de la ville, chacun se forgeant sa propre opinion alors qu'une flotte impressionnante de Perce-nuages décollaient dans le ciel couvert et parsemée de rayons solaires. Loreleï c'était légèrement raidis tandis qu'elle guidait Lawi, s'étant imaginée quelques jours plus tôt revenir dans sa ville natale en compagnie de Royngär, qui reposait désormais près de son vaisseau dans la forêt d'Orcynie. Ils ne seraient jamais parvenu à destination sans l'exploit qu'il avait accomplit au prix de sa vie, et Caëlis se jura de lui ériger une tombe digne de ce nom à la fin de la guerre. Elle récompenserait également Loreleï pour son aide inestimable, tout comme William et Alestan, ce dernier désormais endormi  et à deux doigts de chuter de sa monture, son équilibre précaire maintenue par sa joue collée contre le dos de Nëa. Chacun d'eux avait accompli sa mission avec succès,et tout reposait désormais sur Caëlis et sa capacité à convaincre le roi Östen de rejoindre sa cause. Leur guide à la chevelure d'or se retourna, réveillant Alestan qui manqua de tomber pour s'adresser à la princesse.

 

- Le roi a été prévenu de notre arrivé. Il nous attend au Diôm Dorea.

 

Les habitations s'espacèrent pour laisser place à une vaste étendue de jardins et de fontaines monumentales. Des allées richement décorées menaient à des édifices de plaisances couverts de dorures et rehausser de pierres précieuses, un lac artificiel bordée par des pâturages et même une petite forêt, le tout entouré d'une grande clôture qui renfermait une collection impressionnante d'animaux domestiques et sauvages. Il s'agissait d'une ville à l'intérieure de la ville, une zone privilégiée et dédiée à tout ce que le royaume possédait de plus noble et précieux. Au centre de cette vision féerique se trouvait le Diôm Dorea, le dôme dorée et ses douze tours aux coupoles d'argents. Le palais de la dynastie d'Halfaël, premier roi d'Albieros. Des écuyers s'empressèrent de les rejoindre pour guider leur trois montures jusqu'aux écuries royales, là où Nëa avait trouvé son jeune étalon noir, qu'elle avait rebaptisé Hikohononiniginomikoto, au plus grand regret du maître de l'haras.

 

- Merci pour tout. Maintenant va mon beau. Avait-elle susurré à sa monture en posant affectueusement une main sur son museau.

- Au moins les habitants savent où passe l'argent de leurs taxes. Commenta William en contemplant la richesse des lieux avec admiration.

- Dîtes... Vous trouvez pas qu'on fait tache ?

 

Alestan examinait sa tenue délavée et usée par leur périple, provoquant un effet similaire chez ses compagnons. Ils ressemblaient à une bande de bandits sans le sou, le visage crasseux et arborant des blessures digne de vétérans. Caëlis ne s'était pas lavée depuis plusieurs jours, ses cheveux d'églantines gras et emmêlées retombant tristement sur une veste en laine achetée en toute hâte à Orcyn, dissimulant son corset rafistolé grossièrement. Engager des négociations dans un tel état aurait épouvanté sa mère, et cette pensée lui rappela avec un pincement au cœur à quel point cette dernière lui manquait. Nëa resplendissait comme à son habitude, ses grands yeux gris détaillant chacun d'eux avant de s'arrêter sur Alestan, ce qui lui étira les lèvres.

 

- Tu es le seul à faire tache.

- Je pourrais très bien... Bouge pas ! L'avertit subitement le vagabond. Il y a une guêpe sur tes cheveux.

 

A la surprise de tous Nëa poussa un cri haut perché en gesticulant les bras autour d'elle, chassant un insecte invisible avant de capituler pour se réfugier derrière Alestan.

 

- Enlève-là ! Enlève-là !

 

Il se contenta de rire avant de lui avouer qu'il ne s'agissait que d'une plaisanterie, poussant la jeune femme à rougir d'embarras. Tous avaient esquisser un sourire en découvrant cette peur pour le moins étrange, surtout venant d'une guerrière aussi fière que talentueuse.

 

- Tu n'es pas drôle. Se vexa-t-elle.

- Dis-moi Nëa, tu possèdes une maison dans le coin ? Lui demanda Caëlis. Je donnerais tout pour un bain là maintenant.

 

Loreleï acquiesça à côté d'elle, bouchant son petit nez retroussé pour battre l'air devant elle. Nëa s'apprêta à leur répondre lorsqu'une élégante silhouette fit son apparition sur la voie qui menait au palais, une jeune femme vêtu d'une épaisse tunique de soie aux plis complexes, ses cheveux de jais lisses et coupés au carré.

 

- Désolé les filles mais vous allez devoir attendre encore un peu pour le bain.

 

Leur guide salua respectueusement la nouvelle arrivante, dont la beauté naturelle comportait cependant plusieurs détails qui laissèrent Caëlis perplexe. Peut-être s'agissait-il de ses sourcils un peu trop prononcé, ou même sa mâchoire, ce qui ne gâchait cependant rien à son charme.

 

- Bienvenue à Dürkador, je suis enchanté de vous voir sain et sauf. Leur dit-elle timidement d'une voix fluette.

 

Elle les détailla de ses yeux verts à tour de rôle avant de s'incliner légèrement devant Caëlis, puis congédia leur escorte pour se retrouver seule avec eux. La princesse présenta William et Alestan, celui-ci se permettant une remarque comme à son habitude.

 

- Me voilà rassuré. Je me demandais si votre royaume cachait ses plus belles femmes aux yeux des visiteurs.

 

Le regard que lui jeta alors Nëa confirma les doutes grandissants de Caëlis, qui passa une main sur son visage contrit lorsque leur hôte dévoila son identité, sans pour autant être offensé par les paroles du vagabond.

 

- Je suis Aïda d'Albieros pour vous servir. Frère et conseiller du Seigneur Östen. Veuillez me suivre s'il vous plaît.

 

La princesse avait déjà vu des hommes aux traits de femme, mais celui-ci disposait d'une féminité troublante, aussi bien dans sa posture que sa façon de s'exprimer. Tandis qu'Alestan demeurait sous le choc la bouche grande ouverte, le frère du roi s'approcha de Loreleï pour l'enlacer avec affection, détaillant ensuite la bague en forme de tête de mort de Royngär.

 

- Ainsi nous avons perdu notre meilleur pilote. Regretta-t-il avant de se tourner vers eux. Je vous en prie, racontez-moi tout.

 

Tandis qu'ils se rendaient vers l'immense coupole dorée et les tours du Diôm Dorea, Caëlis conta l'ensemble de leur périple depuis leur départ au mont salamandre jusqu'à la rencontre de Nëa. Elle insista sur le courage et l'héroïsme dont Roy et Loreleï avaient fait preuve pour les sauver, faisant même briller des larmes aux coins des yeux d'outremer de cette dernière lors du passage sur la découverte du corps sans vie du capitaine.

 

- Il souriait. Rapporta William, son regard ambré perdu dans l'éclat du dôme à ce souvenir. Jusqu'à la fin il a gardé le sourire. Nous serions tous mort sans sa bravoure.

- Mourir à bord de son navire est le plus grand honneur des pilotes de Vaëgar. Expliqua Aïda avec douceur. Malgré tout, ce fait n'allège en rien la  tristesse de mon coeur. Roy était mon cousin.

 

Ils étaient déjà au courant des liens qui unissaient le capitaine de l'Hansa à la famille royale, et bien qu'elle se détesta pour avoir une telle pensée, Caëlis espérait que la perte de Royngär pousserait le roi à accepter l'alliance, au moins par vengeance.

 

- Les actes du roi Arthmar sont impardonnables. Gronda Aïda. Si cela n'en tenait qu'à moi...

 

Le frère du roi s'interrompit et son visage se rembrunit, comme s'il en avait trop dit. Caëlis nota ce changement de comportement dans un coin de sa mémoire, décidée à user de chaque argument en sa possession pour sceller une alliance avec ce royaume.

 

- La décision appartiendra à notre seigneur. Termina-t-il après avoir reprit contenance.

 

La princesse ne fut pas la seule à  remarquer le changement de comportement des Albiens à chaque fois qu'ils évoquaient leur roi. Alestan, désormais remit du choc lié à la découverte du sexe d'Aïda, semblait réfléchir intensément. Son regard perçant de vert et d'argent croisa celui de Caëlis, et bien qu'ils étaient distants depuis l'apparition de Nëa la princesse comprit l'avertissement. Östen pouvait très bien avoir rejoint le camp de l'ennemi, et toute cette expédition n'aurait été au final qu'un piège. De plus, Nëa enquêtait sur le souverain pour l'affaire du Mercure, et selon ses découvertes elle pouvait à tout moment mettre fin à l'alliance en assassinant le roi. Cette dernière semblait pourtant bien s'entendre avec Aïda, donnant même l'impression d'une certaine complicité. Elle était après tout membre de la garde personnelle de la famille royale, en plus d'avoir en sa possession l'un des Sept sabres légendaires. Après avoir traversé les jardins fantastiques du palais, la compagnie faisait désormais face aux portes du Diôm Dorea, remarquant par la même occasion que chacune de ses douze tours étaient reliées par un grand couloir ouvert au bâtiment principale. L'entrée était gardé par des sentinelles à la longue cape noire, identique à celle de Nëa, et toute sans exception se trouvait être des femmes. Leur guide fut accueillit chaleureusement par ses dernières, qui la regardait et s'exprimait avec une admiration palpable. Aïda les inventa ensuite à pénétrer dans le hall du palais, un chef d’œuvre architectural avec son escalier de marbre qui permettait d'accéder aux douze étages de l'édifice, ses épaisses colonnes ornées de feuilles d'or, ainsi que des fresques et des mosaïques murales, représentant des scènes de l'histoire d'Albieros ou encore des trompes l’œil saisissant. Après leur avoir laissé le temps d’apprécier la beauté des lieux, Aïda les mena directement à la salle du trône, à l'intérieur même de la coupole dorée. Nëa leur décrivait le plan du Diôm Dorea sur le trajet, indiquant par la même occasion que ses appartements se trouvaient dans l'une des tours extérieures, celle des Gémeaux.

 

- Elles représentent les signes du zodiaque. Précisa Aïda tandis qu'ils atteignaient le sommet du palais. Les douze étoiles du Cygne.

 

Passés la dernière marche de l'escalier en colimaçon, les compagnons se trouvèrent face à une porte ronde, un disque d'or pur qui pivota pour les laisser entrer dans la salle principale de l'édifice. Caëlis dû admettre que la vision dépassait tout ce qu'elle avait pu admirer jusqu'ici. L'endroit était aussi vaste que le dôme lui-même, et pivotait continuellement grâce à la force hydraulique, telle une galaxie miniature. Outre la richesse démesurée de la salle, le plafond était constitué de tablettes d'ivoires percée de trous pour répandre des pétales de fleurs et des parfums selon les désirs du roi. Des fontaines rafraichissaient l'endroit tout en diffusant des reflets lumineux sur les parois de la voûte, tandis que des femmes nues se baignaient dans ces dernières, ayant pour seule vocation de divertir leur seigneur, qui avait délaissé son trône garni de pierres précieuses pour déjeuner sur une table en bois massif, entouré de ses servantes. Aïda leur fit signe de patienter, se dirigeant vers son frère pour annoncer leurs invités. Östen lâcha sa cuisse de volaille pour jeter un rapide coup d’œil dans leur direction, claquant des doigts pour faire apparaître deux jeunes femmes qui s'empressèrent de nettoyer sa bouche et ses mains à l'aide de serviettes parfumées. Caëlis en éprouva un profond dégoût, bien que le souverain était loin d'être repoussant avec ses cheveux sombres coupés court sur son visage fier, aux traits aussi fins que ceux de son frère. Sa peau était cireuse et ses yeux bleus les observaient avec une expression naturellement hautaine, une épaisse fourrure sur sa tunique blanche brodée de fils d'or.

 

- Prosternez-vous devant le souverain du Nord. Énonça alors Aïda en s’exécutant lui-même.

 

Caëlis crût d'abord à une plaisanterie avant de voir Nëa et Loreleï imiter le frère du roi. En tant que princesse d'Elnath, se rabaisser ainsi devant un autre souverain blessa sa fierté au plus haut point, mais elle devait tout faire pour s'accorder les faveurs d'Östen. Elle plia brièvement le genou, ordonnant d'un regard à William de faire de même, avant de se redresser avec un sourire de courtoisie. Seulement l'expression du roi d'Albieros lui indiqua qu'une terrible erreur venait d'être commise en la personne d'Alestan, qui n'avait pas bougé d'un cil. Aïda jeta un regard inquiet vers son frère, qui étira le coin de ses lèvres avec délectation.

 

- Serais-tu sourd ? Lança-t-il au vagabond. Ou bien simplement faible d'esprit ?

- Oh ? Vous étiez sérieux ? S'étonna Alestan en passant la main dans ses cheveux en bataille. On a fait tout ce chemin pour rencontrer un couillon arrogant ?

 

Ses paroles furent suivi par un silence de mort, et tous ceux présent dans la salle avaient désormais les yeux rivés sur cet inconnu irrespectueux, assez fou pour s'opposer à leur roi.

 

- Faible d'esprit donc. En conclu Östen. Je suis de bonne humeur aujourd'hui donc je vais te laisser une nouvelle chance. Prosterne-toi.

 

Le vagabond demeura immobile, défiant le souverain du regard. Bien qu'elle ne pouvait pas forcer Alestan à obéir, Caëlis pria pour qu'il cesse d'agir comme un enfant pour se plier à la volonté du roi. Östen esquissa un début de geste pour donner un ordre aux sentinelles qui se dissimulaient dans l'ombre, lorsque Nëa se retourna pour frapper violemment son ami d'enfance à l'estomac, attrapant ses cheveux pour le cueillir par un coup de genou et finir par un coup de poing qui l'étala sur le sol. Alestan se releva difficilement, laissant une flaque de sang sur les dalles de marbre.

 

- Nëa emmène-le. Ordonna doucereusement le roi. Tu sais ce qu'il te reste à faire.

- Oui seigneur. Accepta-t-elle sombrement.

- Attendez ! Protesta Caëlis. Pardonnez-le, son allégeance ne va à aucun royaume. Il n'a pas de maître.

- Parfait. Se réjouit Östen. J'ai crû un instant que ce déchet était à votre service. Vous ne voyez donc pas d'inconvénient à ce qu'il soit exécuté.

 

Avant que Caëlis n'ait pu s'opposer à cette décision Nëa lui jeta un regard appuyé en saisissant Alestan par le col de sa cape, et le clin d’œil que lui fit le vagabond desserra le nœud qui étranglait le cœur de la princesse. Ces deux-là avaient un plan.

 

- Vous me débarrassez d'un poids roi Östen. Le remercia humblement Caëlis.

- J'ai l’œil pour ce genre de chose. Se félicita-t-il. Si je peux vous donnez un conseil princesse, les mercenaires de ce genre finisse toujours par se retourner contre vous. Il faut savoir donner des coups pour que la main qui nourrit ne se fasse pas mordre.

 

Ce genre d'absurdité révulsait Caëlis, mais elle se garda bien de le contredire, surtout après l'échec des présentations, qui avait considérablement refroidit l'atmosphère. Nëa mena donc Alestan hors de la salle du trône, et Aïda invita la princesse à rejoindre le roi à sa table. William tira l'une des chaises pour s'installer auprès d'elle lorsque Östen éclata brusquement de rire.

 

- Vous ne comptez pas sérieusement vous joindre à nous ? Lança-t-il au chevalier avec mépris. Ceci est une table royale. Seriez-vous prince ?

 

William l'aurait sans doute calciné sur place si Caëlis n'avait pas été là. Il s'inclina devant le roi d'Albieros avant de se pencher vers l'oreille de sa princesse.

 

- Je serais derrière la porte. Siffle pour que j'intervienne.

 

Il se dirigea vers la sortie, suivit par Loreleï qui se stoppa à l'ordre de son seigneur.

 

- Reste ici et rejoins les autres dans les bains... Tu fais peine à voir.

 

Caëlis se mordit la langue pour s'empêcher de protester, à deux doigts de siffler pour que William rebrousse chemin afin de punir l'ignoble souverain. Loreleï hésitait, terriblement gênée par la demande, jetant un regard désespéré vers Aïda et la princesse.

 

- Déshabille-toi. Insista Östen.

 

Les larmes aux yeux, la pilote ôta sa veste et son corsage fébrilement, avant faire glisser ses collants afin de se retrouver en sous-vêtement sous le regard intense du roi, dont la lèvre inférieure trembla légèrement lorsque Loreleï se retrouva nue devant eux, ses mains cachant instinctivement ses parties intimes.

 

- Tourne-toi.

 

Caëlis serra les poings, une rage aveugle faisant bouillir son sang tandis que son amie s'exposait ainsi aux yeux de tous, sa peau de pêche encore marquée par leur bataille dans le ciel d'Ademar. De toutes les personnes que la princesse connaissait, Loreleï était la dernière à mériter un tel traitement, elle qui était si douce et réservée, encore fragile après avoir perdu l'homme qu'elle avait suivit toute sa vie. Lassé de sa contemplation, Östen la chassa d'un geste de la main pour ensuite demander à son frère de lui faire un rapport sur la mission de l'Hansa. Aïda répéta tous ce que Caëlis lui avait raconté tandis que des servantes leur apportèrent du vin et des plats raffinés, qu'elle refusa de toucher. A l'annonce de la mort de Royngär, le roi fit son premier commentaire, qui offensa la princesse comme si ce dernier lui avait craché au visage.

 

- Une tare en moins dans la famille, pas vrai Aïda ?

 

Ce dernier baissa honteusement les yeux, préférant poursuivre son récit plutôt que répondre à cette attaque directe. Caëlis devina que l'apparence du jeune frère provoquait le dédain d'Östen, et l'avertissement de Nëa se trouva désormais confirmer. Un homme de la pire espère, à l'égo démesuré. Si ce n'était pas pour le salut de son peuple, la princesse aurait préféré mourir plutôt que demander l'aide d'un tel individu. Une fois le rapport d'Aïda terminé, le roi s'étira pour enfin s'adresser directement à Caëlis.

 

- Voilà ce qui explique votre apparence si peu... Si peu appropriée.

- Les gens d'Elnath ne jugent pas sur les apparences mais sur les actes. Le renseigna-t-elle calmement en arborant son plus beau sourire. Chez nous le courage est la plus grande des richesses, et le respect sa plus belle parrure.

- Je comprend désormais pourquoi votre royaume à besoin d'aide. Plaisanta Östen en claquant des doigts, une servante le rejoignant aussitôt pour éponger son visage blafard. J'avoue avoir été surpris en recevant cette lettre de la reine Yilda. Une alliance entre l'Elnath et Albieros serait une première dans l'histoire d'Alesta.

- Etant donné la nature de nos ennemis, il me parait censé qu'une fois mon peuple vaincu les deux gagnants se tourneront naturellement vers vous. La technologie de votre royaume est un pouvoir inestimable pour une nation conquérante. Et votre tendance au secret à le don d'exaspérer les autres souverains. Ajouta-t-elle sur le ton de la plaisanterie.

 

Caëlis se sentait souillée de négocier avec une telle ordure, certain que sa mère ignorait tout de la personnalité du roi. Arthmar et Seimu, bien qu'étant des hommes avides de pouvoir demeurait des souverains respectueux et aimé de leur peuple. Östen était loin de posséder la première qualité et elle doutait que les Albiens appréciait leur roi, ce qui expliquait peut-être la présence accrue de soldats dans la cité. L'homme réfléchissait à l'argument de Caëlis tout en buvant son vin, visiblement intrigué par la prestance dont faisait preuve la princesse.

 

- Imaginons que nous formons une alliance et parvenons à vaincre Ademar et Daëdra. Quelle serait ma récompense ?

 

Ainsi il souhaitait en venir directement au but. D'un côté, cela permettait à Caëlis de passer les préliminaires pour convaincre directement son adversaire. Elle exposa donc l'offre de sa mère, l'ouverture d'une voie commerciale sans restriction sur le territoire d'Elnath et la promesse d'équiper chacune de ses cités de la technologie d'Albieros. Une offre sur trois générations, garantissant l'économie du royaume d'Östen sur le long terme. Ce dernier écouta avec intérêt, d'abord sérieux et concentré avant de se mettre à sourire, pour finir par glousser à la fin de l'offre.

 

- Ma chère princesse... Commença-t-il. Vous avez traversé mon pays et ma cité pour arrivé dans ce palais. Avez-vous constaté la moindre trace de pauvreté ?

 

En effet Caëlis avait remarqué que la misère semblait absente de Dürkador, mais cela pouvait être expliqué par le fait que la monarchie cherchait à cacher cet aspect de la ville. Elle ne s'avoua cependant pas vaincu par un argument aussi peu fiable.

 

- Nul ne peut prévoir ce que réserve l'avenir. Le contra-t-elle. L'histoire est parsemée de période de crises et de famines, et chacun des royaumes frappés par de tels maux s'en trouva terriblement affecté. Sans compter les guerres, qui comme je l'ai appris à mes dépends, peuvent mettre en péril l'existence même d'une monarchie. Ne seriez-vous pas alors heureux de savoir qu'un allié puisse venir à votre secours dans ces temps difficiles ? Elnath vous sera redevable si vous nous accordez une aide militaire dans ce conflit. Et nous ne rompons jamais nos promesses, comme peut en témoigner notre passé.

- Vous parlez avec sagesse. Constata Östen, l'expression indéchiffrable. Mais permettez-moi de vous assurer que la monarchie d'Albieros ne manquera jamais de richesses, et que le monde se trouvera bientôt dépendant de nos inventions, garantissant ainsi la pérennité de la lignée d'Halfaël.

- Vous semblez sûr de vous. Remarqua Caëlis, sans pour autant être impressionnée. Il existe en ce monde des forces qu'aucune technologie n'est en mesure de stopper. Des armées entières seraient incapable de les contenir.

- Il est facile de deviner à ces mots que vous disposez également de l'un d'eux.

 

Le roi avait mis le doigt sur un sujet sensible, plus proche du mythe que de la réalité, et pourtant intimement lié à l'histoire des cinq royaumes. Les Sept apparaissaient puis disparaissaient d'Alesta depuis plus d'un millénaire, entraînant toujours de grands bouleversements dans leur sillage. Caëlis était parfaitement consciente qu'avoir été en présence de trois d'entre eux indiquait l'approche d'un évènement de grand ampleur. Le royaume n'avait jamais connu autant de crises depuis la découverte d'Alestan, et la légende qui voulait que la réunion des Sept provoquerait la fin de leur monde ne s'en trouvait que confirmée.

 

- Vous devez être au courant dans ce cas. Confirma Caëlis. Tout porte à croire que le déséquilibre actuel est lié aux créations de Masamune. Si plusieurs se sont alliés, je doute qu'il existe un royaume capable de les arrêter. Le fait qu'Ademar et Daëdra, deux ennemis au temps de Koreï et d'Orvendil, coopèrent aujourd'hui découle selon nos sources d'une manipulation extérieure. J'ajouterais que vous n'êtes pas sans savoir que Masamune envoi à chaque souverain entrant dans ses fonctions une lettre, expliquant le danger que représente ses créations pour Alesta.

 

Pour toute réponse Östen se contenta d'un rire exagéré, comme si la princesse venait de lui raconter une plaisanterie particulièrement amusante.

 

- Vous accordez du crédit aux paroles de ce vieux fou ? Se moqua-t-il. Cet imposteur qui s'attribut les mérites d'une science ancestrale. Science dérobée à Halfaël d'Albieros, dont ma lignée est la seule et légitime titulaire. Ces Sept sabres ne sont que des expériences ratées... Prometeuses certes, mais néanmoins ratées.

 

Caëlis en resta bouche bée, ne sachant si le roi pensait sérieusement ce qu'il disait ou s'il cherchait simplement à la faire douter d'elle. Il disposait pourtant à son service d'une femme capable de se changer en lumière, qui pouvait par simple caprice éliminer l'ensemble du palais pour l'assassiner sans qu'il ne s'en rende compte. Etait-il aveuglé par son aisance et son pouvoir au point d'ignorer un tel fait ? Ou bien savait-il quelque chose qu'elle ignorait ? Östen sembla se lasser des négociations, et n'accordait de toute façon aucune considération aux paroles de Caëlis.

 

- Nos centres de recherches développent en ce moment même des armes qui pourraient abattre ses sabreurs d'une seule balle. Vous en avez certainement vu à votre arrivé ici. Ces crachflams sont le futur de la guerre, grâce à eux n'importe quel idiot pourra abattre le plus puissant des guerriers sans effort. Vous me voyez donc navré princesse, mais seule une chose me ferait accepter l'alliance entre nos deux royaumes.

 

Caëlis doutait que ces fameuses armes pouvaient ne serait-ce que ralentir William, qu'elle avait déjà vu revenir de batailles avec des blessures fatales pour le commun des mortels. Cependant, alors qu'elle se trouvait à court d'arguments, le roi venait de raviver ses espoirs avec ses derniers mots.

 

- Que proposez-vous ?

- Épousez-moi. Répondit Östen avec un grand sourire. Devenez ma femme et je sauverais votre peuple.

 

La princesse se raidit, et son cœur lui donna l'impression de cesser de battre. Il s'agissait de la seule chose qu'elle ne pouvait pas accepter. Caëlis en avait des sueurs froides, surtout après le traitement que cet homme avait fait subir à Loreleï et ses compagnons.

- Alors ? Insista-t-il. Je ne demande rien de plus. Gardez votre or et laissez vos paysans gratter la boue dans leur campagne profonde. Vous voulez leur éviter la guerre ? Marrions-nous.

- Je...

 

" Je te tuerais dans ton sommeil si tu deviens mon mari enflure. " Pensa désespérément Caëlis, incapable de réfléchir à une telle proposition. Mais devait-elle refuser une telle offre ? Laisser son peuple souffrir à cause de son égoïsme ? Si seulement sa mère était avec elle, elle saurait quoi répondre. Elle hésita à siffler pour que William débarque, que son puissant chevalier au grand cœur la prenne dans ses bras pour fuir de ce palais indécent.

 

- J'ai...

 

" J'ai le sang d'un tueur de dragon dans les veines pauvre type. Ta lignée a peut-être inventé des bateaux volants mais la mienne a éradiqué les derniers monstres de ce monde. Tu ne crois pas à la magie hein ? Attends de voir les squelettes entreposés dans les sous-sols d'Abal ö Bhel et tu te mettras à genoux pour remercier mon peuple d'avoir préserver le tient de cauchemars vivant. "

 

Épouser un tel homme rabaisserait la lignée de Maponos dans l'esprit de Caëlis. Entre la forêt autrefois maudite, le volcan et les montagnes d'Urkab, dont le nom signifiait en Elnaë Montagnes de l'Ombre, ses ancêtres avaient combattu des êtres de l'Ancien Monde, venus se terrer en ces lieux après la Grande Guerre.  Comment l'héritière de cette lignée légendaire pouvait accepter d'être marié à quelqu'un d'aussi abjecte ? Caëlis perdait tous ses moyens et comprit qu'elle devait battre en retraite pour se ressaisir, afin de pouvoir séparer ses désirs de son devoir.

 

- J'ai besoin de réfléchir roi Östen.

 

Il sembla terriblement déçu, affichant une moue dédaigneuse pour la dévisager de son regard hautain, vexé de devoir attendre.

 

- Vous avez une semaine pour me donner votre réponse.

- Très bien. J'aimerais également être escorté par Loreleï toute la durée de mon séjour. Ajouta Caëlis avec détermination.

- Qui ça ?

- L'assistante de Royngär. L'informa discrètement Aïda, visiblement embarassé par le comportement atroce de son frère.

- Ah... Comme vous voulez. Accorda-t-il avec mépris.

 

Elle le remercia et attendit patiemment que Loreleï s'habille pour quitter la salle du trône en sa compagnie. Son amie avait pleuré, et pour la première fois de sa vie, Caëlis éprouva l'envie de tuer quelqu'un de ses propres mains.

 

 

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