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Les Chroniques de Livaï (SnK, +13)


fallenRaziel
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Et encore un nigaud qui s'est fait pigeonner ! Le voilà qui se met à brailler ! T'inquiète, papi, je suis déjà loin et ton pognon est à moi ! Oulà, la garnison approche, courons, j 'ai pas envie de finir au trou ! Ils hésitent pas à choper les gosses et à les mettre derrière les barreaux, ceux-là. Ils ont déjà eu Kurt, mais moi ils m'auront pas !


Je me dirige vers la cachette. Tous les autres doivent déjà être là. S'ils ont bien dépouillé eux aussi, on pourra aller s'acheter des petits pains ! Et même des clopes, il paraît qu'un type en vend devant le bordel ! C'est pas tellement que j'aime ça, mais tous les autres fument, alors... C'est un truc de grands, et ça file tout de suite un genre ! Faut savoir se faire respecter, même quand on a dix ans.


La bande s'est agrandie. Depuis que Kurt s'est fait choper, on a eu pas moins de trois recrues. Je suis pas le plus vieux, mais tout le monde dit que je suis le chef. Parce que j'ai toujours des bonnes idées et que je cours vite. Et c'est moi qui décide des épreuves. L'autre fois, pour le dernier, je lui ai ordonné de sauter dans la fosse aux porcs. C'est super méchant, un porc. Ca peut bouffer un homme. Il a sauté dedans et la grosse truie, avec ses petits, elle l'a même pas regardé une seconde ! Le pot qu'il a eu ! Il est resté cradingue tout le reste de la journée, mais il disait qu'il était fier, que c'était son trophée, ces fringues sales. N'empêche, il puait à mort.


Certains ont encore des parents, mais rarement les deux. Moi, j'ai mon vieux, mais c'est un poivrot. Pas foutu de dégoter un boulot, même illégal. Du coup, je me suis mis à la cambriole. Je lui donne assez pour qu'il puisse avoir sa gnôle, et au moins il me laisse tranquille. D'autres, les plus vieux, sont orphelins depuis un moment. Ils savent pas la chance qu'ils ont, c'est rasoir, les parents. Il m'arrive de souhaiter que le mien calanche, au moins il arrêtera de me cogner les rares fois où il est sobre.


Y en a un qui a de la chance, c'est le petit là, Livaï qu'il s'appelle. C'est un des copains qui m'a dit son nom. Son père a vraiment la classe ! Il a une vraie tête de bandit, et même un couteau dans sa poche long comme mon bras ! Je mens pas ! Il doit pas s'en servir pour éplucher les pommes, mais plutôt des tronches, voyez le genre ! Du coup, on évite de trop s'en prendre à Livaï, ce mioche qui se donne de grands airs. Il se prend pour un prince, celui-là ! Il m'énerve...


Une fois, je l'ai vu déchirer ses fringues avant de se poser dans un angle de rue pour tendre la main. Il était tout seul et j'avais envie de l'emmerder. Je lui ai tapé sur la tête en gueulant très fort s'il voulait de l'aide pour saloper ses habits. Il m'a jeté un regard noir et m'a répondu que si je déguerpissais pas vite, il allait m'en coller une belle. Ce morveux ! Il doit même pas avoir six ans et il se la joue ! Je lui ai crié que j'étais un voleur, moi, pas un mendiant miteux. Il m'a répondu que lui aussi savait voler, mais que c'était pas bien. Tu parles, qu'il sait ! Il arriverait même pas à chiper une tique sur le dos d'un clébard boiteux ! Ah ouais, que je lui ai dit ! Montre-moi ça, le nain !


Il s'est levé et il est entré dans un bar bourré à craquer. Dix minutes plus tard, il est revenu avec une liasse de biffetons, un portefeuille à moitié plein et un paquet de clopes. J'étais scié. Il m'a donné les clopes et gardé l'argent pour lui.


Ouais, il se la pète. Moi aussi je peux en faire autant, il croit quoi ! Pas question qu'il vienne dans la bande, c'est qu'un bébé, et un vantard ! Je vais bien lui faire comprendre que c'est nous, les caïds du coin, et que s'il veut être tranquille, il doit aller mendier ailleurs. Le fric de ces pigeons m'appartient !  


Enfin faudra faire gaffe à son paternel quand même...

 

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Je rôde depuis peu dans le quartier ouest, suite à une info que Hanke m'a refilée. Paraîtrait qu'un établissement, un peu à l'écart de l'agitation de la ville, ramasse les gamins des rues ; ils y trouvent de quoi croûter, dormir et même un semblant d'éducation, et une petite patrouille passe régulièrement dans le coin pour maintenir le calme. Ce serait un riche philanthrope de la capitale qui a eu cette idée de génie. Je connais pas son nom mais il doit avoir un sacré problème pour penser que ça va changer quelque chose.


L'endroit m'a pas l'air mal. Tenu par des femmes, à l'air un peu sévère, ouais, mais elles doivent s'y connaître avec les mômes. J'en vois quelques-uns qui courent jusqu'à la porte. Une grosse dame leur nettoie la figure et leur ordonne de s'essuyer les pieds avant de rentrer. Les gamins s'exécutent.


C'est tout à fait ce qu'il lui faut. Ca m'a l'air clean.


Je m'approche un peu, en essayant d'avoir l'air le moins patibulaire possible. Je retire mon chapeau et je le coince sous mon bras. Je suis pas dans une gargote ici, il faut me montrer poli avec ces dames. Je me demande bien ce qui les motive à vivre ici pour s'occuper de toute cette marmaille. Elles doivent être bien payées, j'imagine. Je monte les quelques marches jusqu'à la porte d'entrée, et pour faire bonne impression, je m'essuie aussi les pieds. La grosse dame me jette un oeil de travers mais elle me chasse pas ; elle m'observe, en attendant que j'engage la conversation.


Je lui dis que j'ai un mouflet à leur refiler. Propre sur lui, pas malade, les dents saines, peut-être un peu sous-nourri, mais c'est tout. Elle hoche la tête. Je continue en la prévenant que c'est une vraie tête de mule mais que quand on sait s'y prendre, on peut presque tout obtenir de lui. Son visage s'éclaire un peu. Elle me pose des questions : est-ce que je suis son père ? Non, m'dame. Où est sa mère ? Morte dans son lit, d'une saloperie non-identifiée. Quand est-il né ? Je sais pas, sans doute fin 816, si je me rappelle bien l'état de la grossesse de soeurette. Elle fait un rapide calcul et me dis qu'il doit avoir six ans. Ouais, m'dame, sans doute. Je veux pas le garder ? Non, m'dame, ce loupiot me bouffe mon espace et il faut que je retourne bosser si je veux pas crever de faim. Et me demandez pas quel boulot je fais, m'dame, vaut mieux pas.


Elle me fait entrer à l'intérieur. Plutôt douillet, comme nid. C'est une grande baraque à deux étages, plus le rez-de-chaussée. Je distingue vaguement une grande salle à manger, avec des gamins en train de becqueter. D'autres descendent encore un escalier rutilant ; il doit y avoir des chambres là-haut. La grosse dame m'y emmène. Je jette un oeil ; des petites pièces, avec trois lits chacune ; tout ce qu'il faut pour se tenir propre, des bureaux avec des livres, des jouets qui traînent... Ca m'a vraiment pas l'air mal. Qu'on aille pas croire que je sois si attentionné, mais tant qu'à me défaire du petit, autant que ce soit dans un endroit pas trop glauque. Après tout, il en a assez vu.


La grosse dame me précise que quelques cours sont dispensés deux fois par semaine par un instit de là-haut, un certain Smith. La lecture, un peu d'histoire, de calcul et d'écriture, bref le minimum. Je lui demande innocemment à quoi ça va servir à tous ces mômes ; elle me répond, un peu pincée, que ça peut leur permettre d'avoir un travail honnête, et peut-être même de devenir des citoyens. Ouais, ma bonne dame, vous avez raison. Pas sûr de leur taux de réussite... Enfin, ça plaira peut-être au petit.


Je lui demande enfin quand je peux déposer le mouflet. Elle me réponds que dans deux jours l'instit sera présent, et que ce serait bien s'ils faisaient connaissance tout de suite. Tope-là, dans deux jours, m'dame, pas de problème. Il sera récuré, peigné, bien fringué, bref, le pensionnaire idéal ; et moi, je serai libre...

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Monsieur Smith est un homme charmant. Il a toujours un air un peu soucieux, mais qui s'efface quand il est en présence des enfants. Ceux-ci l'apprécient beaucoup ; il est une véritable fenêtre sur le monde extérieur pour eux.


Il enseigne en temps normal dans une école du Mur Rose. C'est là-bas qu'il a été contacté par notre employeur anonyme. Il a tout de suite accepté de venir donner des cours pour les pauvres orphelins des bas-fonds. Je ne désespère pas de voir un jour ces enfants devenir des gens honnêtes et importants dans le monde.


Monsieur Smith est avant tout professeur d'histoire, mais il dispense également d'autres connaissances élémentaires : la lecture, l'écriture et le calcul. Ce sont des savoirs indispensables à mon sens, cependant certains de nos enfants ne les prennent pas vraiment au sérieux. Mais ils restent curieux de tout, et monsieur Smith répond à toutes leurs questions, surtout celles sur le monde extérieur.


Monsieur Smith a des théories, comment dire.. un peu sulfureuses sur le sujet, il est vrai, et nous lui avons recommandé de ne pas trop les divulguer, de s'en tenir à la version de l'Etat. Il le fait de bonne grâce mais parfois, quand un enfant un peu trop enthousiaste lui pose des questions, il ne peut s'empêcher de se laisser aller. Je suppose qu'il ne fait pas de même dans son école à la surface, qu'il garde plus volontiers ses théories pour lui. Je dois bien admettre qu'elles sont entêtantes une fois qu'on a toutes ces questions à l'esprit...


Que sont les titans ? D'où viennent-ils ? Qui étaient nos ancêtres ? Il n'y a pas de réponse officielle à tout ça et je pense que monsieur Smith doit en avoir, mais il ne les donne jamais clairement, il encourage plutôt les enfants à découvrir eux-mêmes la vérité... Un jour... Cela me donne un peu le vertige de penser à tout ce qu'on ne sait pas sur notre monde... Je n'ai jamais vu un titan de ma vie, je ne sais même pas s'ils existent... Ils doivent bien être réels si on en juge par l'état des membres du bataillon à chaque retour d'expédition. En tout cas, j'espère ne jamais en voir de ma vie !


Il a sans doute peur que l'Etat n'entende parler de ses opinions... En tout cas, il n'a rien à craindre de nous toutes. Monsieur Smith est un homme bien sous tout rapport, et qui a la pleine confiance de notre employeur. Je dois bien admettre que quand il se rend au pensionnat, nous sommes toutes très excitées de le voir ! Il est le seul homme à venir ici, et il faut bien admettre que les jours peuvent être longs sans une compagnie masculine pour égayer notre quotidien ! La vie sous terre est parfois déprimante, toute cette misère et cette délinquance qui prospèrent ! Et les plus jeunes sont les premiers touchés, ils sont si vulnérables ! Si je le pouvais, je les emmènerai tous là-haut respirer le bon air ; mais la loi l'interdit.


Il me semble que la femme de monsieur Smith est morte, et qu'il a un fils assez jeune, une dizaine d'années peut-être... Mais il est très bel homme et si un jour il a besoin d'une femme pour entretenir son foyer, je serais ravie de me dévouer ! Oh et bien, Anelie, que voilà des pensées bien hardies ! Reprends-toi, ma fille, il ne va pas tarder à arriver ; je crois que j'entends son pas dans le couloir.


Je vais l'informer tout de suite que nous accueillons un nouveau pensionnaire aujourd'hui : Livaï - pas de nom de famille - six ans, orphelin depuis environ trois mois, forte tête mais aime la lecture... Son tuteur ne m'a pas eu l'air très commode, mais j'ai l'habitude du genre d'individu qu'on peut croiser dans les bas-fonds... Heureusement que la garnison veille sur notre sécurité sinon je ne me sentirais pas du tout tranquille...

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Allez, gamin, on va faire une balade.


Il est propre de partout ce matin. Mais il a toujours ces maudites cernes autour des yeux qui lui donnent l'air malade... Bah, ça ira bien, c'est plus mon problème. Il est habillé du mieux possible, les cheveux impec, les ongles soignés, autant qu'il donne bonne impression tout de suite ; pas question qu'ils changent d'avis.


Il me demande où on va ; je lui réponds qu'on va voir quelqu'un d'important. Il insiste : qui on va voir ? Quelqu'un que tu connais pas. Tiens-toi tranquille et marche à côté de moi, mouflet.


On sort dans la rue animée et quelques têtes se tournent pour nous reluquer. C'est vrai que j'ai pas la trogne du père idéal, et comme le petit s'est mis en tête de tenir mon pantalon dans sa pogne, le spectacle qu'on offre doit paraître encore plus surréaliste... Lâche-moi, morveux, j'ai une réputation dans le quartier, moi !


On remonte la grande rue jusqu'au quartier ouest. Il pose pas de question durant le trajet mais je sens ses yeux plantés dans ma joue ; je le regarde pas, pas envie de croiser son regard de chien battu... Il est remarquablement sage, je m'attendais à ce qu'il me fasse tourner en bourrique pour me faire payer mon manque de loquacité, mais apparemment il doit être un peu inquiet. T'inquiète, gamin, là où je t'emmène, c'est sans doute le meilleur endroit où tu peux crécher ; tout vaut mieux que tu restes avec moi...


On va pas tarder à arriver en vue du pensionnat. Il est temps que je lui dise un peu les choses quand même, histoire qu'il se braque pas trop. Enfin, je pense que l'idée lui plaira, mais je peux pas être sûr de sa réaction. J'ai pas envie de me retrouver à lui courir après dans le quartier devant ces braves dames au garde-à-vous !


Je me penche vers lui et je lui dis qu'il va rencontrer des gens très sympas ; des gens qui vont lui apprendre plein de choses utiles - enfin pour ce que j'en pense... Il y a là-bas de gentilles dames qui demandent qu'à le bichonner et il faut qu'il se comporte bien avec elles. Il me demande si c'est comme une école - Kuchel a dû lui parler de ça je pense. Je lui réponds que oui, que c'est une école, et qu'on doit se grouiller parce qu'ils nous attendent.


Il semble se détendre un peu et marche devant moi, presque en sautillant, comme c'est touchant ! Il a l'air emballé ! Tant mieux, au moins je me sens pas coupable... et de quoi d'abord ? De le confier à des inconnus ? Je lui ai pas révélé que ça serait permanent, mais... il a pas besoin de savoir ça, non ? Il va entrer, peut-être regarder dans tous les coins si c'est assez propre à son goût, et pendant ce temps, je m'éclipserai, ni vu ni connu.


On y arrive. Trois femmes, dont celle que j'ai déjà vue, et un homme, attendent devant la porte. Je distingue du coin de l'oeil deux membres de la garnison qui semblent en faction. Ils me mettent pas spécialement à l'aise, ceux-là, je vais pas m'éterniser... Le môme se calme un peu se remet à marcher à côté de moi ; il tend la main, et je lui dis que c'est bien là.


L'instit a tout à fait l'air de ce que j'imaginais : l'image du père modèle, petites lunettes et col bien repassé, bref tout ce que je suis pas. Il sourit un peu à l'adresse du petit, pas à moi. Il a dû sentir que je suis pas franchement fréquentable et qu'il vaut mieux me retirer ce gamin le plus vite possible, pas vrai ? Connard, va... Non, il aurait raison.


Une de ces bonnes dames vient vers moi, pas très rassurée, et essaie de prendre le gosse par la main. Je suis pas sûr mais c'est sans doute la première femme qui fait attention à lui depuis que sa mère a calanché. Il fait son timide ; allez, donne-la main à la dame, m'oblige pas à m'impliquer plus que ça... Sérieux, j'en ai pas envie. Mais la grosse, celle qui me connaît, est prête à m'inviter à entrer de nouveau. Je lui fais comprendre que j'y tiens pas.


L'instit vient à son tour vers nous et se met à genoux devant le môme. Il lui donne un bouquin en lui murmurant doucement qu'on lui a dit qu'il aimait les livres. Le mouflet le prend ; bon, c'est bien parti. L'instit lui dit qu'il y en a plein d'autres à l'intérieur. C'est ça, t'as compris le truc, mon vieux. Il commence à l'emmener vers la porte, les dames sont tout sourire en voyant la scène. Il m'a momentanément oublié ; je vais en profiter pour me barrer en douce...


Je tourne le dos et je m'apprête à remonter le quartier. Pourquoi je me sens tout bizarre ?... Pourquoi je me sens comme un lâche, tout à coup ? Et voilà que je mets à entendre la voix de la soeurette dans ma tête ; ça fait un moment que c'était pas arrivé ! Qu'est-ce que tu veux, toi ? Tu vois pas que je fais de mon mieux, non ? Il sera bien mieux là-bas, pas l'ombre d'un doute à ce sujet ! Alors me prends pas la tête ! J'ai fait ce que j'avais à faire, c'est bon ! Tu veux quoi de plus ? J'ai rien à lui offrir de bien, à ce môme ! Et puis, tu avais qu'à pas le garder pour commencer, on en serait pas là ! C'est de ta faute,bordel ! Je serai pas un bon oncle, et encore moins un bon père ! C'est clair ?!


J'entends une petite voix claire crier mon nom derrière... Te retourne pas, Ken. C'est pas la peine. Vraiment ?... Bah, il m'oubliera, et je l'oublierai aussi, un de ces jours. C'est vraiment sûr, ça ?... D'accord, c'est vrai que je m'y suis habitué, à ce petit ; à se manies, ses questions, son tapage nocturne, etc... Est-ce que ça va vraiment me manquer ?... Non, non, non, assez de tout ça, j'ai pas le temps et je dois retourner faire du fric ; pour ça, il me faut des clients riches et ces clients, ils sont à la surface !


Pour la première fois, je me demande sincèrement si je me trouve pas des prétextes...


Un truc heurte mes jambes. Je m'arrête. Je sais bien que ce sont ses petits bras qui me serrent les genoux. Oh bordel... manquait plus que ça, voilà qu'il devient dramatique... Je me retourne quand même, comme par réflexe ; les dames et leur instit nous regardent de loin mais semblent pas vouloir intervenir... Bon sang, vous pouvez pas venir le chercher, j'ai à faire, là !


Personne ne bouge. D'accord, je vais devoir régler ça moi-même.


Je prends le môme par les épaules. J'essaie pas d'être réconfortant ou quoi, c'est pas le moment... Je pensais pas que ça le rendrait triste de me quitter, mais il est bel et bien triste, ce nain. Oh, il pleure pas, non, c'est pas tellement de famille, mais à l'intérieur... Et puis sa bouche tremble un peu. Il me scrute comme si j'étais son dernier espoir... J'étais con de penser qu'il devinerai pas... Il devine toujours tout avant tout le monde, celui-là. Il a dû sentir que je reviendrai pas... Il flippe juste un peu, mais ça ira... Bon, allez, Ken, montre-toi empathique pour changer.


Va bien falloir dire les choses...


Ecoute, petit, tu seras bien ici, bien mieux que dans la planque; tu as tout ce qu'il te faut, c'est propre, y a des bouquins, et tu te feras même peut-être des amis. Les relations, c'est important. Tu veux pas rester avec un sale type bourru comme moi, non ? Tu mérites mieux qu'une vie de truand... J'ai rien à te donner, moi...


Pendant une seconde, c'est soeurette que je vois sur son visage tendu vers moi... C'est pas possible, cette ressemblance... Oh, putain, non, me regarde pas comme ça ! Si tu veux me faire culpabiliser, c'est raté !


Il me gueule qu'il veut pas que je parte, qu'il veut rester avec moi. Voyez-vous ça ! Je fais mine de lui coller une soufflette, mais il continue de me regarder sans aucune peur dans les yeux. Ce serait pas une totale confiance que je lis dans ses mirettes ? J'essaie de le ramener vers le pensionnat, mais il se débat comme un chaton rempli de puces. Il me hurle qu'il s'échappera et qu'il reviendra à la planque si je le laisse ici. Qu'il veut pas des livres, des jouets, et qu'il préfère vivre dans la crasse avec moi plutôt qu'ici !


Malgré moi, je dois bien dire que je sens un truc qui remue, là-dedans. A part Kuchel, personne a jamais rien attendu de moi. Après tout, je me suis bien occupé d'elle, non ? Pendant encore combien de temps tu vas m'imposer ça, soeurette ? Dis à ton moutard de la fermer, sinon je crois bien qu'il va se mettre à chialer devant tout le monde !


Et voilà, qu'est-ce que je disais...


Je sais pas quoi faire face à un môme qui pleure. J'ai jamais su... enfin si, je me souviens d'un truc : je prenais Kuchel sur mon dos, et elle me disait qu'elle aimait entendre les battements de mon coeur. Elle s'endormait, la joue contre mon dos, et elle se réveillait toute heureuse. Un vrai rayon de soleil, la petite soeur... Ca me coûte de le lire mais je repense parfois à cette époque avec...nostalgie...


Après tout, ce sera l'affaire de quelques années... Il va vite grandir et il fera sa vie quand il se sera lassé de moi et moi de lui. Est-ce que je peux faire cet effort, soeurette ? Est-ce que j'en ai envie ?... Je sais pas trop ; tout ce que je sais, c'est que j'ai jamais aimé te voir pleurer.


Bon, gamin, regarde-moi bien et dis-le une bonne fois : tu veux une vie de truand ? Voler, couper des gorges, échapper aux forces de l'ordre et rêver d'aller là-haut sans jamais que ça se réalise ? Tu veux te taper mon sale caractère et mon éducation à la dure sans broncher ? Tu feras tout, absolument tout ce que je te dirais de faire ? C'est vraiment ce que tu veux ? Tu peux encore reculer !


Croyez-le ou non mais il se jette dans mes bras. Putain, fais pas ça, on nous regarde ! Je suppose que ça veut dire oui. Je l'attrape par le col et je le mets face à ce pensionnat douillet et ces gens patients qui attendent qu'on en ait terminé. Ca lui dit toujours pas...


Bon, et bien m'sieur-dames, ça va être pour la pomme de tonton Kenny. Désolé du dérangement.


On fait demi-tour et on remonte le quartier ouest jusqu'à la planque. Il titube un peu, il renifle ; bon je sais comment gérer ça. Allez, monte sur mon dos, le nain ! Visiblement, le truc marche toujours. Il a dû s'endormir.


Et, Livaï, tu dors ?

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Kenny m'a donné mon premier couteau. Il a un gros manche en bois et il tranche fort. J'ai encore du mal à le tenir bien, mes mains sont trop petites. J'ai voulu l'essayer sur un gros rat qui traînait dans la maison mais le salopard est trop rapide. Je suis pas très doué...


Kenny est très doué, lui. Il est capable de toucher une bouteille de très loin, même de dos. J'ai essayé aussi mais le couteau est tombé à mi-chemin. Kenny s'est marré de moi. Il me dit que j'ai les muscles en pâté, ou un truc comme ça. Il faut que je m'entraîne comme ça je pourrais lancer le couteau comme lui, un jour.


Je suis pas très chaud de m'en servir pour de vrai. Je trouve ça amusant sur des bouteilles, mais sur des gens, c'est pas pareil. Kenny dit que c'est utile pour se sauver la vie parfois. Je sais bien, je l'ai déjà vu faire. Il va toujours très vite, surtout quand c'est dans la foule, pour pas se faire repérer. Il glisse la lame sur le cou du type, et hop, il se retourne l'air de rien, mains dans les poches, tandis que le type s'écroule. Je peux pas faire ça, moi, je suis trop petit que je lui ai dit. Mais il répond que je peux au moins me défendre avec. C'est mieux de s'enfuir, non ? Kenny aime pas la fuite, il pense que c'est pour les filles ; les garçons s'enfuient pas, ils se battent. C'est pas ce que maman m'a toujours dit... mais il a pas tout à fait tort quand même.


Il m'emmène avec lui parfois, quand il doit aller parler à quelqu'un ou chercher un truc. Il me dit de toujours bien regarder et écouter. J'aime bien quand il m'envoie surveiller pendant qu'il discute. Il m'explique pas tout ce qu'il fait, parce que c'est pas de mon âge peut-être, mais le soir, il sort son couteau à lui et pendant qu'il le fait briller, il me raconte des histoires comme celle où il a zigouillé pas moins de six bandits en même temps, en moins de cinq minutes ! Je sais pas toujours deviner s'il dit vrai ou pas, il doit se faire mousser un peu.


J'achète mon thé maintenant - Kenny insiste pour que j'utilise mon argent à moi - et l'odeur de la maison a un peu changé. Je le planquais dans un petit placard, parce que je voulais pas que Kenny tombe dessus. Mais il a sentit l'odeur des feuilles... Il a cherché partout d'où ça pouvait venir. J'étais pas très rassuré, c'est vrai. Kenny a le thé en horreur, il supporte pas l'odeur... Ca sent très bon, pourtant...


Il a trouvé le sachet et me l'a collé sous le nez en me demandant d'où ça venait. Je lui ai répondu qu'il m'a autorisé à utiliser mon argent pour acheter ce que je voulais, et que je le faisais. Il aurait pu me mettre une petite beigne pour ça mais il a juste rigolé. Il a ajouté que l'argent volé, c'est tout juste bon pour acheter cette saleté. J'étais pas d'accord, alors je lui en ai fait un. Dans une maison abandonnée, j'ai trouvé une théière et trois tasses, toutes abîmées mais ça va, je remplis jamais jusqu'au bord pour que ça coule pas.  Je les ai bien nettoyées et j'ai versé le thé dedans. Il a senti un peu, puis trempé la langue juste pour goûter ; et il a recraché ! C'est du noir, pourtant, c'est le meilleur ! Il préfère sa bière, le tocard ! Bon, malgré ça, je peux acheter mon thé tranquillement maintenant, et j'ai plus besoin de le cacher. Je le bois tout seul et c'est tout.


Il y a des jeunes dans ma rue qui forment des gangs ; ils détroussent les passants en masse et des fois j'ai plus grand chose à voler après. Je tente ma chance dans les bars pleins de monde, là où on me verra pas. Mais les poches sont pas très pleines en ce moment... Kenny m'a dit que les prix ont encore augmenté, et que les gens ont du mal à vivre. Je vois pas trop en quoi ça change de d'habitude. Le prix du thé a pas augmenté, lui, c'est toujours cher. Et le savon aussi. Kenny veut que j'arrête de trop me laver parce que ça va nous mettre sur la paille.


C'est dur de rester propre dans les bas-fonds, je l'ai compris très vite. Et puis les gens donnent plus d'argent quand je suis sale. Il faut bien que je me lave après, non ? Et puis Kenny serait pas content si je restais sale. J'aimerais qu'il se lave un peu plus, mais faut pas compter là-dessus, il dit qu'il est allergique à l'eau, que ce soit pour la boire ou se plonger dedans. Allergique, tu parles, il est juste cradingue. C'est moi qui vais la chercher, à la grande pompe publique sur la place ; je dois des fois attendre des heures avant que ce soit mon tour. Quand on a besoin de beaucoup d'eau, Kenny vient avec moi. Il peut porter un plus grand seau que moi et il est très fort ; une fois il a même rempli une pleine barrique et l'a portée sur son épaule comme si c'était rien. Pourtant, il est pas si costaud que ça ; je me demande comment il fait. Je voudrais être fort comme Kenny plus tard. Mais il se moque de moi parce que je grandis pas vite. Il m'appelle "demi-portion" ou "le nain" souvent et ça m'énerve...


Ce soir, on doit aller chez un client de Kenny. De ce qu'il m'a dit, ce type veut qu'il tue un autre gars ; il vendent tous les deux la même chose, je crois, et l'autre fais des prix si bas que le client de Kenny s'en sort pas. Il a essayé de discuter avec lui, mais il veut rien entendre. Normal, apparemment, il fourguerait de la marchandise volée, il peut se permettre de vendre pour rien ; mais pas le client de Kenny. Alors il faut le zigouiller. C'est comme ça que Kenny dit : il faut aller zigouiller. Il me prend pour un crétin à utiliser des mots comme ça ?


Kenny doit négocier le prix. Il veut que j'écoute et que je regarde bien comment il fait. Histoire de pas me faire blouser plus tard. Faut pas brader le talent, qu'il me dit. Mais je viendrai pas avec lui quand il ira zigouiller le type ; il dit que je suis trop petit pour voir ça et puis ça pourrait être dangereux ; qu'il travaille seul et qu'il veut pas que je sois dans ses pattes. C'est du blabla tout ça. Comme si je l'avait pas déjà vu faire...


Au moins, je saurais combien ça rapporte de tuer des gens.

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Livaï est resté à la planque. Pas besoin de l'avoir dans les pattes pour faire le boulot. Ca sera réglé en un rien de temps.


La cible est un commerçant qui casse les prix avec de la marchandise volée. Si mon client est prêt à débourser pour s'en débarrasser, c'est que ça doit être un bon. Rien de personnel, m'sieur, comprenez bien, mais il faut bien que je vive aussi.


Je revoie encore la gueule du môme quand je suis parti ; il approuvait pas tellement, et il m'a balancé que c'était pas si cher payé pour tuer quelqu'un. Il a pas tort sur ce coup, mais j'ai rien d'autre pour le moment ; c'est mieux que rien. Qu'il continue de faire les poches et qu'il la ferme.


Ma cible a un genre de souteneur, bâti comme une maison, que j'ai déjà remarqué pendant que je faisais mon repérage. Il faudra le neutraliser lui aussi. Je demanderai un extra pour ça, après tout, mon client sera bien content d'apprendre qu'aucun témoin ne viendra lui faire la peau. Je sais pas s'il réalise qu'un jour, ça pourrait être lui, ma cible. Si on me paie pour ça.


Une patrouille avance en sens inverse. Je m'écarte un peu, pas envie de me faire contrôler. Le chef me jette un regard appuyé, je le salue avec le doigt sur le chapeau. Ils passent leur chemin. Faut être aimable avec les forces de l'ordre dans ma branche, tant qu'elles ont rien contre vous. C'est pas tellement difficile de cacher des cadavres dans les bas-fonds. Mais ils ont sans doute déjà découvert quelque-uns de ceux que j'ai laissés traîner. Kenny l'Egorgeur est plutôt connu dans le coin ; mais pas son visage. Le seul qui m'ait vu à l'oeuvre et est encore en vie doit en ce moment faire le grand nettoyage dans la planque.


Le nain est encore trop jeune pour se servir correctement du couteau, mais au moins je me sens plus tranquille quand il sort. Les autres marmots du coin, qui forment des gangs, savent déjà manier ça. Je lui ai pas interdit de rejoindre une bande, juste de mener qui que ce soit à la planque. Je m'inquiète pas trop pour ça, se faire des amis, c'est pas son truc. Les relations, c'est important quand on est truand, quelle que soit la branche sur laquelle on est perché. Peu de mes connaissances savent qui je suis réellement, on est jamais trop prudent. Personne en fait ; sauf Hanke, lui, il est réglo.


J'approche de ma destination. Je vais attendre la fermeture et le coincer dans la ruelle derrière... Si son chien de garde se pointe, il y passera aussi. Le vieux pote a besoin d'exercice.

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Les autres devraient plus tarder. Depuis que mon vieux est plus de ce monde, ma bicoque est devenue notre repaire. Certains y crèchent un peu trop à mon goût, mais bon, maintenant, on est une vraie famille. Plus de connard d'adulte pour nous surveiller ! Les rues sont à nous !


Je les entends arriver. Lambert est le premier, il se glisse toujours par derrière parce qu'il vient du quartier nord. Yvo ensuite, puis vient le tour de Bettina, la seule nana de la bande. Un beau brin de fille, faudra qu'elle fasse gaffe quand il lui poussera des nichons. Les autres arrivent en vrac, en gueulant, jurant et rigolant. On est là, tous les douze.


On va ratisser le quartier, faire le plus de poches possible. Même les clodos y passeront. Et si on peut voler un peu de bouffe en passant, on se gênera pas ! La garnison est pas dans le coin en ce moment, paraît qu'un meurtre a eu lieu dans un autre quartier.


On sort tous groupés, on marche sur quelques mètres, et on se déploie. Chacun à sa méthode et ses coins préférés. Je sors pas le couteau tout de suite, j'attends qu'un pigeon idéal se pointe. Ou une pigeonne, j'en vois une, là. Elle s'est arrêtée devant l'étal de pommes. Où elle cache son fric, cette conne ? Là, sur sa ceinture, contre sa hanche ; elle fait pas attention, elle regarde les pommes... Doucement, je me glisse derrière... Au moment où elle se penche pour en attraper une, je coupe le cordon de sa bourse, et elle me tombe dans les mains ! Si j'avais été un tout petit peu plus grand, elle m'aurait vu ; faudra que je trouve une autre tactique pour plus tard.


Je l'entends gueuler comme une truie qu'on égorge ! A votre bon coeur, m'dame, les gamins des bas-fonds crèvent la dalle ! Elle est pas très lourde, cette bourse... Bah, je vais me refaire avec le prochain. Je croise Wendel, encore bredouille, qui hausse les épaules en me regardant de son air benêt. Il va bien falloir qu'il serve à quelque chose un jour, celui-là, sinon on le jettera dehors. Soit tu participes, soit tu dégages ! Marre de nourrir les inutiles !


Je suis en train de suivre un autre pigeon quand je croise l'autre tache, ce nain de Livaï. Bordel, on peut dire qu'il pousse pas avec l'âge, lui ! Il attend au coin de la rue, je sais pas quoi... Non, bordel, je crois bien que c'est mon pigeon qu'il reluque ! Pas de ça, nabot ! Il est à moi ! Je lui montre mon couteau, pour qu'il comprenne, mais il a l'air de s'en foutre. Ah ouais ? T'es chez moi, le minus, t'as intérêt à dégager si tu veux pas faire connaissance avec ma lame !


Je rêve, il se met à filer ma proie ! Je cours, je lui rentre dedans, et je le mets par terre. Le nain s'étale par terre, et avec, petit bonus, ses prises de la journée ! Il a pas chômé ! Tu déconnes, c'est le fric de mes pigeons que tu embarques, là ! Cette fois, je vais te faire mal, morveux !


Il se débat un peu, se relève et sort aussi un couteau. Tu vas faire quoi avec ce cure-dent, le nain ? Tu vas te faire mal, c'est sûr ! Au pire, compte sur moi ! J'essaie de lui arracher son butin, et lui il tente de me piquer avec son jouet, mais il s'y prend mal. On t'a pas appris comment on se sert d'une lame, ou quoi ? Ton paternel va s'en mordre les doigts ! Je vais démolir ta jolie petite gueule !


Je réussis à craquer le fond de la bourse et toute la ferraille vole dans les airs. Mais il lâche pas prise ! Il reste sur place et me barre le chemin. Tu l'auras voulu ! Je balaie horizontalement avec ma lame et je l'atteins au visage. C'est que le début, morveux ! Lâche tout ou je te larde ! Des adultes se mettent à courir, des femmes à hurler, mais personne intervient ; la vue d'un couteau suffit en général. Et y a déjà un peu de sang sur le mien !


Il essaie encore de m'atteindre avec sa lame de bébé mais son bras est trop court. Je l'attrape par son petit bras et l'amène vers moi pour l'embrocher. Putain, il est rapide ! Il passe derrière moi, se pend à mon cou et essaie de me trancher la gorge ! Mais il a pas le truc ! Je tombe sur le dos et il lâche prise. Bordel de merde, Livaï, je vais te saigner comme un porc ! Je lui taillade le bras et il lâche un tout petit gémissement ; trop petit à mon goût !


Il a le souffle court, et moi aussi, je dois dire. Il a réussi à me surprendre, le couillon. Mais je vais en finir. Je veux plus te voir dans mes rues, espèce de vermine ! Il se met à reculer sur les fesses jusqu'à l'angle de la rue. Il a la trouille, c'est clair, même s'il en a pas l'air ! J'avance vers lui, et tout le monde s'écarte. Je vois les copains se ramener des autres coins de rue et ils se mettent à gueuler comme des enragés, à se marrer, à se moquer. Leur enthousiasme est contagieux ! J'ai jamais tué personne, mais il faut bien que je montre à tous ces lascars que je mérite d'être le chef.


Ni une ni deux, le nain se relève et se met à courir de l'autre côté, en laissant son butin par terre. Où tu vas, Livaï ? Viens me montrer ce que t'as dans le bide ! Je cours derrière lui, en essayant de pas le perdre de vue ; mais il va vite, très vite. J'ai jamais vu quelqu'un courir aussi vite ! Il disparaît, et je m'arrête en me tenant les côtes. C'est ça, que je te revoie plus dans le coin, sale môme ! Pourvu qu'il dise rien à son daron...


La vache, il a quand même réussi à me blesser au cou... S'il avait passé sa lame dans le bon sens, j'étais cuit...


Je retourne en arrière pour rejoindre les autres. Ils me regardent tous avec admiration. C'est bien comme ça, ça leur a suffit. Faut qu'ils s'en rappellent. Et là, y a pas un gros type qui est en train de tripoter Bettina contre le mur d'en face ? Mais il est con celui-là ! Elle a même pas de nichons !

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Et bien, je suis bon pour une corvée de lessive, moi ! Ce porc m'a giclé dessus ! Heureusement que j'ai ma vieille vareuse pour cacher ça, sinon je me serais fait coincé sur le retour. J'ai toujours eu le bon sens de la retirer avant de travailler. Livaï va râler, c'est sûr. Mais pour fêter ça, on ira se payer un gueuleton dans le troquet d'à côté.


Où est-il, ce nain ? J'ai beau gueuler, personne ne vient. Il est toujours là quand je rentre, pour me rappeler d'essuyer mes pompes dehors avant d'entrer. Je le fais quand même, histoire de dire. Il est peut-être sur un gros coup et va rentrer plus tard.


Bon, j'attends encore une heure et s'il est pas rentré, j'irai le chercher. Je connais son secteur. J'en profite pour vérifier un peu ses nouvelles acquisitions ; il me laisse pas rentrer dans sa chambre quand il est là.


Ce gamin vole un peu tout et n'importe quoi, à se demander s'il collectionne pas les trucs inutiles. De l'argent, bien sûr, ça, ça me regarde pas, c'est à lui ; une vieille boîte à musique cassée ; trois bouquins, dont un sur l'arithmétique ; où il a trouvé ça ? des fourchettes, des cuillères en veux-tu en voilà ; un bougeoir tout tordu. Et dis donc, un paquet de cibiches à moitié entamé ! L'est pas un peu jeune pour ça, lui ? Même moi j'ai attendu mes dix ans pour m'y mettre ! Bah, après tout... Je lui en pique un peu quand même, ça se partage, ça. Et ça, c'est quoi ? Mon vieux... un écusson de la garnison ! Je reconnais bien les deux roses. Comment il s'y est pris ? Ou bien il l'a juste ramassé ?...


Je remets tout en place, mais de toute façon, c'est toujours très bien rangé dans son petit univers. Ses fringues de nains, ses chaussures de nain... Tout bien plié et aligné. Je l'empêche pas de récurer la baraque, mais je lui interdit de toucher à ma piaule ; j'aime bien mariner dans mon jus et le parfum de mes panards me rassure, hé hé !


Il devrait plus tarder. Il va me faire les gros yeux en voyant ma chemise pleine de sang - il insiste toujours pour faire la lessive parce qu'il dit que je sais pas faire, moi -, puis après il se fera un thé, comme d'habitude, il m'en proposera, je lui dirai que j'en veux pas, il boira son thé dégueu et puis il ira sortir les poubelles avant d'aller à la pompe publique laver tout ça. Il se plaint pas, il m'a dit une fois que laver, récurer, essorer, passer le balai ou le torchon lui vide la tête ; que quand il fait ça, il pense plus à tout ce qui l'embête. Je m'en voudrais de le priver de ça, ce trésor !


Je mets les pieds sous la table et m'allume une clope. Pas mauvaise, cette marque. Je fume pas souvent, mais après le boulot, c'est bien agréable. J'envoie un rond de fumée vers le plafond. Qu'est-ce qu'il fout ? Livaï, sérieux, tu le fais exprès pour voir si je m'inquiète ? Encore dix minutes et je viens te chauffer les oreilles ! Il s'est peut-être trouvé des potes... ou une copine, le salopiaud ! Oh là là, je viens juste de penser au fait que je vais sans doute devoir gérer ça aussi, bientôt ; les hormones vont pas tarder à le travailler. Et puis il va être beau gars, y  a pas de doute. Il va en briser, des coeurs !


Bon, ça suffit, copine ou pas copine, il va falloir qu'il rentre. Je me lance vers la porte et qui arrive à ce moment ? Le joli coeur ! Te voilà, c'est pas trop tôt ! Ouais, ma chemise est crade, je sais !


C'est quoi, cette dégaine ? C'est vrai qu'il rentre souvent pas très frais, mais pas à ce point-là. On lui ai tombé dessus, pas d'erreur. Il a une estafilade sur la joue et une plaie plutôt moche au bras. Encore des chiens ? Il répond pas, mais il me serre les genoux des deux bras. Eh là ! tout doux, microbe. Qui t'a fait ça, hein ? Bon, d'accord, tu veux garder tes batailles pour toi, c'est entendu. Chiale un bon coup, ça ira mieux. Je lui tapote un peu la tête ; ses cheveux sont pleins de terre.


Fais déjà voir ces bobos. C'est un couteau, ça. Ca a pas pénétré très profondément, heureusement. Je lui désinfecte ça avec de la gnôle et il grimace de douleur. Chochotte, va ! Tu en verras des pires que ça ! Je pique un linge propre et je lui fais des pansements improvisés. C'est bon, ça fait plus mal. Ca fait plus mal, je te dis !


Plus tard dans la soirée, devant sa tasse de thé, il me demande de lui apprendre réellement à se battre au couteau. J'hésite un peu... Il a dû se faire larder par des caïds du coin. Il vaut mieux faire ce qu'il demande, sinon je vais pas arrêter de m'inquiéter.


Pour commencer, le nain, montre-moi comment tu le tiens. Evidemment, dans ce sens-là, tu peux rien faire de bon. On dirait que tu vas attaquer un morceau de bidoche ! Mais un humain, ça vit, ça respire, ça bouge, ça se défend ! En le pointant simplement comme ça, tranchant et pointe en avant, tu peux pas y mettre toute ta force. T'as pas le bon angle pour attaquer. Couper des cols, des bras, des mains, des doigts, tu peux vraiment y arriver que si tu mets le couteau comme ça ; voilà, la pointe en bas, c'est mieux. Il doit devenir une extension de ton bras. Aborde ton ennemi par derrière, ta lame sera placée comme il faut pour finir le boulot. Tourne-toi. Tu vois, tu mets ta main sur sa bouche comme ça, et en un tour de main, c'est fait. Montre-moi ; c'est pas mal, tu as le poignet souple. Mais tu manques d'habitude. On va y remédier...


Quand t'auras chopé le truc, tu pourras plus tenir une arme blanche autrement, crois-en Kenny l'Egorgeur !

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Qu'est-ce que je suis allé me foutre dans cette merde ! Pourquoi il a fallu que je m'acoquine avec cette bande de coupe-jarrets ?! Je pouvais pas deviner, moi ! Je suis qu'un soulard, un bon à rien, pas foutu de faire du mal à une mouche !


Je suis là, pieds et poings liés dans cette salle d'interrogatoire qui me fout les jetons. Et ce type des brigades spéciales qui me regarde comme si j'étais un animal... Les brigades spéciales, non d'un chien ! La garde personnelle du roi ! Ils rigolent pas, ceux-là ! Je veux pas finir sur l'échafaud, m'sieur ! Je suis pas un assassin !


Je savais pas ce qu'ils complotaient. Je le jure ! Je devais juste faire en sorte que les armes arrivent jusqu'à eux ! Je pouvais pas savoir qu'ils projetaient de tuer notre bon roi ! Je suis pas une tête, juste un ivrogne sans le sou ! C'est pas mon truc, le meurtre ! Je voulais juste me faire un peu de blé ! Croyez-moi...


Il hoche la tête mais il a pas l'air de comprendre. Bon sang, je suis cuit. C'est la fin, mon vieux Hanke... Je vais me balancer au bout d'une corde à la vue de tout le bon peuple du Mur Sina, qui viendra se délecter du spectacle ! C'est ça, riez, bande de... Non, non, attendez, j'ai des noms ! J'ai les noms des têtes pensantes du complot ! Si je vous les donne, vous me libérez ?


Il me répond qu'ils ont tous été pris déjà... Merde ! Qu'est-ce que je peux vendre pour sauver ma peau ?... J'ai rien à donner ! Le roi Fritz sera indulgent ! Il comprendra que je lui voulais pas de mal ! Que je savais pas, hein, dites !? Il va me gracier ! Je vois à sa tête que c'est pas la peine d'y penser ; le roi me jettera même pas un regard...


Tout le monde s'en fout, de mon sort...


Je veux pas mourir ! Mettez-moi en prison mais me tuez pas ! Qu'est-ce que je peux faire ? Je vois déjà la blonde se diriger vers moi pour m'emmener hors d'ici. Attendez ! J'ai pas tout dit ! Laissez-moi ! Si je vous donne quelque chose, une info intéressante, un truc que vous savez pas, j'aurais la vie sauve ? Je sais que vous êtes sur un grosse affaire de meurtre en série dans les bas-fonds, que vous travaillez avec la garnison pour coincer le tueur. Je sais qui est le tueur ! Je peux vous dire son nom et où il vit ! Je sais qu'il a déjà zigouillé pas mal de vos gars ! Je vous le dirais mais je veux un document officiel qui confirme bien que je serais pas exécuté ! Je veux le voir, je veux être sûr ! Je signerai tous les aveux et dépositions que vous voudrez ! Mais me tuez pas ! Pitié !


On m'apporte un papier sur lequel il est écrit que l'Etat me promet la prison à vie en échange des informations que la brigade recueillera de ma bouche, si elle les juge intéressantes et fiables. Je sais pas bien écrire, seulement mon nom. Je le mets en bas de la feuille. Le type des brigades spéciales la fait disparaître de ma vue et s'installe confortablement pour entendre ce que j'ai à dire.


Pardon, Kenny, m'en veux pas. Mais... c'est tout ce que j'ai à vendre... Je veux pas mourir...

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Bordel de merde ! Je l'ai échappé belle, ce coup-ci ! Une épaule en sang, c'est le moindre mal ! Qu'est-ce que les gars des brigades spéciales faisaient dans le coin ?! Qui les a rencardés sur mon dernier coup !? Ils étaient pas là par hasard, non ?


Je me traîne sur quelques mètres et je me planque sous une porte cochère. J'entends leurs bottes claquer dans la rue à côté. Le quartier est sans-dessus dessous. Ils me sont tombés dessus au moment où je planquais le corps... J'ai dû me tirer en vitesse ; en en zigouillant deux au passage. Je connais les bas-fonds bien mieux qu'eux, ça va me servir. Ken, rase les murs. Il faut pas les mener jusqu'à la planque.


Je me remets en marche, d'une bonne allure et je lâche mon épaule, faudrait pas qu'on comprenne que je suis blessé. Je me redresse, tout en cherchant les coins sombres. Me fondre dans la foule serait une bonne idée mais tout le monde court un peu dans tous les sens, sauf celui dans lequel je vais. Je met les mains dans mes poches, nonchalamment... Je reste calme, je respire un bon coup. Mais je bout à l'intérieur.


Qui m'a balancé ? Qu savait où j'allais ce soir ? J'en vois qu'un. On s'est bourré la gueule hier, j'ai peut-être lâché des trucs sans le savoir. Ce putain de Hanke ! Ces saletés de brigadiers sont venus pour moi, ça fait pas un pli. Pourquoi ce connard m'a balancé ?! S'il m'a balancé... Ouais, c'est forcé ! Il voulait se faire du fric peut-être ! Sa petite affaire de trafic d'armes a dû mal tourner ; je me souviens d'un gros coup de filet... Qu'est-ce que t'as fait, Hanke !? Tu vends tes potes pour être dans les petits papiers de ces salauds ? Pote, c'est ça, ouais ! Si jamais je revoie ta sale gueule, je la refais totalement !


Pas le temps, là. Il faut tracer jusqu'à la planque et se faire la malle. Livaï doit pas dormir de toute façon. Je vais le secouer et on se tirera d'ici vite fait ! Parce que si Hanke leur a tout dit, ils vont sûrement débarquer à domicile dans peu de temps ; en admettant qu'ils trouvent, les rues sont compliquées dans le quartier... Ca nous laisse du temps. Oh... et puis merde ! je pourrais juste me tirer et le laisser là... Ken, arrête avec tes conneries, tu vas pas abandonner le microbe aux mains de ces sales types !


Fallait s'y attendre, aussi ! Ca fait des années que j'officie plus que dans les bas-fonds, ça a fini par se voir. Là-haut, y a plus d'espace, plus de possibilités de cachettes pour les corps...  plus de surveillance aussi, enfin dans mes souvenirs. Mais je me débrouillais mieux ; ici, les cadavres s'entassent plus vite. Ils peuvent pas retourner là-haut veiller sur les fesses des bonnes gens, et me laisser faire mon business tranquille ?!


Faut changer de quartier. Le quartier est, ouais, c'est un bon choix. Du temps de Kuchel, y avait pas encore trop de criminalité et peu de patrouilles. Peu de clients potentiels aussi, je parie. Bah, l'essentiel, c'est de se mettre au vert pendant un moment. Devenir invisible, faire en sorte qu'ils m'oublient ou me croient morts.


J'arrive à la planque. Pas de brigade en vue. J'ai dû les semer. Je rentre discrètement, contrairement à d'habitude. Livaï est en train de passer le balai. Lâche-ça, le nain ; on s'arrache ! Il me regarde avec ses grands yeux interrogateurs, mais j'ai pas le temps de lui expliquer. Je commence à emballer les quelques affaires que je possède et je lui dis d'en faire autant. C'est un ordre, gamin, obéis ! Il laisse tomber le balai et obtempère sans poser de question. Il doit sentir qu'il y a urgence, que je suis pas dans mon état normal. Et puis je suis salement blessé, ce qui a pas dû lui échapper. Il a l'esprit vif, il comprend vite les situations.


J'oublie pas de ramasser tout le fric que j'ai gagné - ainsi que la boîte de Kuchel - et je fourre tout ça dans ma besace. J'ai pas grand chose à embarquer, faut dire ; le gamin a plus de choses que moi... Laisse ça ici, Livaï, on prend que le nécessaire ! Prends ton fric, ton thé, si tu veux, tes bouquins, tes fringues ; laisse le reste ! Non, tu laisses le balai, on va pas s'encombrer de ça ! Je sais même pas où on va crécher en plus...


On est fins prêts tous les deux. Mais je reste encore un peu sur place, à me poser des questions. Ils doivent avoir mon signalement ; et si ça se trouve ils ont investi le quartier déjà... Il faut passer inaperçu. J'enlève mon imper et je fourre mon chapeau dans ma besace. Je me garrote vite fait le bras, histoire que ça pisse pas trop. Livaï me donne un coup de main. Puis je glisse mon imper roulé en boule sous ma chemise. Voilà, ça me fait une belle bedaine, pas vrai ! Puis je frotte la saleté du bord de la cuisinière et je m'en enduis le visage. Quand j'approche ma main de la gueule de Livaï, il fait la grimace et tente de m'échapper. Viens là, le nain ! Si je suis seul à avoir cette tronche, ils vont trouver ça bizarre ! C'est un ordre, tu piges ?! Voilà, on est aussi noir l'un que l'autre ; non, le petit l'est bien plus que moi. C'est pour la bonne cause, arrête de râler ou je te laisse là, morveux !


On se saisit de nos besaces et j'entrouvre la porte très doucement, prêt à me trouver nez à nez avec ces joyeux drilles. Personne. On se glisse vite à l'extérieur, et on prend la tangente. Le but c'est de s'éloigner au plus vite de ce coin. Et pour ça il va falloir emprunter la grande rue, trop découverte à mon goût... Cependant, faut pas se leurrer ; ils doivent se douter qu'un criminel comme moi va prendre les ruelles isolées ; mauvaises idée de les utiliser. Non, on va remonter cette grande rue aux yeux de tous, comme des gentils citadins sans histoire.


Je m'assure que ma bedaine postiche risque pas de se faire la malle et je m'avance en pleine lumière, Livaï collé à ma cuisse. On nous regarde pas, on nous ignore totalement, très bien. Mais faut pas trop tenter la chance. Je marche d'un bon pas, comme si moi aussi j'étais effrayé et voulait me tirer du chemin des brigades ; mince, y'en a une qui vient vers nous ! Gamin, donne-moi la main ! Donne-la ! Faites pas attention, messieurs, on est juste une petite famille heureuse ! J'ai pas l'air d'un père idéal avec mon énorme ventre et mon gamin cradingue ? Si, n'est-ce pas ! C'est ça, passez votre chemin... on a à faire ailleurs...


Un chuintement caractéristique se fait entendre au-dessus de nos têtes. Voilà qu'ils ont sorti l'équipement tridimensionnel. Ils devaient pas trouver la planque en allant à pattes. Pas grave, on est déjà loin, et méconnaissables. J'ai rien laissé en arrière qui pourrait leur donner des infos. Je sais même pas moi-même où on va, en réalité... L'ancienne baraque de Kuchel ? Non, ça rappellera sans doute de mauvais souvenirs au petit - et à moi aussi ; et puis il nous fait un coin plus isolé, mais trop loin d'un point d'eau. On verra sur place, l'important c'est de pas se faire remarquer pour le moment.


Livaï a l'air fasciné par les acrobaties aériennes des brigadiers. Il reste le nez en l'air, la bouche ouverte, il cligne même plus des yeux pour pas en perdre une miette. Arrête de mater ces oiseaux de malheur, gamin, on s'arrache ! Et à l'avenir, fais confiance à personne, ça te retombera toujours dessus un jour ou l'autre !


On arrive au quartier est. Personne panique ici, la vie suit son cours. Tant mieux. Par ici, il y a un pont de pierre qui enjambe ce qui aurait dû être le lit d'une rivière artificielle. Mais y a jamais eu de rivière ici. Du coup, on s'y installe. Et j'en profite pour faire le point. Va falloir vivre sur nos réserves de fric pendant un moment ; Livaï peut continuer à mendier, et il connaît mieux le quartier que moi. Je vais laisser tomber le manteau et le chapeau, et m'intégrer un peu plus dans la population du quartier, quitte à me trouver un boulot temporaire comme couverture...


Le môme s'est endormi sur mon faux bidon ; il a eu son compte pour la journée. Moi, j'ai pas sommeil. Je monte la garde. Faudrait pas qu'on vienne nous tirer nos affaires. Le vieux pote peut encore frapper...

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Kenny et moi, on s'est trouvé une nouvelle planque, pas très loin du puits de lumière. Il a fallu la retaper un peu, alors on s'est mis au bricolage ; tout un pan de mur manquait. C'est très éloigné du centre-ville, alors on risque pas de voir arriver la garnison ou les brigades. Kenny a dû faire une connerie, et il s'est fait choper. Quand on aura reconstruit une planque digne de ce nom, il retournera travailler. Il veut que je l'appelle Manfred en public, parce qu'il faut pas attirer l'attention. J'ai un peu de mal encore à le sortir naturellement.


Il sait pas encore quoi faire. Y a pas tellement d'emploi par ici ; à part marchand, voleur, tueur, souteneur ou chasseur de rats. Moi, je continue à mendier, et à voler de temps en temps. Y a pas Jochem et sa bande par ici, alors je suis tranquille. On vit sur nos économies pour l'instant.


Pourquoi il deviendrait pas brigadier ? Il pourrait voler au-dessus des toits comme un oiseau. Je suppose que ça ferait mauvais genre, après avoir été tueur à gages. J'aimerai voler comme ça. J'ai demandé à Kenny comment ils faisaient. Il m'a expliqué qu'il ont sur eux un équipement spécial, avec du gaz qui les fait voltiger. C'est super chouette ! J'en aurai un aussi plus tard ! Comme ça personne pourra m'attraper !


Je manie mieux le couteau maintenant. Kenny m'a bien montré comment bouger le poignet et je le fais très bien, qu'il dit. Mais j'espère pas avoir besoin de tuer quelqu'un. Je sais pas, mais... je trouverai ça dégoûtant. Quand j'étais plus petit, je pensais souvent à tuer des gens, mais je pensais pas vraiment le faire, je le sais maintenant...


J'ai voulu que Kenny m'apprenne à écrire, mais il sait pas lui-même ; et de toute façon, qu'il dit, ça sert à rien. Lire, oui, c'est utile, mais écrire, c'est bon pour les bourges de la haute. Il me faudrait juste de l'encre et une plume, et je pourrais m'entraîner en recopiant mes livres. Kenny m'a laissé réciter devant lui, et il m'a dit que je lisais bien. Mais y a encore des mots que je comprends pas. Je réussis aussi à compter sur mes doigts ; Kenny va m'apprendre de plus grands nombres ; il dit que c'est pour pas me faire plumer plus tard.


On sort plus souvent ensemble ; il veut que je lui montre un peu le coin. Ca a quand même un peu changé depuis que je suis parti, mais les rues sont les mêmes. Il y a pas tellement plus de commerçants qu'avant, et l'eau de la fontaine est plus aussi bonne que dans mes souvenirs... Ca fait chier Kenny de devoir trouver un autre boulot, mais il pourrait vendre les clopes que je chipe  ; les gens aiment bien fumer par ici, et ça se vend cher. Faudra que je lui en parle. Je peux pas le faire moi-même, on me les piquerai. Mais je voudrais qu'il arrête de fumer dans la planque ; ça met de la cendre partout ! Je fume aussi un petit peu... c'était juste pour essayer au début. C'est pas mal mais je le fais que lorsque je m'ennuie, ça m'occupe les doigts.


Une fois, je suis retourné voir la maison de maman ; personne y habite et elle tombe en ruines. Je suis entré dedans, il y avait plus rien ; les pillards sont passés par là. Je sais bien, je le fais aussi. Mais au milieu de ses vieux draps, j'ai trouvé son foulard. C'est un long morceau de tissu blanc et  très doux que maman mettait dans les cheveux quand elle faisait le ménage ou la lessive. J'aimais bien tirer dessus pour que ses cheveux se détachent et je courais avec dans la maison ; elle essayait de m'attraper et me faisait un câlin quand elle y arrivait - enfin, quand je le laissais m'attraper... J'ai gardé le foulard ; je l'ai lavé et rangé dans un tiroir d'une vieille commode que Kenny a trouvée dans une baraque vide. Il l'a portée sur son épaule comme si ça pesait rien, je m'en souviens encore.


J'ai enfin demandé à Kenny comment il a fait pour devenir aussi fort. Il m'a répondu qu'il savait pas trop... mais il m'a raconté qu'un jour, il était tombé sur une bande de salopards - il devait avoir à peu près mon âge. Ils ont essayé de le dérouiller, et il n'avait jamais ressenti une telle peur avant cela ; et plus jamais après. Ils avaient des couteaux et voulaient le planter. Il se sentait pas capable de se battre contre eux, il se voyait déjà raide mort, crevé dans le caniveau. Mais il voulait pas mourir ; sa plus grande peur, c'était pas ces connards, c'était de mourir. Et quand il a compris ça, il a eu l'impression que ses yeux s'ouvraient ; qu'il voyait tout beaucoup plus clairement qu'avant, comme si jusqu'à présent, il avait été bigleux. Quand les types se sont jetés sur lui, il m'a dit qu'il les voyait bouger très lentement, comme s'ils patouillaient dans la boue ; et il a compris ce qu'il devait faire. Il a saisit le couteau du premier type et s'en est servi pour buter tous les autres. Après, il se sentait un peu différent, pas seulement parce qu'il avait tué pour la première fois. Il se sentait incroyablement fort, comme si rien pouvait l'arrêter. J'ai adoré cette histoire. Je sais pas si c'est vrai ou s'il me l'a servie pour que je la ferme, mais je pense que c'est pas tout inventé.


Est-ce que je serais fort comme lui plus tard, que je lui ai demandé ? Il a rigolé et a répondu que je risquais pas si je grandissais pas un peu ; et puis il faudrait que je me muscle aussi. Kenny fait parfois des pompes au milieu de la planque ; j'essaie de l'imiter mais c'est dur. J'ai réussi à en faire dix hier. C'est pas mal, non ? Bon, Kenny dit quand même que ça pourrait bien m'arriver à moi aussi, de devenir fort comme lui. J'espère que oui. Mais... si je pouvais éviter de tuer quelqu'un pour ça...


J'ose pas encore lui demander si c'est vraiment mon papa. Faudra bien que je le fasse un jour...

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Une nouvelle famille s'est installée il y a deux mois dans le coin ; en fait de famille, ça doit être un homme et son fils. Ce sont plutôt des mères seules qu'on voit la plupart du temps... Ils ont emménagé dans une des vieilles bicoques des hauteurs, là où mon mari dit que "le plafond est bas". C'est très éloigné de tout et donc peu fréquenté, aussi je me demande s'ils sont pas louches, ces deux-là. Mais après tout, qui peut se vanter de savoir ce que tout un chacun dissimule ? On a tous un passé plus ou moins reluisant ici.


Le père, un dénommé Manfred, est encore à la recherche d'un boulot. Je le croise souvent dans le centre ; soit il boit au bar, soit il fait la tournée des commerces. Il est plutôt grand et bien bâti, il devrait essayer avec la petite entreprise montée par le gouvernement qui fait en sorte d'entretenir un peu le pavement. Peu de chance qu'on l'engage pour tenir un commerce, il a pas la tête de l'emploi. Pour tout dire, il me fait plus penser à un truand qu'autre chose... Enfin, mieux vaut ne pas me poser tant de questions, à partir du moment où il ne fait pas parler de lui.


J'ai vu son gamin faire la manche plus d'une fois. Ca me fend toujours le coeur de voir ce genre de petit être décharné seul dehors, à la merci du premier venu. Il n'y a pas tellement de mendiants ici, beaucoup moins que dans le centre-ville, alors il doit avoir de quoi faire ; je lui ai déjà donné une pièce ou deux. J'espère seulement que ça ne finit pas en boisson dans l'estomac de son père... La prochaine fois, je lui achèterai directement quelque chose à manger. Il est si maigre !


Je n'ai jamais eu le bonheur d'avoir d'enfant à moi, la seule grossesse que j'ai vécue s'est mal terminée. Depuis, plus rien ; et puis, je suis trop vieille pour ça maintenant. Mais les enfants d'ici me font toujours un peu pitié. Je suis pas loin de penser que c'est un peu criminel de les obliger à naître ici, avec comme seules perspectives le vol, le meurtre ou la prostitution. Oh, certains s'en sortent et exercent des métiers honnêtes, mais même parmi ceux-là, y en a peu qui peuvent se vanter de ne jamais avoir exercé quelques temps ce genre... d'activités. Mon mari lui-même... enfin, je ne parlerai pas de ça. Disons quand même que c'est grâce à lui si j'ai jamais été obligée d'aller faire le tapin. Il est chasseur de rats maintenant ; ça paie pas beaucoup mais il manque pas de travail.


Depuis peu, ce qui m'inquiète, c'est que la racaille a tendance à se déplacer par chez nous. On était bien tranquilles avant - le quartier a connu des hauts et des bas -, mais depuis que les brigades spéciales quadrillent le secteur du centre-ville pour tenter d'arrêter ce Kenny l'Egorgeur, ils fuient pour sauver leur peau. Je m'attends à ce que notre quotidien soit bouleversé d'un jour à l'autre par cet afflux de criminalité. J'essaie déjà de ne plus trop traîner dans les rues trop tard, et je fais mes courses rapidement. Peut-être que les prix vont de nouveau chuter, ce serait un moindre mal.


Le petit qui mendie devra faire attention lui aussi, s'il veut pas se faire enlever ou molester. Son père devrait vite trouver un travail et le garder chez lui. Je dis ça, je dis rien ; c'est mon instinct maternel qui parle. J'enverrai mon mari là-haut proposer ses services au père ; une vieille habitation abandonnée depuis des années doit regorger de rats.

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Si les gangs commencent à s'installer ici, ça risque de sentir le roussi dans pas longtemps.


Malgré ma couverture, je suis pas si insoupçonnable que ça, je passe pas inaperçu et la présence de Livaï fait jaser. Un homme seul avec un mouflet, c'est pas commun... Je fais ce que je peux pour passer pour le brave type qui cherche du boulot, mais si j'en dégote pas vite, on va trouver ça louche. Je suis allé au bordel voir si on avait pas besoin de mes services ; ça a rien donné. Et puis j'ai pas tellement envie de travailler là-dedans. Y a quelques bars, mais aucun disposé à m'engager. C'est pas tellement pour gagner de l'argent, mais surtout pour me planquer ; qui irait imaginer Kenny l'Egorgeur bossant dans un tripot ?


Je retourne de temps en temps seul dans le centre-ville, et j'ai constaté que les recherches ont pas faiblit. Faut dire que j'ai bien dû zigouiller quelques gars de la haute qui trafiquaient ici... Pas étonnant qu'on fasse pression pour m'arrêter. Je me suis fait des ennemis hauts placés, c'est clair. Autrement, on aurait pas appelé les brigades spéciales pour coffrer un tueur de miséreux.


Alors, j'ai pas le choix ; je tue au hasard des truands dans le coin, histoire qu'ils pensent que je suis toujours par ici et qu'ils aillent pas chercher ailleurs. Et puis faut bien admettre que le vieux pote me démange un peu... Ca me passe les nerfs. Je trépigne à force de rien faire, de rester inactif...


Du coup, je passe plus de temps avec le nain. Il s'est mis en tête de s'entraîner un peu, alors je lui montre l'exemple ; c'est pas parce que je bosse plus que je dois me laisser aller, il faut garder la forme ! Les baguettes qui lui servent de bras et de jambes vont sans doute commencer à gonfler un peu, il va avoir l'âge. Par contre, je désespère de le voir gagner en taille ; il va gratter pour se faire respecter plus tard... Quoique ses yeux gris peuvent en intimider plus d'un, même moi j'ai du mal à les fixer plus d'une minute, c'est dire. Ceux de Kuchel me faisaient pas cet effet là ; ils ont un truc en plus, un éclat particulier qui reflète une grande intelligence, un esprit qui devine et surveille tout et tout le monde, j'sais pas... Il apprend vite, comme le calcul par exemple. Il s'est amusé à compter le nombre de pièces et de billets qui nous restait, et depuis il fait ses comptes tous les soirs, comme un vrai chef de bande !


L'autre jour, je l'ai étalé par terre avec une prise de mon cru. Il est resté étendu cinq minutes en bredouillant que la sensation était intéressante. Et il en a redemandé. Je me suis pas fait prier ! Mais faudrait pas qu'il se casse quelque chose, pas les moyens d'appeler un toubib. Il devient de plus en téméraire et imprudent ; une question d'âge, je suppose. Pendant que je ressortais d'un... entretien d'embauche peu concluant, je l'ai vu se glisser dans un groupe de malfrats qui discutait. Il en est ressorti avec les mains vides mais les mecs au cul, couteaux brandis ! Je les ai laissés le courser, le sourire aux lèvres, quand même prêt à intervenir si ça tournait mal. Je l'ai retrouvé à la planque. Je l'ai sermonné un peu ; qu'il fasse gaffe, je veux éviter de tuer ici, j'ai assez d'emmerdes comme ça !


Notre pactole commence à diminuer... Si je trouve pas un boulot sans histoire d'ici un mois, on risque d'avoir du mal à croûter... Ce que Livai ramène ne suffira plus. Il a déjà fait l'effort de se passer de son thé - apparemment, personne n'en vend dans le coin... Et puis me faire entretenir par ce gamin me dérange au plus haut point. C'est pas comme ça que ça doit se passer !


Bon, on va fumer une clope ensemble et parler de notre avenir en regardant le plafond obscur au-dessus de nos têtes. Enfin, quand il aura fini de faire le nettoyage de la chambre et la course aux rats ! Ces bestioles le rendent marteau, il court dans la baraque avec un vieux balai ramassé je sais pas où, dans l'espoir de les assommer ! Autant dire que ça l'aide pas à trouver le sommeil... Et puis il fait toujours des cauchemars, qu'il dit.


D'une façon ou d'une autre, il va falloir qu'on se sorte de cette situation.

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Les brigades sont retournées se planquer, mais la garnison lâche pas l'affaire. Le centre-ville grouille encore de patrouilles. Ils ont pas autre chose à faire, ces merdeux ? Plus j'y pense et plus je me dis que Kenny l'Egorgeur va devoir se suicider professionnellement s'il veut s'en sortir...


Ca va faire des mois que j'ai arrêté de tuer pour la forme. Je pensais que ce serait suffisant pour me faire oublier. Mais apparemment, quelqu'un m'en veut à mort et souhaite pas que retourne bosser, je vois que ça.


J'ai dégoté un boulot de couverture sur un petit chantier qui s'est ouvert depuis peu au fond du quartier ; apparemment la bonne âme du pensionnat veut réitérer son exploit inutile et en ouvrir un autre ici. J'ai discuté un peu avec les ouvriers : personne ne connaît l'identité de ce généreux mécène. Mais il paie bien, ça vaut le coup.


Au moins ça me fait dépenser mon énergie, y a rien que je déteste plus que de me tourner les pouces ! Livai m'apporte des fois de quoi bouffer et fumer sur le chantier, y a pas à dire, ce gamin est prévenant quand même. Y a vraiment un petit coeur qui bat là-dedans ! Pas à se demander de quel côté de la famille il a chopé ça...


Mine de rien, c'est pas désagréable de savoir que quelqu'un vous attend chez vous... Bah, je suppose que c'est mon rythme de vie qui me fait penser ça, j'ai pas l'habitude... Ca durera pas ; je suis pas fait pour me contenter de ce genre de travail.


Le nain m'a relancé au sujet de Kuchel il y a peu ; soi-disant que je lui avait promis de l'emmener au ciel. C'est vrai, je me souviens maintenant ; il oublie rien, ce mouflet... Il a bien fallu que je lui explique que tant que j'aurai pas repris le travail avec mes clients rupins de la surface, ça allait être compliqué. Il a un peu fait la tête mais je crois qu'il a compris. Il a sa manière à lui, en croisant les bras et en vous regardant fixement, de vous faire vous sentir coupable...


Son caractère s'est encore affirmé ces dernières années ; la dérouillée qu'il a prise a dû le marquer. Je suppose qu'il s'est bagarré depuis et qu'il s'est fait respecter. Il ne me parle jamais de ça, il veut pas que je m'en mêle. Très bien, mon capitaine, à vos ordres, de toutes façons, ça m'intéresse pas. Cela dit... si, ça m'intéresserait de savoir comment il se débrouille en situation réelle... Juste pour juger de ses progrès. Je suis concerné après tout, non ?


Là, je rentre du chantier, bien crevé et bien crade. Je vais quand même allé me baquer, parce que là, ça craint. Un minimum d'hygiène, ça fait pas de mal. V'là qu'il déteint sur moi, maintenant... Eh là, c'est moi où j'ai l'impression qu'on me file ? Il me semble qu'une silhouette sombre s'est glissée dans la ruelle du fond au moment où j'arrivais... Gaffe, Kenny. Aie l'air de rien, conduis-toi comme un bon citoyen de seconde zone. Mais... je vais les faire danser un peu, histoire de voir si j'ai vu juste.


Je pousse la porte du premier troquet venu et commande un verre ; et un deuxième. J'évite de me faire remarquer et je guette le bruit de la porte. Je me retourne très discrètement pour scruter ceux qui rentrent, mais aucun signe de mon suiveur... Je finis mon troisième verre et je me décide à sortir. Personne. Est-ce que j'ai plus le nez ? He he, non, le voilà, le corbac. Il a essayé de se dissimuler en loucedé mais on me la fait pas. Bon, on va essayé de le semer, comme au bon vieux temps.


Ce type m'a pas l'air d'un officier, il porte un long manteau noir et un large chapeau. Il a le sens du style, ça me connaît. Un espion, ou un assassin envoyé pour me faire la peau. Ca voudrait dire que je suis repéré. Mais pourquoi ne pas m'attaquer alors ? On dirait qu'il attend quelque chose... Plus je marche avec ce type au cul et plus je me dis qu'il est là pour autre chose... En tout cas, je vais pas l'emmener à la planque, quitte à coucher dehors. Livaï va peut-être s'inquiéter mais il remerciera quand il saura que j'ai fait en sorte que ce type n'entre pas chez nous avec ses pattes sales.


En tout cas, une chose est sûre : il sait qui je suis, et le mieux serait de le zigouiller. Le vieux pote est toujours avec moi. Mais je sais pas pourquoi... je suis pas encore décidé. Il m'intrigue. Je verrais plus tard ; s'il insiste, on aura une discussion.

 

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Le boss m'a demandé d'attendre que la cible prenne contact d'elle-même. Je sais que je joue gros avec lui, s'il a le moindre doute sur mes intentions, il pourrait me planter. Cela dit, vu qu'il est en cavale, il y réfléchira peut-être à deux fois. Et je suis pas sans défense, si je dois l'assommer et le ficeler pour qu'il reste tranquille, je le ferais.


Non. Ce type est un Ackerman. C'est pas n'importe qui. Je serais sans doute mort avant d'avoir posé la main dessus. Je dois être prudent, lui montrer que je suis là sans être trop envahissant. Je crois qu'il a fini par s'habituer à ma présence ; et comme il a un emploi régulier, ses allers et venues sont prévisibles. Il va bien finir par m'aborder.


On croirait pas comme ça que ce type est une force de la nature. Plutôt grand et dégingandé, mais souple et méfiant comme un chat... plutôt comme un renard. Enfin je sais pas, je l'ai entendu dire ; j'en ai jamais vu, de renard. Je suis né ici moi aussi. Ce sont mes talents qui m'ont valu d'être remarqué par le boss. Je suis jamais allé plus loin que le Mur Sina.


Ca bouge sacrément en haut lieux. On a déjà démantelé un vaste complot visant à assassiner le roi Fritz. Le boss a bien une idée de l'identité des commanditaires, mais c'est pas encore sûr. Et il a tout intérêt à ce que ce souverain fantoche continue de "régner" sur les Murs ; ou bien qu'il soit remplacé par quelqu'un de plus malléable. Et donc à éliminer tout prétendant légitime qui se présenterait en cas de place vacante. C'est pour ça que je suis là.


Je suis qu'un pion, pas très fin en politique, ni très intéressé par ces trucs-là, mais j'en sais assez pour faire mon boulot. Et je sais que la maison Reiss est un problème qu'il faut résoudre. C'est ce que dit le boss. Il veut garder son siège au parlement, et comme il trempe dans des tas de magouilles, il faudrait pas qu'un roi légitime, intègre et réellement soucieux de la justice, fasse le ménage, voyez. Or, y'en a qu'un qui a le profil.


Uli Reiss.


Le clan Reiss vit sous une sorte anonymat, mais moi je sais bien que ce sont eux qui font tourner la baraque. Ils jouissent de l'immunité car le pouvoir en place a besoin d'eux pour maintenir le contrôle sur la populace ; l'effacement de mémoire, tout ça. Comme maintenant je fais partie de la haute, j'y suis plus soumis, donc je suis au courant. Me demandez pas comment ils s'y prennent ; y a toute une histoire de titan, de pouvoir ancestral, que j'ai pas trop compris, mais c'est pas tellement important. L'important, c'est que je sais pourquoi le boss veut se débarrasser de ce prétendant gênant. Et pour ça, il va avoir besoin des services de ce lascar d'Ackerman.


Il sera peut-être content de contribuer après tout. Faut dire que les Reiss ont fait la chasse aux Ackerman, et aux asiatiques, bref à tous les troubles-fêtes qui voulaient pas - et ne pouvaient pas - se soumettre au système. Quand je lui aurait dit tout ça, il voudra peut-être venger sa chère famille. Famille, clan, titre... Je sais pas trop ce que ça veut dire, ce mot, "Ackerman" ; c'est peut-être rien de tout ça.


Un tueur pro, qui a peur de rien et qui massacre à tour de bras... Ouais, j'aurais pu m'en charger moi-même. Mais le boss veut ce mec. Ah, le voilà qui s'arrête, il m'observe. Ouais, je suis là, comme d'hab. Tu veux pas venir me voir, qu'on discute ? J'ai un deal à te proposer, tu pourras pas y résister. Le boss sait se montrer généreux, il l'a été avec moi. Peut-être même qu'il te prendra à son service, qui sait ? Non, pas moyen, tu me prendras pas ma place, connard.


Il se tourne franchement vers moi et m'indique de la tête un bar ouvert. Je crois que ça s'annonce bien s'il veut me rencontrer dans un lieu public. Comme ça il assure aussi ses arrières, c'est bien joué. Sauf que moi je pourrais le planter sans jamais avoir de problème, je suis intouchable. Mais bon, entre truands, on se comprend.


Allons boire un verre, Kenny l'Egorgeur, Kenny Ackerman, ou quel que soit le nom que tu te donnes maintenant ; les bas-fonds me dessèchent la glotte.

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Kenny rentre tard en ce moment. Il doit aller se saouler après le boulot, il sent la gnôle. Il a l'air préoccupé, enfin plus que d'habitude. Son travail paie bien ; moi, par contre, je gamberge un peu.


Depuis que je me sers mieux du couteau, on vient plus m'emmerder ni essayer de me tirer ma recette. Mais y a pas grand monde qui vit ici - même le bordel a fermé - et c'est dur de voler sans se faire remarquer. Alors je mendie. J'ai bien demandé aux commerces du coin s'ils avaient pas besoin de moi, mais j'inspire pas confiance, on dirait. Je peux pas tellement leur en vouloir, j'ai dû chiper chez eux plus d'une fois.


J'aimerais bien qu'on retourne au centre-ville. Ici, tout est loin de la planque, la bouffe, l'eau, et le reste. Ca me saoule de devoir me taper tous ces trajets tous les jours. Kenny me dit que ça me fera les guiboles, mais je les ai pas aussi longues que les siennes, moi. Mais je distance les connards qui essaient encore de me courser. Je connais bien le quartier et ça me sert, d'être petit, je peux me cacher partout comme ça. Oui, je sais, Kenny serait pas fier s'il savait que je préfère encore prendre la fuite quand je peux, mais il a dit que je devais éviter de zigouiller des gens ici. J'ai jamais tué personne encore... mais j'en ai esquinté quelques-uns, ça oui !


Je pense pas être fort, j'essaie surtout de me débrouiller comme je peux pour éviter les ennuis. La semaine dernière - ou celle d'avant, c'est dur de savoir quel jour on est dans les bas-fonds -, j'avais des sous pleins les poches et y'avait un mioche qui tendait la main au coin. Je sais pas pourquoi, je lui en ai donné un peu. C'est bizarre de me retrouver de ce côté du trottoir...


Maman disait souvent qu'il y a toujours plus malheureux que soi et que quand on peut aider, il faut le faire. Je suis d'accord avec ça, mais je suis un voleur, moi ; je rends des gens malheureux en leur piquant leur argent. Je sais pas trop comment gérer ça, j'y avait jamais vraiment pensé avant ; faudrait que je demande son avis à Kenny. Je suis pas sûr qu'il aura envie de me répondre, car il est à côté de ses pompes en ce moment. C'est à peine s'il me remarque. Je glisserai du thé dans sa chopine qu'il le verrait peut-être même pas. Ca m'inquiète... Je me souviens que maman était comme ça avant de...
Si Kenny tombait malade, comme maman... S'il mourrait... Je ferais quoi ?


Depuis ce temps-là, je fais des cauchemars où je vois Kenny mort... Y a un énorme truc noir qui lui tombe dessus et qui l'écrase... Ce serait pas un titan ? Kenny, ils existent, les titans ? Tout le monde en parle mais personne en a jamais vu. Si Kenny en a jamais vu, c'est qu'ils doivent pas exister, hein ?

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Va falloir que je me décide. Et vite.


Le joujou qu'il m'a filé me brûle les doigts. Avec ça, je peux dégommer n'importe quoi à distance, sans même être repéré. Je m'entraîne avec quand Livaï est pas là. J'ai déjà un bon coup de main. Je pourrais le garder une fois le boulot terminé, qu'il a dit. J'en reviens toujours pas, de ce deal du siècle qu'on me propose.


J'aurai dû deviner tout de suite que c'était un intermédiaire, sapé comme il l'était. Cet Ortwin travaille pour un membre éminent du parlement, et accessoirement un gros bonnet de la pègre du Mur Sina. Ce type voudrait que je tue quelqu'un. Pourquoi moi ? je lui ai demandé. Parce que je suis le seul à pouvoir le faire. D'accord, et c'est qui, cette cible si importante et si difficile à tuer ? Le leader du clan Reiss. Reiss, Reiss... Ca me dit rien du tout. Mais il paraîtrait que c'est le véritable roi des trois Murs ; que c'est lui qui maintient un semblant d'ordre dans tout ce merdier. Il aurait un genre de pouvoir mental très puissant qui efface les mémoires des gens. Qui efface les mémoires ? Intéressant, ça. C'était donc pas des cracks inventés par papi.


Ortwin m'a informé que c'était ce clan, le véritable clan royal, qui était responsable de la persécution des Ackerman. Il m'a regardé attentivement après m'avoir balancé ça, pour voir comment j'allais réagir. Il a rien eu du tout. Mais je dois bien dire que ça m'a un peu secoué. On s'est fait exterminer parce que ces fumiers de Reiss pouvaient pas nous soumettre ?! Avoir enfin un nom à coller là-dessus, ça faisait un bien fou. Mais je me sentais pas mieux pour autant. Bizarre, hein ?


Ortwin en est venu à ce qui me concernait. Son patron sait qui je suis, un Ackerman, et il m'assure que j'ai les capacités pour descendre le chef de clan Reiss, un certain Uli. Lui et sa famille vivent dans une ferme dans les pairies du Mur Rose. Ils sont sous la protection de la première division des brigades spéciales, la section la plus mystérieuse - et sulfureuse - du corps militaire. Mais la famille quitte souvent ses terres pour se rendre à Mitras, les attaquer dans la campagne serait aisé ; il suffirait juste de me tracer un itinéraire...


Eh doucement, que je lui ai dit ! Ca me rapporte quoi, à moi ? A part une petite vengeance tardive pour mes ancêtres ? Et là, il a sorti le grand jeu ; un blanchiment total de mon casier judiciaire, une coquette somme d'argent qui me mettra à l'abri pour des années, et le fin du fin : les papiers de citoyenneté qui me permettront de vivre au soleil jusqu'à ma mort. J'avoue, j'étais sur le cul ! Cet Uli Reiss doit être un sacré emmerdeur pour qu'on m'offre tout ça en échange de sa tête !


Et le petit ? que j'ai demandé. J'ai un mouflet avec moi. Il pourra devenir citoyen lui aussi ? Ortwin m'a assuré que son patron y réfléchirait, mais que c'était surtout de moi qu'il s'agissait. Mais à tout hasard, il m'a posé la question : c'est un Ackerman lui aussi ? Je me suis montré prudent, et lui ait dit que non, juste un chiot perdu que j'ai recueilli dans ma grande bonté. Il a eu l'air de gober.


En gage de sa bonne foi, il m'a filé cette merveille. Un bijou de technologie dernier cri, une pétoire qui a cours que dans les brigades spéciales. Il m'a assuré que je pourrais tuer Uli Reiss qu'avec ça. Pourquoi pas un bon vieux couteau ? Il a eu l'air évasif et a fini par me dire que ça risquait d'être dangereux, que les Reiss ont des pouvoirs spéciaux, et qu'il vaut mieux le tuer de loin. D'accord, monsieur. Je comprends pas grand chose à tout ça, mais après tout...


Je l'ai regardé de travers. J'aime pas tellement traiter avec les sous-fifres... Et si c'était des conneries ? Je veux voir la couleur des billets ! Ortwin m'a assuré qu'il reviendrait dans un mois, ici même, pour savoir si j'étais partant ; d'ici là, je me serais familiarisé avec la pétoire et pris une décision, pas vrai ? Si je me présentais ici et acceptais le boulot dans un mois, j'aurais droit à un acompte, qu'il a dit, et à des détails sur comment m'y prendre.


Le problème, c'est que ça fera un mois dans deux jours et que je suis toujours pas décidé... Et si je demandais son avis au nain ? Il a souvent de bonnes intuitions, ha ha ! Je sais pas pourquoi mais ça m'a l'air trop bizarre pour pas être un coup fourré, tout ce bazar. Mais v'là la récompense de prince qu'on m'a promise... Plus de souci à se faire ! Et puis, si c'était vraiment bidon, on m'aurait pas révélé tous ses secrets d'état, non ?


Bon sang, c'est la première fois de ma vie que je me sens si peu sûr de moi. Ca serait le coup de ma vie... et peut-être bien le dernier.

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On peut dire qu'il se fait désirer, celui-là... Il m'a quand même fait poireauter deux jours entiers dans cette putain de taverne moisie... Heureusement que je suis bien payé pour ça.


Il a apprécié le flingue et se dit partant pour la mission. Il a pas tellement le choix, autrement il croupira ici. Ou il se fera choper par les brigades. Le boss a fait ce qu'il fallait pour que son avis de recherche reste sur le dessus du panier, pour qu'il continue de se sentir traqué. Un homme sans espoir est plus enclin à risquer sa vie. En admettant qu'il revienne vivant, le boss fera sans doute tout ce qu'il a promis - pour le môme, je sais pas.


Je lui donne d'autres détails, comme le signalement de la cible, l'endroit et le moment où il serait plus judicieux de lancer l'attaque... Enfin, je me garde bien de lui parler du titan, il a pas besoin de savoir ça, pas vrai ? Même s'il savait, ça changerait rien, il a une chance sur deux d'y rester. Le boss dit qu'un Ackerman devrait pouvoir y arriver, mais franchement, je miserai pas sur ce type.


Je lui file le quart de la somme promise ; avec l'avertissement express que s'il se fait la malle avec sans remplir sa part du contrat, il finira en taule. Ca fait déjà un paquet de fric, il a intérêt à planquer ça ; heureusement qu'on s'est mis dans un endroit discret... Il le prend pas mal, les affaires sont les affaires, qu'il dit, il sait comment ça se passe.


Un dernier verre, pour la route... On en boira sans doute plus ensemble, de toute façon. Et c'est tant mieux, je me suis pas tiré de ces taudis pour y passer mes journées. Je vais pouvoir remonter là-haut, là où l'air est moins vicié.


Quelque part, je me dis que si ce Kenny arrive pas à régler son compte à Reiss, personne le pourra. Bon vent, Kenny Ackerman, et bonne chance, malgré tout.

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De nouveau à la surface. Mais pour combien de temps ?


Je sais bien que je risque ma peau. Cet enfoiré d'Ortwin me l'a pas dit tel quel, mais je l'ai deviné. Ca va être costaud. En attendant la suite, je me remplis les poumons de cet air frais et pur, qui vient des plaines du Mur Rose. Du haut du Mur Sina, il est encore plus vif. Tellement qu'il peut vous trancher la peau. J'avais oublié la sensation... et aussi celle du soleil. Ma peau me supplie presque de me mettre à couvert. Mais j'ai un truc à faire ici avant de m'y mettre.


C'est pas facile de grimper ici. Mais on m'a filé des passes-droits, temporaires. Je peux me déplacer où je veux dans les trois Murs durant quatre jours. Faut pas traîner. Ma proie est quelque part là-bas, au milieu de cette campagne verdoyante où on ne connaît aucun souci. On y est loin de tout, des problèmes de la ville, des intrigues politiques, de la misère des bas-fonds... Pourtant, cet Uli Reiss semble tremper en plein dans tout ça.


Le fait qu'il soit responsable - enfin, pas lui directement - des malheurs de ma lignée n'est qu'un détail. Le passé est le passé. Mais je suis bien curieux de voir sa gueule, quand même. Qui est cet homme qui semble craint pas des gens puissants ? Tellement craint que c'est moi qu'on envoie lui faire la peau ? Est-ce qu'il me suppliera de l'épargner quand je l'aurai à ma botte ? Ou bien c'est moi qui vais morfler ? Ce duel s'annonce intéressant... J'en aurais presque les chocottes, tiens !


Livaï m'a posé des questions évidemment. Quand je lui ai dit que je serais absent pendant un moment, il a tempêté pour que je l'emmène. Il a deviné que j'allais à la surface. Je lui ai dit que c'était pour du boulot, que je pouvais pas l'emmener. Mais que quand je reviendrai, on serait tout les deux des hommes riches ! Et il pourra vivre là-haut si le coeur lui en dit ! Je me suis montré convaincant mais je lui ai quand même fait mémoriser la latte du plancher sous laquelle je planque tout notre pactole, en plus de l'avance du client ; histoire qu'il soit pas démuni s'il se retrouve seul. Après tout, si j'y reste, autant qu'il serve à quelqu'un, ce fric. Qu'il reste dans la famille, ha ha !


J'ai bien vu qu'il avait un autre truc à me dire, un truc important, mais il a rien ajouté. Je saurais peut-être jamais ce que c'était. Il avait pas l'air soucieux, mais c'est jamais facile de deviner ce qu'il a dans la caboche. J'ai essayé de pas l'inquiéter : une mission de routine, rien de plus, t'en fais pas, demi-portion !


Je suis parti sans me retourner. Maintenant que j'y pense, c'est la première fois qu'on est séparés depuis que je l'ai recueilli... Faut croire que c'est moi qui m'en fait le plus...


Il va falloir décoller. J'espère que le vent va vite se lever. La vue est belle quand même... Y a pas que du mauvais dans ce putain de monde, en fin de compte. Quel que soit le côté par lequel tu le regardes, on y trouve des belles choses qui peuvent pas être changées ; les mauvaises finissent toujours par passer, elles. Comme moi, par exemple.


Ca y est, le vent souffle comme il faut. Ca pince sévère. Allez, on libère la frangine et on se tire d'ici. J'ouvre la boîte de Kuchel et je laisse ses cendres s'envoler au loin. Va courir sur la plaine, soeurette ; et si tu arrives à atteindre le ciel, dis-lui qu'on se les gèle, putain ! Pour ce que j'en dis... D'ici peu, j'irai peut-être te rejoindre là-haut... Nan, les ordures comme moi pourrissent sur place, le ciel c'est pour les gens comme toi ; ou comme lui...


Je reste comme ça, les mains dans les poches, à me geler les couilles pour rien. J'aime bien la sensation finalement ; ou moins, elle me dit que je suis en vie. Être vivant, c'est déjà quelque chose. Pourquoi je pense à ça maintenant, moi ?...


Ton grand frère te salue, Kuchel. Peut-être à tout à l'heure. Et Livaï... et ben... ça a été un honneur de te rencontrer, nabot ! Je te l'ai jamais dit, mais tu m'as rendu fier ! J'aurai au moins fait quelque chose de pas trop moche dans ma vie ! Si je reviens, je te dirais peut-être que je suis ton tonton ! Sinon, ben... bonne chance...

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Kenny a laissé un gros paquet de fric, j'ai pas à m'en faire. Je vais ni mendier, ni voler aujourd'hui. Alors je vais faire des grosses courses, comme ça Kenny aura un bon repas à son retour.


Il a pas voulu me dire où il allait, mais je sais qu'il est là-haut. Je voulais tellement qu'il m'emmène ! Il est parti avec maman... Elle doit être dans le ciel, maintenant. Et Kenny, il est où exactement ? Il fait quoi ? J'ai vu les boîtes de conserve trouées derrière la planque. Avec quoi il a fait ça ?


J'ai les bras chargés mais c'est bizarre, j'ai l'impression que c'est très léger. Je marche vite, j'attire pas l'attention, comme Kenny m'a apprit. On sera bientôt riches, qu'il a dit. Je me demande bien ce que ça fait, d'avoir plein d'argent. Qu'est-ce que je ferais avec ? J'ai plein d'idées. Déjà acheter un vrai beau balai, celui qu'on a vaut plus rien. Et puis j'irais acheter de nouveau du thé noir. Des montagnes de thé. J'ai jamais vu une montagne, mais maman m'a dit que ça ressemble à un gigantesque tas de pierres.


Non, en fait... si on va vivre là-haut grâce à tout cet argent, je voudrais vendre du thé ; il paraît qu'il y en a des tas de sortes différentes, et que là-haut les gens paient pour s'asseoir et en boire, comme dans les bars. Dans les troquets d'ici, ils en vendent pas, ils préfèrent la bière ; mais oui, je voudrais bien faire ça. J'aime tellement l'odeur... La respirer tous les jours, ça serait le pied.


Kenny m'a dit que l'air sent meilleur, là-haut. Je me rends pas trop compte... Pour moi, rien ne sent meilleur que les feuilles de thé. L'odeur du thé et du savon, y a rien de mieux.


Je me suis sali tout à l'heure, en ramassant les courses que j'ai fait tomber. Je dois aussi racheter du savon. Et des bougies. Oui, et j'irai à la pompe laver nos frusques. Kenny sera content de voir que j'ai tout lavé, non ? Maman aimait bien ça...


Je croise un groupe de jeunes, plus âgés que moi. Ils ont un drôle d'air... J'ai mon couteau dans ma poche, mais je veux pas lâcher les courses, ils me les piqueraient. Je rentre la tête dans les épaules et fait semblant de pas les avoir vus. Ils se marrent dans mon dos. La plupart se foutent de ma taille ici. Continuez à vous marrer, sacs à merde, et vous verrez qui est le plus grand, ici. J'hésite plus à me servir de ma lame quand il le faut. J'en ai esquinté plus d'un, à l'occasion. En général ils y reviennent plus, mais ceux-là je les connais pas.


Y a une patrouille de la garnison qui vient vers moi. T'embrouilles pas avec la garnison, a dit Kenny. Ils sont encore à sa recherche. Ca fait déjà bien longtemps qu'on a dégagé pourtant... Ces types inspirent pas toujours confiance ; et ils ont l'air si arrogants avec leur uniforme nickels et leurs bottes qui brillent... A se demander s'ils marchent plus d'une heure par jour avec... Enfin, je vais pas m'en plaindre, moins je les vois, mieux je me porte. Ils ont beau être propres des pieds à la tête, ils sentent mauvais.


Bon, d'accord, je peux pas m'empêcher de reluquer tout leur attirail ; celui qu'ils utilisent pour voler. Ca a l'air vachement compliqué, comme bordel. Et lourd aussi. Mais ce serait tellement génial si j'en avais un ! Je pourrais chiper tout ce que je veux et m'envoler sur les toits sous leur nez ! Si des faces de rats comme eux peuvent s'en servir, je vois pas pourquoi je pourrais pas, moi.


Oh et puis, merde ! Si je deviens riche, je veux un de ces engins. C'est du matériel militaire, mais ça doit bien pouvoir s'acheter, non ? Et Kenny aussi pourrait en avoir un ! Je suis sûr qu'un jour, on volera ensemble sur les toits de là-haut, sous le ciel bleu ! Je nous y voie déjà !


Faudrait déjà qu'il rentre... Je peux pas m'empêcher de le sentir mal, son coup. Je suis sûr qu'il va lui arriver quelque chose... Pas quelque chose de grave, j'espère pas, mais... il sera plus le même, je crois. C'est pas mal d'être un peu seul, sans lui ; mais je veux qu'il rentre quand même...

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Une rixe de temps en temps fait jamais de mal. Enfin ça dépends qui la démarre et qui la finit, ha ha !


Depuis qu'on a le gros Parsifal, faut dire que plus personne peut s'en prendre à nous sans y réfléchir à deux fois. Il a à peine plus de vingt ans, mais il fait bien dans les cent kilos déjà. Heureusement qu'il est trop con pour vouloir me prendre ma place. Il me vénère trop pour ça. A part cogner et trancher, il sait rien faire de ses gros doigts.


Une brute épaisse en faire-valoir, ça met tout de suite le respect là où il faut. Quand il a cassé la gueule de l'autre type de la garnison et l'a laissé allongé dans son sang, je me suis dit que les saleté d'officiers allaient arrêter de nous faire chier. Faut bien qu'y comprennent que c'est mon territoire ici, et que s'ils veulent pas qu'on fasse une descente dans leur caserne minable, ils feraient bien de nous laisser mener nos affaires pénards.


Cela dit, on a vidé le quartier déjà. Dès qu'on se pointe, les gens s'écartent ou rentrent chez eux. La plupart ont plus de pognon par ici. Alors on s'est mis au trafic. Des clopes, de l'alcool de contrebande, et surtout cette poudreuse qui a montré le bout de son nez sur le marché y a pas longtemps. J'y ai goûté une fois ou deux, c'était le pied. Mais je fais gaffe à pas devenir accroc ; j'aime garder toute ma tête, tant que je l'ai encore sur les épaules.


Ca se fourgue bien ; certains sont prêts à donner tout le fric qu'ils ont pour s'en procurer, c'est le bon filon. Et comme c'est interdit par l'Etat, les richards en manque viennent chercher leur dose ici. Le producteur traite qu'avec moi, ça fait grogner dans le groupe, mais c'est comme ça ; ils sauront jamais qui me la refile, ni la recette magique de ce produit qui rend riche.


Je me suis donné pour mission d'inonder de cette dope tous les bas-fonds d'ici un mois ou deux. Et plus ils sont jeunes, mieux c'est ; les jeunes deviennent accrocs plus vite, ils en redemandent toujours plus. Y a ce quartier, là-bas, où on a ouvert un refuge pour les mômes d'ici. Il va falloir s'y implanter vite, que des clients potentiels !


Bettina m'a demandé une fois pourquoi j'utilisais pas tout ce fric pour aller là-haut et devenir citoyen. Mais qui voudrait de ça ? On a la belle vie ici, tout le monde nous craint, la garnison arrive pas à nous coincer et on peut trafiquer tout ce qu'on veut ! Là-haut, on aurait vite fait de se faire coffrer. Un boulot honnête ? Pourquoi faire ? Pour se fatiguer à gagner des clopinettes, alors qu'ici on gagne plus en moitié moins de temps ? C'est pas un bon plan, ça, Betti, que je lui ai dit. Elle s'est rhabillée vite fait avant qu'un des gars nous surprenne. Vu que c'est la seule fille de la bande, forcément, ils rêvent tous de se la taper. Si ça lui plaît tant d'aller vivre là-haut, qu'elle aille se faire peloter les nichons par un bourge qui en fera sa bonne femme. Pour ce qu'elle a comme nichons...


J'emmène Parsifal avec moi chaque fois que je dois traiter. Ca décourage ceux qui voudraient m'entuber. Il joue du couteau comme personne et dès qu'il le sort, avec ses grosses paluches larges comme des assiettes, il met tout le monde d'accord. Je l'ai déjà envoyé zigouiller quelques merdeux ; Wendel y est passé, ce traître qui a essayé de se tirer avec le pognon à la première occasion. Il servait vraiment à rien celui-là, on respire mieux dans les bas-fonds depuis qu'il a clamsé.


Il va falloir se trouver une planque dans le nouveau quartier, pas trop loin du refuge, pour que nos clients puissent faire l'aller-retour sans se faire prendre. J'enverrais Yvo en reconnaissance, avec Raff. Y a pas mieux qu'eux pour renifler les meilleurs coins. Moi, c'est le pognon que je sens. Beaucoup de pognon.

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Kenny est toujours pas revenu. Et s'il s'était fait zigouiller ? J'aurai dû aller avec lui !


La bande du centre s'est installée par ici. Ca me plaît pas de revoir leurs tronches dans le coin. Je vais essayer de pas faire d'ennuis avant que Kenny revienne. Mais si c'est eux qui m'en font, il faudra bien que je me défende ! Et si Kenny revient pas ?! Où tu es, bordel ?! Je ne vole plus depuis trois jours, je me sers de l'argent de Kenny. C'est un sacré pactole qu'on lui a filé pour ce boulot. Si c'est si cher payé, c'est que ça doit être dur ; c'est pour ça qu'il est pas encore rentré. Il va revenir.


Faut pas que la bande du centre me remarque sinon je vais passer un sale quart d'heure. Et ils sont tous devenus bien plus grands que moi. Je pourrais me défendre face à un ou deux, mais s'ils m'attaquent tous... En ce moment, ils rôdent près du nouveau refuge pour enfants ; je me demande bien ce qu'ils mijotent. Ils vont quand même pas s'en prendre à cet endroit, quand même ?! Y a que des gentilles femmes qui me donnent parfois des pièces et des enfants tout maigres qui tiennent à peine debout.


C'est plus fort que moi, il faut que je sache ce qu'ils font. La garnison patrouille dans le coin maintenant, mais ces crétins verraient pas une crotte de chien sur leurs bottes. Et si j'allais leur dire de faire gaffe à ces lascars ? Ouais, je pourrais.


Je me suis trouvé un poste d'observation sur le toit d'une vieille baraque d'où je peux les voir entrer et sortir de leur planque. Kenny m'a montré comment faire. J'y reste pendant des heures - faut dire que j'ai rien d'autre à faire et au moins, je pense pas à Kenny. Ils déménagent des petits tonneaux qui ont pas l'air très lourds. Y a quoi là-dedans ? Je vais attendre qu'ils soient tout en train de pionce et j'essaierai de jeter un oeil. Ouais, je sais, c'est super risqué et Kenny me foutrait une taloche pour ça, mais il faut que je sache.


Les chandelles de la rue se sont éteintes, tout est noir, alors je tente le coup. Je me faufile dans une ouverture entre deux planches - c'est trop étroit pour tout le monde sauf moi. Personne penserait qu'il y a quoi que ce soit là-dedans. Pourtant, je trouve une dizaine de petits tonneaux alignés dans ce petit réduit. Y a un bouchon sur le côté. Je l'enlève et y a une poudre blanche et brillante qui s'écoule. J'en prends un peu sur mon doigt et je la renifle. Ca pique le nez, et ça me fait pleurer.


Je sais pas ce que c'est. Mais je peux aller le dire à la garnison. Eux, ils sauront. Merde, j'entends du bruit ! Y en a qui descendent ! Je me glisse vite dans la fente et je me mets à courir dans la rue jusqu'à la planque. Personne me suit. Je ralentis et je souffle un peu.


Je me dit que je suis qu'un abruti à me mêler de ce qui me regarde pas. Kenny dit tout le temps que je sais pas choisir mes combats comme il faut. J'ai pas sommeil, je vais lire jusqu'à ce que je m'écroule. Demain, Kenny sera peut-être rentré. Je pourrais lui dire, à lui, il leur règlerai leur compte, à ces merdeux. Ou alors il me répondra de pas m'en faire et de continuer à tracer ma route loin de toute cette histoire.


C'est peut-être parce que je m'ennuie sans lui que j'ai besoin de me mêler de leurs affaires...

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Est-ce qu'on se serait fait repérer ? On est pas à l'abri des officiers qui se prennent pour des héros, mais... Y avait un peu de marchandise répandue par terre dans la remise. Qui s'est glissé ici pour se tirer aussi sec sans que personne ait rien vu ?


Y a bien cette planche qui manque au fond... Aucun officier aurait pu se glisser par là. Je vais ordonner qu'on barricade la remise mieux que ça, tout de même, on sait jamais. Peut-être des gosses qui sont venus s'amuser ici. Je veux pas de rats pour me chiper ma mine d'or ! Si j'en chope, je les cloue au mur !


On a attiré un mouflet hier en lui disant qu'on avait des bonbons à lui montrer et que si il en voulait, il devait y mettre le prix. Le fabricant fait ce qu'il faut pour maquiller l'odeur chimique de la poudreuse ; ça sent la praline, et on en trouve pas dans les bas-fonds... Le gamin y a pas résisté et il a filé la moitié de son pognon. Il ira le dire à ses copains. Une fois qu'on aura une bonne clientèle, on baissera un peu les prix, histoire de s'en faire plus.


On est pas le gang le plus grand ou le plus riche des bas-fonds, il reste les gros bonnets indétrônables depuis des années ; certains existent même depuis cent ans. L'un d'eux s'est fait démonter il y a quelques années, pour trafic d'armes et complot contre le roi, je crois. Mais ce qui marche le mieux, c'est la contrebande ; les pauvres des taudis se jettent sur les marchandises de première nécessité à bas prix, et même les bordels ou troquets réguliers crachent pas dessus.


Mais personne refourgue de la dope. Le fabricant lui a pas encore donné de nom, à cette merveille, il veut s'assurer que ça marche avant de la baptiser. Et d'en envahir les trois murs. Il a de l'ambition, j'aime bien.


Je me tâte pour engager un type qui surveillerai la remise la nuit. Ca serait un bon investissement. Du coup, je décide d'aller prospecter en ville, voire si je peux pas dégoter un gros bras. Je prends Parsifal avec moi, avec lui je me sens tranquille. Les autres restent à la planque, à fumer ou roupiller. Ah, le boulot d'un chef n'est jamais terminé !


Une silhouette s'enfuit pas loin de nous. Je pense la reconnaître ; ouais, je reconnaîtrais ce physique de minus entre mille ! Pourquoi faut-il toujours que ce nabot se retrouve sur mon chemin ?! Il cherche vraiment les emmerdes ! Il a déjà estropié quelques-uns de mes gars, il a pris la confiance !


Attends, il serait pas en train de nous espionner ? Qu'est-ce qu'il faisait là, à nous reluquer ? Il se prend pour un soldat ou quoi ?! Merde, je viens de faire la soudure : hier soir, dans la remise... la toute petite ouverture, la poudreuse répandue... la fuite... Cette fouine a décidé de se mêler de ce qui le regarde pas... Putain de merde, il serait bien capable d'aller nous dénoncer à la garnison ! Comment on a pas pu faire gaffe !? A force de constamment observer les garnisons en patrouille, on a oublié que d'autres problèmes pouvaient se pointer ! Celui-là, s'en est un ! Après tout, s'il pouvait nous faire coffrer, je suis sûr qu'il se gênerait pas ! Il a peut-être déjà tout balancé !


Parsifal, on suit ce rat ! A distance, sans se faire voir. Il court très vite, la salaud. Mais il va falloir le coincer ! Là, je le vois, en haut de la rue en pente qui monte vers les hauteurs du quartier. Il observe les environs. Planque-toi ! Avec ta carrure, il va te voir comme une verrue sur le cul d'un catin ! Il reprends sa route ; parfait, on le suit.


Il va vers la zone à moitié abandonnée, là où les piliers de pierres sont les plus épais. Il a peut-être une planque là-haut. Minute ! Et son paternel, il est où ? C'est peut-être pas une bonne idée d'y aller comme ça... Enfin, Parsifal pourra peut-être lui tenir tête ; peut-être... Au pire si ça tourne mal j'aurai qu'à filer. Le nabot entre dans une masure délabrée. Est-ce qu'il est seul ?


Oh et puis merde, j'aurai dû me débarrasser de lui bien avant ! Je vais réparer mon erreur, même si Parsifal y laisse sa peau ! Démolis la porte, avec ton épaule, tes pieds, ce que tu veux !
Elle tombe par terre. Le morveux est là, son couteau à la main, prêt à en découdre. Il a dû nous entendre arriver. Il le tient plus de la même façon, son couteau... mais ça empêchera pas Parsifal de l'aplatir. Apparemment, son père est pas là, ça tombe bien ! Et si on s'amusait ?


Parsifal essaie de l'attraper mais il se glisse sous la table et essaie de se tirer par une fenêtre. Je lui attrape les chevilles et je tire comme un dingue ; il veut pas céder. Tu sais que tu joues ta vie, là ?! Il se retourne comme un chat, saisi son couteau qu'il a entre les dents et m'entaille le poignet, le connard ! Je le laisse tomber par terre et Parsifal se rue sur lui. Livaï lui envoie un coup dans les roubignoles - on le croirait pas capable de taper si fort - et Parsifal se met à se dandiner, comme un idiot.


Ignorant que j'ai mal, je lui saute dessus, et lui colle ma lame contre la joue. Je vais te défigurer avant de te tuer, salaud ! Fallait pas te mêler de mon business ! Quand ton paternel reviendra, il en tombera raide mort tellement tu seras moche ! Mais il me crache dans l'oeil ! La seule chose qui retient sa lame loin de mon cou, c'est ma force supérieure. Garde le bras bien tendu, Joch, même si tu vois rien, sinon il va te planter ! Je sens son petit genou pointu dans mon estomac tandis qu'il me renverse sur le sol. Depuis quand il peut faire ça, lui ?! Cette demi-portion !? Pendant une seconde, je sens mollir son bras armé ; comme s'il hésitait à frapper...


Et puis plus rien. J'ouvre péniblement les yeux : Parsifal se débat sur le sol avec le petit rat. Il est déchaîné, et le gros a bien du mal à le plaquer. Tu veux jouer à qui a la plus longue ? Ok, prends ça ! Je lui envoie dans les yeux une poignée de poudreuse - j'en ai toujours une bourse dans ma poche - et il se met à tousser en se frottant les yeux.


Alors, Livaï, c'est de la bonne ? T'en veux encore ?


Je lui attrape le cou et le remets à terre, mon couteau prêt à en finir cette fois. C'est là que je sens une grosse main se poser sur mon épaule ; je crois que c'est Parsifal et je grogne en le repoussant, mais cette main m'empoigne par le col, me soulève et me jette dehors. Je retrouve mon équilibre tant bien que mal et je constate que Parsifal est là lui aussi, en train de se frotter le front ; il a dû se cogner par terre.


Je me retourne et je vois le paternel de Livaï se découper dans l'encadrement de la porte. Il est tellement grand... et semble pas réellement furieux. Il fait rien d'autre que nous regarder sans rien dire, y a que ses yeux froids qui nous quittent pas une seconde. Y a un truc bizarre dans ses yeux : une conscience totale de sa force mais aussi une joie perverse à ne pas l'exercer. Et aussi... de la pitié ? Il pense peut-être qu'on en vaut pas la peine. Mais qui est ce type ? Si c'était son père, il nous aurait flanqué la raclée, non ?


J'ai pas envie de tenter ma chance, et je me mets à courir vers la planque. Je me fous se savoir si Parsifal suit ou pas. Il est tellement con qu'il pourrait vouloir se battre avec ce monstre. On aurait pu tuer Livaï, oui, mais lui... Son regard me glace encore d'effroi. Ca faisait longtemps que j'avais pas eu aussi peur.

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Ces deux merdeux ont intérêt à déguerpir vite fait avant que mon humeur change. On se présente pas chez, moi en pétant ma porte, sans être invité ; c'est quoi ces manières ? T'aurais pu leur apprendre, Livaï ! Encore une fois, tu t'es retenu de les planter ! Quel bon à rien !


Le plus petit se fait la malle, et le gros tarde pas à suivre. Très bien. T'as rien de cassé, le nain ? Et ouais, je suis revenu ; et à point nommé on dirait. T'allais passer un sale quart d'heure, pas vrai ? Allez, raconte-moi ; ce sont les types avec lesquels tu te bats tout le temps ?


Ah ok, tu veux que je te raconte d'abord. Ca attendra. Faisons un peu de ménage d'abord, tu veux ? Comment ça, je suis d'humeur joyeuse et ça me ressemble pas ? Pas du tout, je suis toujours d'humeur joyeuse.


Pendant qu'on range un peu la pièce et que j'essaie de remettre la porte à sa place, je peux pas m'empêcher de repenser à tout ce que j'ai vécu ces derniers jours. Et surtout quand j'ai senti ma dernière heure arriver... Une simple petite pression en plus, et j'étais cuit. Mais il l'aurait pas fait... Uli fait pas des trucs comme ça...


J'avais tout calculé pour choper leur petit convoi sur le chemin du retour à la ferme. J'étais caché dans un bosquet, pas loin de la route, quand j'ai entendu le pas d'un cheval. J'ai tiré dessus et la bête s'est écroulée sur le côté en versant tout son chargement. Puis je l'ai vu, lui... Il était comme on me l'avait décrit : blond, les yeux bleus, un air triste et pensif... J'ai même pas hésité une seconde avant de faire feu.


Croyez-le ou non, ça a foiré. Et avant même que j'ai le temps de tirer une seconde fois, j'ai senti une gigantesque force se refermer sur moi, un étau, mais pas en acier ; c'était une main, une main de géant qui m'avait attrapé et qui me pressait comme un citron ! J'avais le cerveau trop en bordel pour comprendre ce qui se passait ; tout ce que je voyais, c'était un écorché vif à plat ventre sur le sol ; mais il mesurait plusieurs mètres et sa grande paluche était en train de m'écraser. Je sentais mes os craquer comme du bois sec.


Mais j'ai de la ressource. L'instinct de survie sans doute. L'esprit humain est capable de faire abstraction d'un tas de choses bizarres quand il se sent en danger. J'ai laissé tomber le flingue inutilisable puisque je pouvais pas le recharger et j'ai atteint ma botte où était planqué le vieux pote. J'en ai frappé cette main de titan avec l'énergie du désespoir ; cette chair ressemblait presque à du caoutchouc, comme si c'était pas de la vraie peau. Mais elle saignait.


Pendant que j'essayais de lutter pour ma vie, un autre type a surgit avec un fusil et m'a mis en joue. Mais il a visé comme un pied et m'a loupé. C'est là qu'Uli Reiss a réapparu et m'a regardé ; il a émergé de la nuque du titan évanoui, qui commençait à fumer et à s'évaporer. Je crevais de chaud là-haut. J'attendais le bon moment.


L'autre type m'a de nouveau mis en joue, mais Uli l'a arrêté. Il voulait me faire parler. Bah, je savais pas grand chose, même pas le nom du commanditaire. C'est ça, vas-y, défoule-toi sur moi, que je me suis dit. Je suis venu pour te faire la peau et vu où j'en suis, je vais pas crever avant d'avoir tout tenté. Je voulais lancer le pote sur ma cible, pas le type avec le fusil, mais Uli Reiss, dont le corps semblait ne faire qu'un avec celui du colosse qui ressemblait de plus en plus à un squelette... Les titans existaient vraiment alors... et il y en avait à l'intérieur des Murs... Mais ce c'étaient nos ennemis, non ? Pourquoi un humain pouvait-il se transformer en titan ? Ca avait pas de sens...


C'était comme si Uli avait capté mes pensées. Comme si d'un simple regard, il avait su tout ce qu'il y avait à savoir sur moi ; il m'a rappelé Livaï pendant un moment... Cet homme savait que j'étais un Ackerman ; d'ailleurs, il a prononcé ce nom juste après que je l'ai pensé. C'est très désagréable de laisser quelqu'un lire votre esprit. C'est pas tellement un truc mystique, pas mal de gens en sont capables, mais lui il était allé trop loin... Avec l'énergie du désespoir je lui ai balancé mon vieux pote, en visant entre les deux yeux.


Il l'a pris dans le bras, et ça s'est mis à pisser le sang. Mais lui, il réagissait pas ; comme s'il sentait rien, comme si c'était pas grave. C'est là que je me suis dit que j'étais embarqué dans une histoire de fous, que ce type avait rien de normal, que j'allais crever, écrasé par une main géante dans une prairie isolée, contrôlée par un pouvoir que je comprenais pas et qui me faisais me pisser dessus à mesure que j'y pensais... Si on m'avait dit que je finirais comme ça... Quelle mort stupide... presque amusante...


Alors je me suis mis à me marrer en balançant à la gueule d'Uli Reiss toutes les insanités qui me passaient par la tête. Et pendant que je parlais, j'ai senti petit à petit la pression se relâcher autour de moi ; j'avais le souffle court à force de gueuler et je me suis mis à respirer plus librement. J'en reviens toujours pas de la douceur avec laquelle Uli m'a posé au sol... et le type au fusil non plus, n'en ai pas revenu.


Il m'a rebraqué, mais a pas tiré. Il semblait attendre un ordre. Un ordre de Uli Reiss, qui, lentement, s'est avancé vers moi. Il était vêtu d'une robe de paysan, rien de royal. Mais le plus incroyable, c'était la révérence avec laquelle il marchait vers moi. J'ai senti le flingue sous mes doigts tremblants et je l'ai saisi ; je voulais pas le laisser approcher, il me foutait la trouille comme pas possible. Il aurait été facile de le viser, là, tout de suite, et d'appuyer sur la gâchette. Mais j'avais juste oublié sur le moment qu'il était pas rechargé.


Uli s'est incliné devant moi et s'est mis à baragouiner des excuses ; des excuses phénoménales pour ce que ses ancêtres avaient fait aux miens ; il n'a cessé de répéter à quel point il regrettait, combien il était désolé de ne pas avoir encore réussit à bâtir le monde parfait dont il rêvait... Je comprenait que la moitié de ses paroles, mais le son de sa voix m'hypnotisait... Il se traînait sur le sol devant moi, comme le dernier des clochards, alors qu'il était roi de plein droit... Mais qui était ce type capable de s'humilier devant une crapule comme moi ?! Il avait aucune raison de faire ça, j'étais à sa merci, un coup de fusil et plus de Kenny !


Pourquoi il a fait ça ? C'est cette question qui m'a fait comprendre un truc, que j'avais jamais réalisé avant ; un truc que Kuchel savait, elle.


Le monde est pas si moche. Et certains humains qui le peuplent sont capables d'actes qui défient la raison, qui les mettent en danger, qui les salit, les met à genoux, les fait souffrir le martyre, les tue même. Parce que ces humains exceptionnels croient en quelque chose qui dépassent ce que les yeux peuvent voir, ils ont un regard tourné vers un avenir qu'ils imaginent plus radieux, ils font tout pour le réaliser. Ca peut être n'importe qui : un roi sans couronne qui veut aider son peuple... un orphelin qui cherche désespérément à survivre dans un monde cruel sans avoir à tuer qui que ce soit... ou une catin des bas-fonds qui tient absolument à devenir mère... Ces gens-là croient en quelque chose que j'ai pas encore compris... Ce sont eux qui rendent le monde pas si moche que ça. Qu'est-ce qu'une crapule comme moi pourrait bien comprendre à ça ?


Est-ce que je le pourrais ?


J'ai même pas pressé la gâchette dans le vide. J'ai laissé tomber. J'ai lâché le flingue et Uli m'a tendu la main. S'il m'avait demandé de me tuer à ce moment-là, je l'aurai fait. Car il m'a montré ce qu'était réellement la force. Moi qui croyais le savoir... J'avais jamais pris une telle leçon de toute ma vie.


On a passé de longues heures à parler, Uli et moi, sous la surveillance du type au fusil, qui s'est révélé être son frère. Il m'a demandé si je cherchais du travail... Je lui ai demandé qu'est-ce qu'un seigneur comme lui pouvait bien attendre d'un assassin comme moi. Une protection, il a répondu. Car des gens hauts placés en voulaient à sa vie et il pouvait pas se permettre de mourir. Bien qu'opposé à la violence, il la jugeait parfois nécessaire pour un plus grand bien. Et c'était moi, l'instrument de ce "plus grand bien" ? Y avait pas à dire, Uli avait le sens de la formule...


J'ai pas dit non. Juste que je devais réfléchir. Me promener dans les hautes sphères de la vie politique des trois Murs, ça faisait pas partie de mes plans de carrière. Il m'a même proposé un siège au parlement et le titre de commandant de la première division ! Ca, c'était de l'avancement !


Il a posé ses mains sur mon front, a paru s'absorber un moment et a déclaré après deux minutes qu'il a deviné qui était le commanditaire et que son siège serait vacant sous peu... Uli est peut-être un peu idéaliste, mais c'est pas un idiot ; il sait que parfois, faut faire des sacrifices.


C'est bizarre dans une telle situation mais j'ai repensé à Livaï. Je pouvais pas prendre seul cette décision, je devais lui en parler. Il m'a demandé des trucs sur lui et je lui ai tout dit ; j'avais l'impression de rien pouvoir lui cacher. Il a paru comprendre la situation mais il a affirmé clair et net que je pouvais pas m'encombrer d'un enfant ; la position qu'il m'offrait au sein du gouvernement était trop exposée pour que je puisse me permettre de donner à mes futurs adversaires un otage potentiel. La vie du petit serait sans cesse menacée si on apprenait son existence et ses liens avec moi. C'était pas faux...


Pour me décider, Uli m'a promis que Livaï serait accueilli comme un prince dans le nouveau refuge pour enfants des bas-fonds qu'il avait financé. Son identité et ses rapports avec moi y seraient dissimulés, et qui savait, peut-être qu'un jour, il serait libre de fouler les pavés du Mur Sina en homme libre et indépendant, totalement détaché de moi et de l'ombre que je pourrais projeter sur lui...


Oui, pourquoi pas... Mais je doute que Livaï accepte, il va me poser des questions, que je lui dit. Il m'a interdit de lui parler de tout ça, et m'a donné du temps pour réfléchir. Il m'a laissé repartir avec un sauf-conduit qui me permettra d'aller partout dans les trois Murs aussi longtemps que je vivrai. Les papiers de citoyen, en somme. Difficile d'intégrer le fait qu'un sentiment de liberté aussi total puisse tenir à quelques petits bouts de carton...


Je suis resté un peu dans la capitale avant de me décider à redescendre. Je crois que je me plairais bien ici. C'est pas un morveux collé à mes basques qui m'empêchera de mener la belle vie au soleil ! La belle vie... Vraiment ? C'était une sacrée responsabilité qu'Uli voulait me mettre sur le dos... Qu'est-ce qu'il a vu en moi pour penser que je vaux le coup ? Peut-être la même chose que ce que j'ai vu en lui... Non, ça se pouvait pas.


Mais lui prêter mon bras et lui offrir ma vie si besoin me paraît pas si déraisonnable. C'est ce que je suis en train de penser alors que je remets la table à l'endroit tandis que Livaï passe un coup de balai.

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Kenny veut toujours rien me raconter, sur ce qui s'est passé là-haut. Il m'a dit qu'il était monté sur le Mur Sina pour libérer maman et s'était fait choper par la garnison, mais j'y crois pas. Il est parti pendant plus d'une semaine, et il me dit rien ! Ca m'énerve ! Puisque c'est comme ça, je lui dirais rien non plus à propos du trafic du gang de Jochem !


Il m'a ramené un superbe encrier, avec une plume à la pointe en bronze. Ca doit valoir une fortune ! Et aussi un pantalon et une chemise neuve. Il m'a dit que c'était les cadeaux d'une personne très spéciale, que je connaissais pas, mais qui me connaissait, moi. Je me demande bien qui c'est ; mais quand Kenny en parle, il semble totalement parti. Il a réellement changé. Il va moins souvent à la taverne et il a recommencé à porter son long manteau et son chapeau.


Depuis qu'il est revenu, aucun connard de la bande de Jochem s'est repointé ici. Il a bien fallu que je dise à Kenny ce qu'ils faisaient là. Il m'a grondé, en me rappelant que je devais faire gaffe à pas ramener des types louches ici. C'est vrai que j'ai été imprudent, j'ai pas vu qu'ils me suivaient. Mais il en a pas rajouté, contrairement à son habitude ; il m'a même pas tiré l'oreille. Il pense peut-être que je suis un cas désespéré.


J'ai l'impression que Kenny attend quelque chose... Je sais pas quoi, mais il reste des heures à fumer, assis à l'arrière de la planque certaines nuits. Il parle moins, et se vante moins aussi. Et quand je lui apporte du thé, juste pour essayer, il le prend et le boit sans problème. Il est vraiment pas dans son état normal. Alors je veille à côté de lui et on reste comme ça, sans parler, les yeux en l'air. Mais il m'arrive quand même de m'endormir, et quand je me réveille, je suis dans mon lit.


J'ai arrêté de faire le ménage pendant trois jours, juste pour voir s'il le remarquerait. Mais, non, à peine. Parfois je me demande... s'il en a pas marre de moi. C'est comme si... il voulait partir. Ca me dérange pas de déménager encore ; tant que je suis avec Kenny, j'ai peur de rien. Il... il m'a manqué, quand il était pas là. Je me sentais moins tranquille...


J'ai besoin qu'il reste... Je suis pas encore prêt à me retrouver tout seul. Puisqu'il veut plus trop me parler, je suis en train de lui écrire une lettre ; je sais pas écrire, mais je sais lire ; alors j'essaie de recopier les lettres comme elles sont dans mes livres pour faire des mots. La plume est très efficace, elle fait de jolies lettres. J'ai pas trop pensé avant à ce que je voulais lui dire, alors je fais pas mal de pâtés. Il faut que j'économise l'encre. Je veux pouvoir continuer à écrire. C'est génial de pouvoir former moi-même les mots que je veux !


Bon, c'est un peu maladroit. Mais j'ai dit ce qu'il fallait ; en gros, que je voulais qu'il soit fier de moi, et que je suis désolé si je le déçois ; je lui promets de faire mieux ! Je glisse la lettre sous la porte de sa chambre. Il y est enfermé depuis un moment. J'aime pas ça... qu'il soit enfermé. Ca me rappelle trop de trucs... dont je veux pas me rappeler. Est-ce qu'il la lira ?


Je me sens tellement seul en ce moment que j'ai décidé de porter le foulard de maman autour du cou ; au moins, il me donne chaud et comme je l'ai pas lavé, je sens encore son odeur dessus... Il faudra bien que je le lave un jour tout de même...


J'attends pas devant la porte comme un con, et je me sauve dans la rue pour me changer les idées. Je cours jusqu'à ce que mes jambes tremblent et que je sois obligé de m'arrêter. Pourquoi mes jambes sont si petites ? Je me suis musclé un peu, même Kenny l'a dit, mais c'est pas encore assez. Je suis petit et faible, et Kenny veut peut-être plus me voir à cause de ça.


Il veut que je devienne plus fort, je le sais. Il veut que je sois capable de tuer quelqu'un.

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